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Factures à payer
Par Marco d’Eramo
Mondialisation.ca, 15 août 2006
Il Manifesto 10 août 2006
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/factures-payer/2971

Elle laisse un plaisir aigre doux, la défaite du sénateur Joe Lieberman dans les primaires qui se sont déroulées mardi dans le Connecticut, pour choisir le candidat démocrate au sénat dans les élections de novembre. Doux parce qu’enfin les faucons – comme le candidat à la vice présidence avec Al Gore dans la campagne de 2000- commencent à payer le prix politique  de leur bellicisme, qui plus est dans un état centriste comme le Connecticut. Si bien que le New York Times a décrit ce vote comme «  une des très rares fois où les modérés se mettent en colère » parce qu’ils voient leur pays entraîné dans une guerre  qui, en 41 mois, a coûté aux Etats-Unis au moins 250 milliards de dollars, et la mort de 2600 soldats,  alors qu’elle leur avait été présentée comme une guerre éclair justifiée par le « droit légitime à l’autodéfense contre le terrorisme » (ça vous rappelle quelque événement plus récent au Moyen-Orient ?).

Et le très pro israélien sénateur ne sera pas le seul démocrate à payer son militarisme et sa syntonie avec les positions du président Bush, que les démocrates du Connecticut ont trouvée pour le moins suspecte. Un autre petit falconidé, la sénatrice démocrate de l’état de Washington, Maria Cantwell, risque de perdre son siège en novembre. Mais le plus illustre des rapaces en péril est Hillary Clinton, dirigeante de pointe du clan, et metteur en scène occulte depuis toujours  des choix de Lieberman. Hillary, beaucoup plus prompte dans ses réflexes, essaie maintenant de prendre ses distances non seulement avec la guerre, mais aussi  avec son amitié bipartisane pour le faucon républicain John McCain avec qui elle avait, jusqu’à avant-hier (mardi, jour de l’élection, ndt) partagé d’épiques parties de vodka dans ses voyages à l’étranger pour la Commission Défense du Sénat : McCain est en pole position  parmi les candidats républicain à la nomination de 2008, comme Hillary l’est pour les démocrates.

La défaite du Connecticut n’est pour le moment qu’un signal envoyé par les électeurs, modeste mais sans équivoque : si le parti démocrate veut reconquérir  la majorité au sénat, il doit expliciter son opposition à la guerre en Irak et proposer un désengagement dans des délais rapides. La guerre avait déjà coûté son poste à José Maria Aznar en Espagne. Elle a joué  aussi en Italie au mois d’avril, faisant voter pour le centre gauche même ceux qui se bouchaient le nez pour certaines positions papalines (les soldats papalins étaient les soldats du pape, un tantinet serviles, toujours à baiser des mains par ci, à faire des génuflexions par là devant quelque cardinal ; l’adjectif indique le servilisme, ndt sur précision de l’auteur). Mais la facture à payer maintenant  est présentée directement à la classe politique étasunienne qui a érigé le bellicisme en système de gouvernement et la fuite en avant militariste en unique perspective stratégique. Une leçon  que ses sujets/alliés israéliens  semblent avoir bien apprise, comme le montre la guerre au Liban et l’élargissement continu du front au nom d’une victoire toujours à portée de main, et toujours renvoyée.

La saveur aigre de la défaite de Lieberman vient par contre du retard avec lequel s’est manifestée « la colère des modérés » qui fit défaut en 2004 et offrit à Bush quatre années supplémentaires. A l’époque, les Clinton imposèrent au parti démocrate de mettre la pédale douce sur l’Irak, presque comme une volonté de ne pas gagner. Comme il en va pour la coalition qui nous gouverne, mais ne nous représente pas toujours, et fait preuve de prudences, précautions, hésitations sur le thème de la guerre (en Irak, en Afghanistan), tenant avec nous, italiens, un discours public différent de celui qu’elle a en privé avec ses interlocuteurs étasuniens : avec l’idée qu’on puisse avaliser des meurtres, tueries, destructions, sans jamais en payer le prix. Une idée saugrenue de la guerre gratuite, de la guerre à l’œil, qui heureusement tôt ou tard (et malheureusement plus tard que tôt) se révèle être un boomerang.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/10-Agosto-2006/art2.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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