France – Plan de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs : une campagne officielle de désinformation et de fake-news.

La vérité : 200 millions de m3 de déchets radioactifs et non pas 1,6 millions de m3

PGMDR : le dossier mis en débat par l’Etat et la nucléocratie est truffé d’affirmations erronées et de présentations partisanes repris et largement diffusé par les réseaux sociaux et les médias. Présentation qui se veut rassurante mais trompeuse. Ainsi de la grossière sous-évaluation des volumes de déchets, tels les 282000m3 de  boues  radioactives  de  Malvési, les 23millions de m3 de déchets issus de la lixiviation (dynamique) du minerai d’uranium, les 537000m3 de  déchets dits TFA (Très Faible  Activité),  les 15 millions  de  m3 de  déchets  issus  de  la lixiviation (statique) des minerais pauvres, les dizaines de millions de m3 de stériles uranifères, les centaines de millions de mètres cubes produits à l’étranger par Cogema/Areva/Orano pour les besoins de l’industrie  nucléaire  française. Au final, il n’y a pas 1,6 millions de m3 de déchets radioactifs en France mais de l’ordre de 200 millions de m3. Déchets dont la durée de vie ou la radiotoxicité sont sous-évalués. En matière de nucléaire, les consultations, débats publics et autres enquêtes publiques ne sont pas instaurés pour rechercher les options  le  plus satisfaisantes  pour  l’intérêt  général  mais  pour  donner  un  vernis démocratique à des décisions déjà prises.

PNGMDR : Débat public ou campagne de désinformation?

En matière de nucléaire, les consultations, débats publics et autres enquêtes publiques ne sont pas instaurés pour rechercher  les  options  les  plus  satisfaisantes  pour  l’intérêt  général  mais  pour  donner  un  vernis démocratique à des décisions déjà prises. Les citoyens n’ont aucune garantie et les autorités s’acquittent ainsi à moindre coût de leurs obligations en matière  de participation du public aux processus de décision. La consultation est biaisée, basée des informations erronées. Les citoyens sont invités à cogérer les déchets radioactifs dans le cadre étroit de décisions déjà prises et sans avoir la moindre emprise sur leur production.

2019-05-05_PNGMDR_sites-dechets-nucleaires.jpgL’étude conduite par la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD) éclaire crument le cynisme de la nucléocratie. Le retour d’expérience des consultations qui se sont multipliées au cours des 15 dernières années est éloquent: à commencer par les débats publics de 2005-2006 sur l’EPR de Flamanville (alors que la décision était déjà prise) et sur  les  déchets  de  haute  et  moyenne  activité (refus de l’enfouissement en profondeur,  suivi  par la  loi  du  28  juin 2006   qui   retient   justement cette   «solution») pour   finir   par   le débat   public   du   printemps   2018   sur  la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie(PPE) : une consultation mort-née puisque l’État n’a mis en débat que les scénarios les plus favorables à l’industrie nucléaire (1), des scénarios impliquant en outre des exportations massives d’électricité (2).

Les  autorisations  de  création se  sont enchainées(usines d’enrichissement, de conversion, EPR Flamanville…) sans  que  la  question  des  déchets  radioactifs  que  vont  produire  ces  installations ne  soit posée. L’enquête publique sur l’EPR de Flamanville était limité eaux 19 communes situées dans un rayon de 10 km : les habitants des secteurs qui devront accepter les déchets radioactifs et les combustibles irradiés n’ont pas été consultés; on n’a pas non plus expliqué à la population que  le  démantèlement de l’installation génèrera  de  telles  masses  de gravats  et  de  métaux  contaminés  que  la  «meilleure  solution» sera d’accepter leur dissémination  dans  le domaine public.

L’État tronçonne  les projets et  les décisions

Les  citoyens  sont invités à participer  à la  gestion des  déchets(voir sommés de le faire au nom du sens des responsabilités) mais n’ont pas leur mot à dire sur leur production. Les autorités invoquent  le droit  des générations  futures mais s’emploient dans le même temps à développer des activités qui vont générer des déchets radioactifs pour lesquels n’existe aucune solution de gestion satisfaisante. L’hypocrisie le dispute au cynisme.

