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Fin de l’ère post-néolibérale en Argentine et ascension de la droite pure et dure
Par Prof. James Petras
Mondialisation.ca, 28 février 2016

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La lutte de classes « d’en haut » a atteint son expression la plus intense, globale et rétrograde en Argentine, avec l’élection de Mauricio Macri comme président en décembre 2015. Pendant les deux premiers mois au pouvoir, Macri a révoqué par décret une multitude de politiques socio-économiques progressistes votées au cours de la dernière décennie et essaie de déloger des institutions publiques les voix indépendantes.

Ayant une majorité hostile au Congrès, il a confisqué le pouvoir législatif et a procédé à la nomination de deux juges de la Cour suprême violant sa propre Constitution.

Le président Macri a mené des purges dans les ministères et les institutions de l’État pour expulser les personnes nommées par le gouvernement précédent considérées comme critiques , pour les remplacer par des fonctionnaires néolibéraux fidèles. Il a fait arrêté des dirigeants des mouvements populaires et poursuivi des membres du cabinet précédent.

En même temps qu’il a entrepris la reconfiguration de l’État, le président Macri a mis en marche une contre-révolution néolibérale qui comprend une dévaluation de la monnaie de 40 % et qui a élevé le prix du panier de base de 30 % ; la fin des taxes à toutes les exportations agricoles et minérales (excepté le soja) ; une limite à l’augmentation des salaires de 20 % en dessous de l’augmentation du coût de la vie ; une augmentation de 400 % du prix de l’électricité et de 200 % de celui du transport ; des licenciements massifs de fonctionnaires et d’ entreprises privées ; utilisation de balles en caoutchouc pour briser les manifestations de grévistes ; des mesures pour réaliser des privatisations à grande échelle de secteurs économiques stratégiques ; un versement de 6,500 milliards de dollars aux créanciers des fonds – vautours et aux spéculateurs (avec un retour s/investissement de 1 000 %) et il a contracté de nouvelles dettes.

La guerre de classes de forte intensité du président Macri a pour objectif d’inverser le bien-être social et les politiques progressistes mises en œuvre par les gouvernements des Kirchner au cours des douze dernières années (2003-2015).

Le président Macri a déclaré une nouvelle version impitoyable de la guerre de classes d’en haut, qui succède à un modèle cyclique néolibéral de long terme durant lequel nous avons été témoins de :

  • 1 – Un gouvernement militaire autoritaire (1966-1972) accompagné d’une lutte de classes intense depuis le bas suivie par des élections démocratiques (1973-1976).
  • 2 – Une dictature militaire accompagnée d’une lutte de classes intense d’en haut (1976-1982) qui a produit l’assassinat de 30.000 personnes.
  • 3 – Une transition négociée à la politique électorale (1983), une crise inflationniste et l’approfondissement du néolibéralisme (1989-2000).
  • 4 – Une crise et une chute du néolibéralisme et une lutte insurrectionnelle de classes depuis le bas (2001-2003).
  • 5 – Des régimes de centre – gauche Kirchner-Fernández (2003-2015), favorables à un pacte social entre les travailleurs, le capital et le régime.
  • 6 – Un régime autoritaire néolibéral de Macri (2015) et une lutte agressive de classes depuis le haut. L’objectif stratégique de Macri est de consolider un nouveau bloc de pouvoir formé par l’industrie, l’ agriculture, l’exploitation minière locale et l’oligarchie des banques locales, les banquiers et les investisseurs étrangers et l’appareil politico-militaire, pour augmenter de façon considérable les profits en baissant le prix de la main-d’oeuvre.

L’origine de l’augmentation de la prépondérance du bloc néolibéral peut se trouver dans les pratiques et politiques des gouvernements précédents Kirchner et Fernández. Ces politiques sont été dessinées pour surmonter les crises capitalistes de 2000-2002 en canalisant le mécontentement des masses populaires à travers des réformes sociales, des incitations aux exportations agricoles, minières et une augmentation du niveau de vie grâce à des impôts progressifs, des allocations pour l’électricité et la nourriture et l’augmentation des retraites. Les programmes progressistes de Kirchner ont été basés sur le boom du prix des matières premières. Quand ceux-ci se sont écroulés, la « cohabitation » capital-travail s’est dissoute et l’alliance des entrepreneurs, de la classe moyenne et du capital étranger, avec à la tête Macri, a profité de la fin du modèle pour arriver du pouvoir.

La lutte de classes poussée depuis le bas s’était trouvée gravement affaiblie par l’alliance du monde du travail avec le régime de Kirchner, non parce qu’elle en bénéficiait économiquement , mais parce que le pacte a démobilisé les organisations de masses actives dans la période 2001-2003. Tout au long des 12 années suivantes, les salariés ont partie de négociations sectorielles (paritaires) avec l’intermédiation d’un « gouvernement amical ». Les alliances « sectorielles » et les sujets de la vie quotidienne ont remplacé la conscience de classe. Les syndicats ont perdu leur capacité à engendrer la lutte de classes depuis le bas et y compris pour influence les secteurs les plus populaires. La classe travailleuse est restée dans une position vulnérable et elle se trouve affaiblie pour s’opposer à l’offensive impitoyable néolibérale contre-réformiste.

Malgré cela, les mesures extrêmes adoptées par Macri – la terrible chute du pouvoir d’achat, la spirale inflationniste et les licenciements massifs – ont provoqué les premiers pas d’une renaissance de la lutte de classes depuis le bas.

Les grèves de professeurs et de fonctionnaires motivées par les coupes salariales et les licenciements ont éclaté en réponse aux coupes dans le secteur public et aux décret arbitraires de l’ exécutif. Les mouvements sociaux et de défense des droits de l’homme ont convoqué des manifestations sporadiques en réponse au démantèlement des institutions qui poursuivaient les officiers de l’armée pour l’assassinat et la disparition de 30 000 personnes pendant la « sale guerre » (1976-1983).

Tandis que le régime de Macri continue d’approfondir et d’amplifier ses mesures réactionnaires destinées à baisser le cout du travail et à réduire les impôts des entreprises et le niveau de vie pour attirer des capitaux avec la promesse de plus grands profits ; tandis que l’inflation s’envole et l’économie stagne à cause de la chute de l’investissement public et de la consommation, il est fort probable que la lutte de classes s’intensifie. Tout indique qu’avant la fin de la première année du gouvernement Macri, les grèves et d’autres formes d’action directe vont se multiplier.

Aux grandes organisations de classe capables de mobiliser la lutte de classes depuis d’en bas, affaiblies par une décennie du « modèle corporatif » de l’ère Kirchner, leur prendra du temps se reconstruire. La grande inconnue est de savoir comment organiser un mouvement politique de niveau nationale qui va au-delà du rejet des candidats électoraux pro Macri dans les prochaines élections législatives, provinciales et municipales et quand le faire.

James Petras

Article original en anglais :

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Argentina: The End of Post Neoliberalism and the Rise of the Hard Right, publié le 21 février 2016

Traduit pour El Correo de la diáspora por : Estelle et Carlos Debiasi.  Paris, le 26 février 2016.

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James Petras (né à Boston, États-Unis, le 17 janvier 1937) Professeur émérite de sociologie à l’université Binghamton de New York. Dernier ouvrage publié en français : La Face cachée de la mondialisation : L’Impérialisme au XXIe siècle, (Parangon, 2002). Dernier ouvrage publié en anglais : The Arab Revolt and the Imperialist Counter Attack , (Clarity Press, 2011).

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