Washington met des pressions sur l’Irak pour faire réélire Al-Abadi comme Premier ministre

Depuis le renversement du régime baasiste en avril 2003, les Premiers ministres irakiens – Iyad Allaoui, Ibrahim al-Jaafari, Nouri al-Maliki, Haïdar al-Ababi – ont tous été choisis par les Américains avec l’accord tacite de Téhéran. Cela se passait plus ou moins discrètement, mais personne n’était dupe.

Sous Donald Trump, les Etats-Unis ne prennent plus de gants. Son envoyé spécial, Brett McGurk, fait le tour des partis représentés au Parlement et des personnalités pro-américaines influentes pour leur dire clairement de voter – ou de faire voter – pour Haïdar al Abadi. Il a, par exemple, rencontré Massoud Barzani à 5 reprises depuis les élections législatives. A tous, il a laissé entendre que les conséquences pour l’Irak seraient terribles si le futur Premier ministre était pro-iranien.

Un nouveau Nouri Saïd ?

Haïdar al-Abadi est revenu en Irak en 2003, après passé 30 ans en Grande-Bretagne. Membre d’Al-Dawa à 15 ans, titulaire d’un doctorat en ingénierie électrique, naturalisé britannique, il avait créé à Londres une petite société de conseil et ouvert un café très prisé des services secrets de Sa Majesté, car s’y retrouvaient de nombreux  militants exilés, irakiens et arabes.

En Irak, où l’espionite fait des ravages, certains le soupçonnaient déjà d’être lié au MI6 britannique. L’insistance avec laquelle Brett McGurk assure sa promotion va le faire passer pour un nouveau Nouri Saïd, du nom de ce Premier ministre irakien désigné par l’Intelligence Service pour gouverner le pays sous les rois Fayçal 1er et Fayçal II.

Assassiné par les nationalistes, le 15 juillet 1958, le lendemain du renversement de la monarchie par le général Abdul Karim Kassem,  Nouri Saïd avait adhéré au Pacte de Bagdad, rebaptisé plus tard CENTO. Al-Abadi est plus prudent dès qu’il est question de ses relations avec l’OTAN, mais s’il est élu, on l’imagine s’intéresser à l’Alliance stratégique pour le Moyen-Orient (ASMO) dite « OTAN arabe » voulue par Donald Trump. Cela dit, on ne lui souhaite pas le sort réservé par les bagdadis à son lointain prédécesseur.

Encore plus de bases américaines

Les Américains n’ont pas l’intention de quitter l’Irak comme le réclament Moqtada al-Sadr et Hadi al-Amiri. Entre 5 000 et 7 000  G.I’sstationneraient sur 9 bases situées dans l’ouest du pays, interdites de survol à l’aviation irakienne. Le Pentagone souhaiterait en avoir 12.

Le gouvernement Abadi a fait la sourde oreille à la demande du Parlement irakien d’établir « un calendrier de retrait des forces étrangères », et lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, en février 2018,  le Premier ministre irakien s’est félicité de la présence américaine en Irak. Plus récemment, Ihsan al-Shamri, un de ses conseillers, a déclaré à Al Monitor que le gouvernement négociait « avec les Etats-Unis pour changer les missions des conseillers militaires américains du stade de la guerre au stade de la paix ». Autant dire que les troupes américaines resteraient en Irak indéfiniment.

Entrée en lice de Faleh al-Fayyad

En déclarant, le 7 août dernier, qu’il se conformera aux sanctions économiques décidées par Donald Trump contre l’Iran « pour protéger les intérêts de de l’Irak », et en traitant ceux qui ne sont pas d’accord avec sa position « de gangs faisant passer leurs intérêts avant ceux du peuple irakien », Haïdar al-Abadi s’est mis à dos, non seulement les Iraniens, mais la majorité des Irakiens et de tous ceux qui dans le monde ont condamné les 12 ans d’embargo international génocidaire imposé à ce pays.

Ses justifications alambiquées et son rétropédalage du 14 août, pour dire qu’on l’avait mal compris, qu’il ne respecterait pas les sanctions américaines, mais seulement  l’interdiction d’effectuer des transactions commerciales en dollars avec l’Iran, n’a convaincu personne, à commencer au sein de l’Alliance pour la victoire (Al Nasr – 42 élus), sa coalition électorale, alliée à celle de Moqtada Sadr. Résultat : dans son camp, une quinzaine d’élus a estimé que Faleh al-Fayyad – son conseiller à la sécurité nationale depuis 2011, chargé de la coordination avec les Hachd al-Chaabi – ferait un bien meilleur candidat au poste de Premier ministre. Et, ils ont rejoint le bloc Amiri-Maliki.

Faleh al-Fayyad reçu par le président Bachar al-Assad (18 mai 2017)

Faleh al-Fayyad a aussitôt été limogé et des milliers d’Irakiens sont descendus dans la rue pour conspuer la décision dictée, selon eux, par les Etats-Unis. Curieusement, le 17 août dernier, le site saoudien Al Arabiya pressentait déjà Al-Fayyad comme le futur candidat anti-USA.C’est un fait que le soutien d’Haïdar al-Abadi à la politique de Donald Trump et les défections qu’il provoque minimisent les chances d’un Premier ministre proposé par Moqtada Sadr et ses alliés.

Gilles Munier

(à suivre)

 



Articles Par : Gilles Munier

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