2019_dechets-radioactifs-stockage.jpgSoulignons  en  outre que les  marges  de  discussions  sont  limitées. Le  débat  public  sur  le  Plan  de  Gestion  des Matières et Déchets Radioactifs (PNGMDR) s’inscrit dans un cadre législatif contraignant qui impose, entre autres, le  stockage  en  couche  géologique profonde  pour  les  déchets  radioactifs  de  Haute  Activité  (HA)  et  de  Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL), le retraitement des combustibles usés, le statut de «matières» radioactives à toute substance  pour  laquelle une  utilisation  est  prévue  ou envisagée (aussi  incertaine  soit  elle).

Le  PNGMDR est également déterminé par la PPE et «les choix structurants de politique énergétique faits par le Gouvernement», en particulier  le  maintien  du  retraitement jusqu’à l’horizon des années 2040, le  report  à  2035  de l’objectif de 50% d’électricité nucléaire, la fermeture de 12 réacteurs (en plus de Fessenheim) mais pas forcément avant l’échéance de leur 5èmevisite décennale (ce qui correspond, selon les réacteurs, à des durées de vie/mort de 50 à 56 ans)*.

Des informations tronquées et tendancieuses

Le dossier proposé comme cadre et base du débat public sur le PNGMDR est truffé d’affirmations erronées et de présentations partisanes.  Vu  la  masse  de  documents  et  la  complexité  des  sujets,  il  faudrait  plusieurs  mois  de travail et les moyens correspondants pour analyser et corriger l’ensemble des documents. D’ici là,le débat sera terminé et les participants se seront déterminés sur des bases d’information tronquées et tendancieuses.

Le travail de vérification et de correction aurait dû être fait AVANT le lancement du débat. À défaut, la consultation sert de caisse de résonance à la désinformation et cela a commencé dès l’ouverture du débat.  Des  analyses  détaillées  sur  quelques-uns  des  thèmes  mis  au  débat  seront  publiées  ainsi par  la  CRIIRAD  au cours des 4 prochains mois. Deux exemples éloquents sont développés ci-après.

La grossière sous-évaluation des volumes de déchets

«À fin  2017, toutes  catégories  confondues, le stock de déchets radioactifs est d’environ 1,6  million  de  m3», soit  «l’équivalent de 4  mois de  la  production  nationale  de  déchets  dangereux  conventionnels». Telle  est l’information qui sert de base au débat après validation par la Commission Particulière du Débat Public (qui assure veiller  à  la  complétude du  dossier).  Ce volume  est publié  dans  le dossier du maître d’ouvrage (3) et  dans  la synthèse qui l’accompagne. Il a été repris et très largement diffusé par les réseaux sociaux et les médias, y compris des médias de référence et des médias spécialisés dans l’environnement.

2019-05-05_PNGMDR_tableau-Andra.jpgLe chiffrage est issu de l’inventaire national  de l’ANDRA et  avait  déjà fait l’objet d’une communication intense en 2018. Le détail par catégorie de déchets est présenté dans le tableau ci-dessous extrait de la publication ANDRA «Les essentiels», p.14 .En réalité, ces chiffres sont très loin de prendre en compte «toutes les catégories»de déchets radioactifs. Le volume indiqué pour les déchets de Faible Activité à Vie Longue (FA-VL), soit 93600 m3, représente moins de 0,4% du volume réel. Ont en effet  été  «oubliés»  les 282000m3 de  boues  radioactives  de  Malvési (Aude) et  plus de 23millions   de m3de   déchets   issus   de   la   lixiviation dynamique du minerai d’uranium. De  la  même  façon,  il  faut  ajouter  aux 537000m3 de  déchets  dits TFA (Très Faible  Activité),  plus  de 15 millions  de  m3de  déchets  issus  de  la lixiviation statique des minerais pauvres et des dizaines et des dizaines de millions de m3de stériles uranifères (4). Ont  également  été  omis50millions  de  m3de  déchets  à  radioactivité naturelle élevée (5)qui sont des déchets TFA et FA à vie longue.

