Evolution des relations OTAN/ONU, conséquences pour la France
La relation OTAN-ONU observée aujourd’hui est étroitement liée à la relation USA-ONU. Or, cette dernière s’est fortement dégradée depuis le début des années 1990 après l’effondrement de l’Union Soviétique. Seule superpuissance dans les années qui ont suivi cet effondrement, les USA ont pu croire, à tort ou à raison, qu’ils étaient désormais les seuls à pouvoir intervenir partout dans le monde pour y créer, reconfigurer ou maintenir un ordre conforme à leurs intérêts.
La montée en puissance des néoconservateurs, fervents partisans d’une hégémonie sans partage des USA et leur accession aux postes d’influence et de direction, ont conforté cette position et précipité l’évolution de la politique étrangère US. Sous l’égide des USA, l’OTAN est passé dès 1991 de « la posture défensive et dissuasive » à « l’ingérence tous azimuts et tous prétextes » par conséquent, l’ONU a perdu peu à peu son influence et son rôle de médiateur dans les crises interétatiques, voire a été totalement ignorée.
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Le 6 mars 1999, dans l’affaire du Kosovo « Pour ce qui fut sa première guerre depuis sa naissance en 1949, l’OTAN choisit d’attaquer un État qui n’avait menacé aucun de ses membres. Elle prétexta un motif humanitaire et agit sans mandat des Nations unies ». Pour revenir sur cette intervention militaire, le Monde diplomatique d’avril 2019, a titré : « Le plus gros bobard de la fin du XXème siècle ».
En 2003, toujours sans accord de l’ONU, les USA échouent à faire participer l’OTAN à la guerre en Irak sous le faux prétexte que ce pays détiendrait des armes de destruction massive, mais dans cette affaire irakienne, il y a eu, tout de même, une forte « empreinte de l’OTAN » représentée par les USA, chef incontesté de l’organisation militaire intégrée et par une dizaine de pays membres de cette organisation : le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, le Danemark, les Pays Bas, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque. Pour les populations victimes de cette agression, c’est bien un noyau dur « OTAN » qui était à la manœuvre…..
En 2011, dans l’affaire libyenne, l’OTAN est engagé en tant que telle mais outrepasse largement la résolution de l’ONU sur la zone d’exclusion aérienne et intervient directement dans le conflit au profit des insurgés.
En 2014, en Syrie, les USA interviennent sans accord de l’ONU, à la tête d’une coalition comprenant, une fois encore, plusieurs pays de l’OTAN et plusieurs pays arabes connus pour leur financement du terrorisme qu’ils disent pourtant combattre en Syrie. Cette ingérence est curieusement exécutée au prétexte de la lutte contre le terrorisme alors qu’elle vise, chacun le sait aujourd’hui, à renverser et à remplacer le chef d’Etat syrien et à faire obstacle à l’Iran au seul profit de l’Etat hébreu.
Enfin, toujours sans accord de l’ONU et sous un prétexte plus que douteux car établi sans la moindre preuve, les USA, la France et le Royaume Uni, fers de lance de l’OTAN, effectuent une frappe conjointe le 14 avril 2018 sur des infrastructures syriennes supposées contenir des stocks de gaz.
Ces cinq actions menées en ignorant l’ONU, sous l’égide des USA, avec engagement de l’OTAN ou participation importante de pays membres de l’Alliance, ont toutes eu des conséquences désastreuses non seulement pour les pays concernés, mais aussi pour l’Union Européenne et pour la France. Il est même difficile aujourd’hui de voir une seule conséquence heureuse de ces interventions. Reprenons dans l’ordre :
1 – Outre les destructions causées principalement aux infrastructures civiles serbes ramenant l’économie de ce pays plusieurs décennies en arrière, outre les 13 517 morts, dont 81% de civils, causés directement ou indirectement, l’intervention otanienne au Kosovo, sous le prétexte mensonger du faux massacre de Racak, a provoqué la création du premier Etat mafieux en Europe et l’exode de plusieurs dizaines de milliers de Serbes.
Rappelons que pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, pas moins de 15 pays sont revenus sur leur décision de reconnaissance du Kosovo qui, selon la résolution 1244 de l’ONU, reste Serbe en droit international. Deux communautés coexistent désormais, à couteaux tirés, dans une entité territoriale qui, au rythme où vont les choses, ne sera jamais un Etat reconnu par l’ONU.
En réaction à cette première ingérence illégale de l’OTAN, la Russie et la Chine, trop faibles à l’époque pour réagir efficacement, mais humiliées (la Chine par le bombardement de son ambassade à Belgrade, la Russie par la défaite d’un allié fidèle et le mépris des occidentaux, agissant sans mandat de l’ONU) ont décidés de s’organiser et surtout de se réarmer. Dès le 15 juin 2001, ils créent l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai), avec une coopération économique et militaire visant à assurer la sécurité collective de ses Etats membres. Cette organisation s’est élargie et compte aujourd’hui huit membres dont quatre puissances nucléaires (Russie, Chine, Inde, Pakistan). Elle prône la multi-polarité et la non ingérence dans les affaires d’Etats souverains. Elle constitue clairement, bien qu’elle s’en défende, une opposition désormais ferme et puissante aux prétentions hégémoniques de la coalition occidentale et de l’OTAN.
