F-35 – L’explosion

Enfin, même s’il est bien tard, Ottawa repartira à zéro dans le dossier des F-35. Mais il était bien curieux d’entendre les ministres conservateurs invoquer à répétition la rigueur pour justifier ce retour en arrière, eux qui n’ont été que tromperies dans ce coûteux dossier.
SI les Canadiens en général, et les Québécois en particulier, s’intéressaient davantage aux affaires militaires, ils verraient que les scandales qui plombent les finances publiques ne relèvent pas que de magouilles mafieuses ou de rémunérations trop élevées. Ils sont parfois tout simplement du ressort de la mauvaise gestion qui s’appuie sur une idéologie crasse. Le cas des avions de chasse à Ottawa en est un exemple patent, où des milliards sont en jeu.
Les conservateurs ont depuis deux ans clamé à tous les vents et sans preuve qu’il en coûterait 16 milliards tout compris pour acquérir des F-35 en remplacement de notre flotte de CF-18 vieillissants. Le gouvernement Harper, qui ne supportait aucune contestation dans ce dossier, rétorquait avec agressivité aux questions de l’opposition et avait attaqué le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, quand celui-ci avait démontré qu’il faudrait plutôt prévoir le double. Le débat autour des F-35 avait d’ailleurs contribué à faire tomber le gouvernement Harper, minoritaire, au printemps 2011.
Il a fallu attendre un rapport dévastateur du vérificateur général, Michael Ferguson, en avril, concluant à une dépense de 25 milliards, pour que le gouvernement change de ton et consente, non pas à reconnaître ses fautes, mais à revoir son processus d’acquisition.
Évidemment, suivant la méthode harpérienne, ce n’est que mercredi, à la limite de la session parlementaire automnale, que la ministre des Travaux publics, Rona Ambrose, a enfin présenté le rapport de la firme KPMG sur le coût des F-35 qu’elle avait pourtant en main depuis quelques semaines. C’est l’explosion : dans la vraie vie, acquérir des F-35 nous coûtera 45 milliards.
Pas étonnant devant un tel résultat que, même si le dossier relève désormais de madame Ambrose, l’opposition ait réclamé à nouveau mercredi la démission du ministre de la Défense, Peter MacKay. L’affaire des F-35, sous les conservateurs, n’a été que dissimulations et improvisation, alors que les sommes en cause auraient dû inciter à un surcroît de précautions.
Mais le gouvernement ne voyait plus clair, aveuglé par les victoires que font miroiter les jouets belliqueux dernier cri. Car le ministre MacKay a beau dire, et il l’a encore dit mercredi !, ce n’est pas la protection de la souveraineté canadienne qui importait ici. On voulait des F-35 pour aller faire la guerre au loin, comme les Américains. Il n’était même pas question d’envisager d’autres avions de chasse, même s’ils font l’affaire de plusieurs de nos alliés.
Poussé au pied du mur, le gouvernement n’a maintenant plus d’autre choix que de s’ouvrir les yeux. Un comité indépendant l’y aidera, qui recueillera l’information sur les autres appareils disponibles. Ce n’est pas l’appel d’offres souhaité par les néodémocrates et les libéraux, ni la transparence totale, mais c’est une manière de faire qui a été utilisée l’an dernier dans le dossier de la construction navale et qui fut saluée pour son efficacité (si on exclut le fait que le chantier de la Davie à Québec fut complètement ignoré dans la répartition de 33 milliards de dollars de contrats sur 30 ans, nouvelle illustration des limites du fédéralisme !).
La méfiance reste toutefois de mise : des demi-vérités nous étaient encore servies mercredi par les ministres, et une fortune est en jeu. L’opposition doit continuer de talonner ce gouvernement dont on attend toujours rigueur et honnêteté.
Josée Boileau
Le Devoir, le 13 décembre 2012