L’Andra  et  les  autorités s’entendent  pour  exclure  des bilans officiels –tableaux  récapitulatifs  et  autres camemberts –les  dépôts les  moins  présentables,  relégués  sans  justification  dans  des  chapitres  secondaires:ceux   qui   violent les   principes   de   gestion   des   déchets   radioactifs,   qui   sont   entassés   en   vrac,   sans conditionnement,  sans  isolation  du  sous-sol,  dans  des  sites  dont  les  caractéristiques  devraient  interdire  toute matière à risque.

À Gueugnon (Saône-et-Loire), par exemple, les déchets FA-VL produits par l’usine d’extraction de l’uranium ont été  déversés  à  moindre  coût  dans  les excavations les  plus  proches: d’anciennes  gravières où  la  nappe phréatique  affleure !Le stockage s’étend en outre sous le parking du stade de foot et constitue  une  bombe  à retardement pour les générations futures.

Au final, il n’y a pas 1,6 millions de m3 de déchets radioactifs en France mais de l’ordre de 200 millions de m3.

Ce volume ne correspond pas à 4 mois de production de déchets dangereux conventionnels mais à plus de 40 ans. Et sur un plan éthique, il ne faut pas non plus oublier les dizaines à centaines de millions de mètres cubes produits à l’étranger par Cogema/Areva/Orano pour les besoins de l’industrie  nucléaire  française.

exploitation-miniere_Areva.jpgAu  Niger, la CRIIRAD  a  pu  constater les conditions  de  «stockage»  des  résidus  de  lixiviation:  une  accumulation  en  grandes verses exposées à tous les vents. Ajoutons enfin que le reclassement de «matières» radioactives en «déchets» radioactifs viendra à  terme alourdir les bilans (en particulier avec les stocks sans cesse croissants d’uranium appauvri).La question clef de la durée de vie des déchets radioactifs. D’après la classification officielle,les  déchets stockés  dans  les  centres  de  stockage  de  surface  de  la  Manche (CSM) et de l’Aube (CSA) sont des déchets radioactifs de Faible et Moyenne Activité (FMA) à vie courte(VC), les plus faciles à gérer. À fin 2017, le stock global s’élève à 938000 m3, soit 58% du volume total.Cette présentation est rassurante mais trompeuse.

Démonstration : Environ 527000 m3de déchets radioactifs sont stockés au centre de la Manche. Il est vrai que leur radioactivité provient  très  majoritairement de  radionucléides  à  vie  courte,  les  produits  à  vie  longue ne constituant qu’un faible pourcentage du total. Mais ce qui compte, ce n’est pas le pourcentage mais l’activité massique (le nombre de becquerels par kilogramme de déchet). Les calculs montrent que l’activité massique des radionucléides à vie longue  moyennée  sur  les 527000  m3est  supérieure  au  seuil  de  classement  comme  déchets FA-VL  (Faible Activité à Vie Longue). Ces déchets ne devraient donc pas être stockés en surface mais à faible profondeur, dans une  installation adaptée aux risques qu’ils posent sur le très long terme (6).

Et les déchets militaires  au plutonium ?

La  répartition  de  la radioactivité n’est pas homogène: l’activité de certains  conteneurs est très  supérieure au  seuil  qui  impose, d’après la loi, le  stockage  en  couche  géologique  profonde. C’est le cas par  exemple des  déchets militaires  au plutonium  présents  dans  certaines  tranchées:  ils  ont toutes les  caractéristiques de déchets  radioactifs MA-VL, des  déchets que l’ANDRA destine à  la poubelle nucléaire de Bure (Cigéo). On  ne  peut  donc  considérer  les  déchets  du  CSM  comme  de simples déchets à vie courte. Le site va générer des risques sur le très long terme: non pas sur 300 ans mais sur des centaines de milliers d’années.

2019_dechets-nucleaires.jpgCompte tenu des critères d’acceptation des déchets radioactifs au centre de stockage de l’Aube (7), des questions se posent également sur la durée réelle de la dangerosité de ce site. D’après les textes,il doit être banalisé «au plus tard 300 ans après le début de la phase de surveillance». Il faut également tenir compte des déchets «oubliés» mentionnés plus haut et qui sont tous des déchets à vie longue (et même à vie extrêmement longue).

