Exercice de projection pour comprendre l’affaire Omar Khadr
Je crois que les réactions négatives actuelles quant au dédommagement accordé à Omar Khadr sont dues à une méconnaissance de la situation. Voici l’exercice que je propose : je vous demande de supposer que la situation a été vécue par votre enfant.
Le nom de famille de votre enfant est Tremblay ; son père est un Québécois « de souche » et vous êtes une Gagnon, Québécoise de souche. Son père part en Afghanistan avec votre enfant mineur en vous disant qu’il va faire du tourisme en Italie. À un moment donné, vous apprenez que votre enfant a participé à une bataille en Afghanistan, qu’il a été gravement blessé, qu’il a été détenu à Bagram (juillet 2002) et qu’il est maintenant détenu à Guantánamo (octobre 2002). Vous cherchez alors à sortir votre enfant de cet enfer.
Droits de l’enfant
Vous apprenez que le Canada a signé plusieurs traités internationaux relatifs aux droits des enfants, notamment le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, signé par le Canada le 5 juin 2000. Pleine d’espoir, vous vous adressez au premier ministre du Canada, à d’autres politiciens, à votre député, etc. en leur demandant de respecter les engagements pris par le Canada et de tout faire pour sortir votre enfant de Guantánamo.
Or, le gouvernement canadien ne fait rien pour votre enfant, et pire, vous apprenez que des représentants de votre gouvernement ont interrogé votre enfant alors qu’ils savaient que, pendant les trois semaines précédant leur interrogatoire, les Américains l’avaient soumis au « programme grand voyageur ». Pendant trois semaines, les Américains ont réveillé votre enfant toutes les trois heures, l’ont transféré de cellule en cellule plusieurs fois par jour dans le but, selon les mots de la Cour suprême du Canada, « d’amoindrir sa résistance lors des interrogatoires ». Vous constatez alors que le Canada a contrevenu à d’autres traités internationaux qu’il a signés et à la Charte des droits et libertés.
Le gouvernement canadien ne fait toujours rien pour votre enfant, un Tremblay. Vous apprenez que votre enfant sera devant une commission militaire de Guantánamo qui accepte en preuve les déclarations de votre enfant obtenues sous la torture (le programme grand voyageur n’est pas la seule torture qu’il a subie).
Avant le simulacre de procès, vous pouvez enfin parler à votre enfant et il vous dit qu’il n’a tué personne et qu’il ne veut pas plaider coupable aux accusations. Devant la perspective qu’il soit détenu jusqu’à la fin de ses jours à Guantánamo s’il ne plaide pas coupable, vous lui dites de plaider coupable afin que son avocat puisse négocier son retour au Canada pour purger une partie de sa peine au pays. Vous apprendrez plus tard qu’un soldat américain, présent lors de la bataille, a affirmé qu’il était impossible que votre enfant ait lancé la grenade qui a tué le soldat américain (son avocat n’a pas eu accès à ce témoignage lors du procès de Guantánamo).
Indemnité
Vous qui avez lu mon texte en supposant que c’était votre enfant qui avait subi le sort de Khadr, que pensez-vous maintenant ? Plusieurs personnes parlent de l’affaire Khadr en se reportant à des situations déplorables qui n’ont rien à voir avec cette affaire.
La situation des anciens combattants et celle des Canadiens tués à l’étranger alors qu’ils faisaient de l’aide humanitaire sont déplorables. Cependant, il ne s’agit pas de torture connue et tolérée par le gouvernement canadien ; il ne s’agit pas d’implication du Canada dans la torture d’un citoyen canadien ; il ne s’agit pas de manquement du Canada aux traités internationaux signés ; il ne s’agit pas d’enfants soldats. Il est très important que le gouvernement apprenne qu’il ne peut manquer impunément à ses obligations à cet égard. Il est très important qu’aucun enfant soldat, peu importe son nom de famille, ne subisse le sort que Khadr a subi.
Pour que le gouvernement canadien ne répète pas ses erreurs du passé, une indemnité importante devait être accordée à Omar Khadr, ce qui n’effacera pas les souffrances qu’il a vécues à Bagram et à Guantánamo. Le gouvernement canadien a dépensé cinq millions, paraît-il, pour contrer les demandes justifiées faites par Khadr devant les tribunaux : c’est de l’argent très mal dépensé. Il est fort à parier que les tribunaux n’auraient pas accordé moins de 10 millions à Khadr (probablement plus), si le gouvernement canadien avait continué à dépenser inutilement de l’argent (des millions ?) pour contester le recours de Khadr.
Extrait de l’entrevue d’Omar Khadr faite par Anne-Marie Dussault à RDI, le 10 juillet 2017
Tous ceux qui ont écouté l’entrevue de Khadr faite par Anne-Marie Dussault à RDI, le 10 juillet dernier, ont pu voir comment cet être est sans colère, même envers ses tortionnaires. Alors que Khadr aurait bien mérité d’avoir enfin la paix, il n’est pas au bout de ses peines : la veuve du soldat américain lui réclame 138 millions, etc. Avez-vous déjà vu un Américain participant à une bataille être condamné à payer un montant d’argent à la veuve d’un Afghan qu’il a tué ? Encore ici, Khadr fait face à un cas inédit. Il ne faut pas oublier qu’un soldat américain, présent lors de la bataille, a affirmé qu’il était impossible que Khadr ait lancé la grenade qui a tué ce soldat américain.
Huguette Gagnon
Avocate à la retraite
Pour aller plus loin :
Omar Khadr. Une autre vie détruite par la guerre mondiale contre la terreur.
L’acharnement contre Omar Khadr se poursuit
Omar Khadr, enfant soldat: fait ou perception?