En 2008, les BRICS ont été créés à leur tour. Cette organisation vise aussi à promouvoir la multi-polarité, la réforme de l’ONU pour la rendre plus représentative, mais surtout l’évolution de la gouvernance et des règles du jeu de l’économie mondiale pour les rendre plus justes. Un nombre croissant de pays se rallie, jour après jour, au camp OCS-BRICS, à la multi-polarité et à la non ingérence, c’est à dire à une opposition claire aux pratiques de l’OTAN agissant unilatéralement hors de tout mandat de l’ONU.
Cette première opération militaire de l’OTAN a-t-elle amélioré ou détérioré l’image de l’OTAN et celle de la France dans le monde ?
A-t-elle réduit les tensions sur la planète ou au contraire a-t-elle créé, à l’époque, les conditions d’un nouvel affrontement à venir entre blocs résolument opposés l’un à l’autre ?
A-t-elle été, ou non, le point de départ des réarmements russes et chinois ?
La politique d’ingérence otanienne a-t-elle été perçue ou non comme une menace pour la paix par de nombreux pays ?
Cette politique d’ingérence peut-elle être objectivement considérée comme une réussite ?
2- La guerre d’Irak de 2003, sans mandat de l’ONU a, elle aussi, été initiée sur la base d’un mensonge par les USA soutenus par une dizaine de vassaux otaniens. Elle a eu les mêmes conséquences désastreuses :
Des pertes humaines considérables, la légalisation de la torture aux USA, les images détestables d’Abu Graib et de Guantanamo, des bavures à répétition dans les bombardements. La montée incontestable de la haine contre l’occident chez les populations injustement agressées. …
Certes, la France, l’Allemagne, le Canada et quelques autres avaient refusé de participer à cette « croisade sous prétexte mensonger », mais l’image de l’OTAN représentée sur le terrain par les USA, chef incontesté de l’organisation militaire intégrée et une dizaine de ses pays membres est-elle sortie grandie de cette peu glorieuse équipée menée sans mandat de l’ONU ?
Ne peut-on expliquer, comme l’a fait le président OBAMA, la montée du terrorisme de Daesh qui a suivi cette ingérence par la haine qu’elle a suscitée ?
A-t-il été judicieux de remplacer, par la force des armes, un gouvernement « laïc et fort », conduit par un dirigeant sunnite; par un gouvernement « démocratique » conduit par une majorité chiite très liée à l’Iran ?
Cette « coalition occidentale » de croisade à forte couleur « otanienne » n’a elle pas créé elle-même le fameux arc chiite auquel elle s’oppose de toutes ses forces aujourd’hui ? A-t-elle créé les conditions de la paix ou celles d’un chaos régional source de nouvelles guerres ?
Cette guerre d’Irak, d’une coalition « perçue » par ses victimes comme occidentale et otanienne, peut-elle être objectivement considérée comme une réussite ?
3- Et que dire de la campagne libyenne de l’OTAN qui a largement outrepassé la résolution onusienne, qui a fait sauter la digue retenant les flux migratoires venus d’Afrique et qui a engendré un chaos régional et une guerre civile toujours en cours avec, une fois de plus, un bilan économique et humain désastreux pour les populations locales. La déstabilisation des pays riverains qui en a résulté a permis au terrorisme islamiste de s’y implanter et a conduit la France à y empêtrer son armée.
Remplacer un gouvernement laïc et fort par le chaos dans plusieurs pays africains : était ce le but recherché par l’OTAN ?
Que les parlementaires français qui considèrent aujourd’hui, avec le recul, cette opération libyenne comme une réussite se fassent donc connaître…
4- Quant aux opérations occidentales en Syrie et au Yémen, ouvertes ou couvertes, sans mandat de l’ONU, et sans invitation des autorités légales reconnues par l’ONU, elles sont perçues, elles aussi, comme des opérations de l’OTAN, dès lors que les USA, la France et le Royaume Uni, fers de lance de l’OTAN, s’activent sur le terrain appuyés par plusieurs autres membres de l’Alliance.
Sans attendre les résultats de ces deux guerres, nous savons déjà que, comme au Kosovo, en Irak, et en Libye, les conséquences de nos ingérences en Syrie et au Yémen ont déjà été et seront particulièrement désastreuses.
Alors que l’OTAN réfléchit à l’évolution de son concept stratégique, n’y a-t-il pas lieu de rendre à l’ONU le rôle qui est le sien ? De replacer ce concept otanien dans le cadre de la légalité internationale ? De cesser de considérer que les USA, le Royaume Uni et la France représentent, à eux seuls, la communauté internationale ou sont seuls en charge de la régenter?
En conclusion, il paraît urgent, pour la représentation nationale, de se poser quelques questions :
L’OTAN peut-elle et/ou doit-elle continuer de se substituer à l’ONU pour intervenir aujourd’hui, à sa guise, tous azimuts et sous tous prétextes, dans les affaires du monde ?
Qu’y gagne la France et surtout qu’y perd-elle en terme de crédibilité et d’image d’un état « indépendant » et « souverain » dont la voix voudrait encore compter ?
Doit-elle continuer de suivre aveuglément les USA lorsqu’ils ignorent et méprisent l’ONU et lorsqu’ils s’écartent de la légalité internationale ?
Ne devrait-elle pas, au contraire, reprendre ses distances avec l’organisation militaire intégrée qui la lie trop souvent aux visions de quelques fous furieux de Washington, pour le pire et non pour le meilleur ?
Général Dominique Delawarde