Risques sanitaires et environnementaux accrus, et  report des charges financières sur les générations futures

Au final, n’en déplaise aux tableaux officiels, les déchets radioactifs à vie longue représentent plus de 98% des quelques 200 millions de m3 de déchets radioactifs. Sous-évaluer la durée de vie ou la radiotoxicité des déchets radioactifs, accorder des dérogations aux principes de  gestion,  laisser  les  déchets en  vrac, dans  des  sites  non  conformes…  autant  de décisions  qui allègent considérablement le coût actuel du kWh nucléaire. La contrepartie, évidemment, ce sont des risques sanitaires et environnementaux, et le report des charges financières sur les générations futures.

La synthèse  du  dossier  du  maître d’ouvrage affirme que le PNGMDR est un outil dont l’élaboration «associe l’ensemble des parties prenantes dont les  producteurs  de déchets  radioactifs  et les  associations de protection de l’environnement». C’est faux :  les choix  de  gestion  du  PNGMDR  sont  loin  de  faire l’unanimité. comme d’autres associations et organisations la CRIIRAD ne fait pas partie des «acteurs» du PNGMDR et n’en cautionne pas le contenu. Elle n’est pas la seule association dans ce cas. Participer  sans  avoir  les  garanties  nécessaires  est  contre-productif et  conforte  au  final  les  dysfonctionnements : les avancées que l’on peut obtenir ne compensent pas l’appui que l’on apporte au système, les autorités se prévalant à bon compte d’un fonctionnement démocratique et participatif.

(voir également notre précédent article : http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2019/04/17/Bient%C3%B4t-2-millions-de-tonnes-de-d%C3%A9chets-radioactifs-%3A-le-d%C3%A9bat-public-est-une-bouffonnerie )

Notes
(1). Les  scénarios  Volt  et  Ampères pourtant les  plus  éloignés de  l’objectif de 50% d’électricité  nucléaire  en  2025  fixé  par  la  loi  de transition énergétique pour la croissance verte; les scénarios Hertz et Watt ont été écartés préalablement au débat.

(2) Il est d’ailleurs regrettable que le débat public sur le PNGMDR ne demande pas aux Français s’ils sont d’accord pour gérer sur leur  sol  les  déchets  radioactifs  produits  par  une  vingtaine  de  réacteurs  nucléaires  qui  fonctionneraient  pour  les  besoins  de l’étranger (et le cas échéant à perte).

* « La CRIIRAD dénonce le contenu du dossier qui sert de base et de cadre au débat. La Criirad ne souhaite pas apporter sa caution à ce énième débat public. Pour autant, elle ne se privera pas d’intervenir au  cours  des  prochains  mois sur les questions posées par les déchets radioactifs, qu’elles soient traitées ou pas dans le cadre du débat public.  » (communiqué du  mai 2019)

(3) Le ministère de la transition écologique et solidaire et l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

(4) Il s’agit ici des stériles de sélectivité (et non des stériles francs dont la radioactivité est comparable à celle des roches du secteur).

(5) Citons  par  exemple  les stockages de phosphogypse, de déchets de production d’alumine, de cendres de charbon, de résidus de traitement de minerai, notamment de monazite, etc.

(6) Une installation avec le statut d’Installation Nucléaire de Base(INB),  réservé  aux  installations  les plus  dangereuses. L’activité totale des radionucléides à vie  longue présents  dans les  déchets du CSM est en effet très  supérieure (plus  de 80 fois) au seuil de classement en INB (à moyen terme, avec la production d’américium 241, le dépassement sera même supérieur à 1000 fois).

(7)à l’issue de la phase de surveillance, l’activité massique moyenne en émetteurs alpha de l’ensemble des déchets radioactifs du CSA ne  devra  pas  dépasser  370 millions  de  becquerels  par  tonne  (Bq/t), avec  une  activité  massique  maximale parcolis inférieure «en règle générale»à 3700 millions de Bq/t, des possibilités de dérogation pouvant aller jusqu’à 18500 millions de Bq/t.


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