Fonds Vautours : L’ Argentine en « Griefault » mais pas en cessation de paiement

Le gouvernement argentin est resté sur sa ligne. Sans le rétablissement du « stay » protégeant les accords de la dette restructurée 2005-2010, il ne pouvait satisfaire la sentence du juge Griesa, et prendre le risque de la clause de RUFO. L’affaire dépasse largement le cas du pays.

Sans surprise la journée marathon du 30 juillet n’ a pas débouché sur un accord sous l’égide du médiateur Pollack, ni sur un changement de position du juge Griesa.

L’Argentine se trouve donc en « Griefault ». Ce terme né de la contraction de Griesa et de « Défaut » (pour défaut ou cessation de paiement), exprime bien une situation jusque là inédite, historique et inique dans l’histoire d’une dette souveraine, pour laquelle il n’existe pas de mot. « Argentine-Fonds Vautours : Chronique d’un « faux » défaut annoncé  »

Celle d’un pays qui se trouve – par la décision d’un juge – en une sorte de défaut technique, alors qu’il n’est absolument pas en cessation de paiement. L’Argentine a payé au 30 juin l’échéance due aux détenteurs de titres – 92,4% – de dette restructurée.

Depuis lors les fonds ont été bloqués notamment sur le compte de la Bank of New-York par la décision du juge Griesa qui ainsi a outrepassé son pouvoir dans une décision frappée d’extraterritorialité. Certains titres sont sous loi étasunienne, d’autres argentine, britannique ou encore japonaise ; certains titres sont en pesos, en euros, ou en yens ;

Le juge Griesa a décidé que les banques ne devaient pas procéder ou aider au paiement des échéances des titres – et comme si cela couvrait tous les titres. Face aux banques lui demandant de préciser sa position, il est resté dans le vague.

Le juge Thomas Griesa a bloqué le paiement de leur dû aux détenteurs de bons. En soi, cela ne relève pas de la cessation de paiement, ni du défaut qu’on attribue à un pays qui ne paye pas sa dette.

D’ailleurs, l’Argentine a aussi payé 650 millions de dollars d’’échéance prévue au Club de Paris, il y a deux jours. Et l’Argentine a les fonds pour continuer à honorer ses échéances.

L’Argentine n’a pas en effet réglé les Fonds Vautours, car le faire dans les conditions imposées par la décision du juge Griesa, est contraire à la loi argentine, ne respecterait pas l’engagement de traitement équitable entre les créanciers ; cela ouvrirait une boite de Pandore à 500 milliards de dollars à travers la clause de RUFO, (Rights Upon Future Offers), concernant les accords de restructuration de la dette, qui court jusqu’au 31 décembre 2014.

Les détenteurs de titres dans le cadre des accords de 2005 et 2010, en cas de paiement des fonds vautours, pourraient être susceptibles de demander le même traitement. Et ce qui créerait un précédent dramatique pour toute restructuration de dette souveraine. Un pays souverain ne peut se mettre en telle situation.

Comme l’a rappelé Axel Kicillof, ministre argentin de l’économie, qui a mené les ultimes réunions, les fonds vautours ont refusé l’offre faite par l’Argentine, d’entrer dans l’échange aux même conditions que les autres détenteurs de titres de dette ; ils ont refusé la mise en place du « stay » pour ouvrir un négociation.

« Nous allons mener toutes les actions dans le cadre de nos contrats en droit national et international pour que cette situation inédite, insolite et injuste ne dure pas dans le temps » a expliqué Kicillof.

Mais surtout, aujourd’hui l’affaire relève de la sphère privée. Les détenteurs de titres de la dette restructurée 2005-2010 qui représentent 92,4% ont leur argent bloqué par la décision d’un juge en faveur de fonds qui détiennent 1% de la dette.

Une solution sera peut être trouvée « entre privés », « beaucoup de tiers peuvent trouver intérêts à mettre fin à cette situation », face au préjudice de ceux qui ne peuvent toucher leur argent, a souligné le ministre argentin, faisant allusion à l’initiative éventuelle d’une groupe de banques privées argentines – sans doute représentées par l’ABEDA – susceptibles d’acheter des titres des vautours.

D’un autre coté, on peut penser que les détenteurs de titres qui n’ont pas touché leur dû ne vont rester les bras croisés : ils avaient demandé au juge Griesa mardi 29 juillet qu’il ordonne une mesure d’urgence de « stay » (conservatoire) et avaient déposé un document à la Cour de New-York. Quelle sera leur prochaine action ?

Quelle sera aussi la réaction des institutions comme le FMI qui ont déjà souligné l’urgence de mieux protéger les restructurations de dette souveraine ? Différents pays comme la France, le Brésil avaient soutenu l’Argentine devant la justice US, sans parler du Mercosur ou des BRICS qui ont pris position. L’affaire dépasse largement l’Argentine, et la communauté financière le sait très bien, comme le rappelle le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz , cité ce matin dans le New-York Times

En attendant le gouvernement argentin a rappelé qu’il est prêt à une solution juste, équitable, durable et légale pour 100% des créanciers, et qu’il n’est pas question de signer ou de négocier ce qui pourrait compromettre l’avenir du pays et de son peuple.

Il faut certes s’attendre ces prochains jours aux plus sombres oracles – attisés par des forces aussi spéculatives internes et externes- sur l’avenir du pays, aux comparaisons idiotes avec le défaut de 2001. Mais il faut rappeler que depuis 2003 l’Argentine se passe de l’accès aux marchés financiers, et qu’elle est en mesure de s’en passer encore ; alors la dégradation de la note du pays par S&P – arguant du non paiement de 539 millions, qui ont été payés au 30 juin – annoncée en plein milieu des négociations finales d’hier ne va changer grand chose, mais traduit bien l’esprit qui règne.

Curieusement la journée d’hier a vu les titres de la dette argentine s’envoler sur les marchés, le risque pays de laBanque JP Morgan au plus bas depuis 3 ans, la bourse terminer en hausse de plus de 6%….et pour mémoire aujourd’hui la dette externe de l’Argentine représente 8% du PIB, la dette totale autour de 40%. A la lecture de ces chiffres de nombreux pays pourraient se trouver en réel défaut ou cessation de paiement bien avant l’Argentine !

Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune.

El Correo. Paris, 31 juillet 2014

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