France – Régionales: 1er tour

Les résultats du premier tour des élections régionales sont d’ores et déjà connus, et un certain nombre de leçons peuvent en être tirées. Certaines de ces leçons ne sont pas nouvelles ; elles ne sont que la confirmation de tendances qui étaient déjà perceptibles depuis 2012. Mais d’autres sont plus neuves et elles témoignent des évolutions que nous avons connues depuis ces derniers mois. Le succès du Front National est évident. Mais il doit être soigneusement analysé. De plus, la question de ses réserves potentielles en voix (de même que le bloc « Républicain-UDI ») se pose. En cela, ces élections sont intéressantes bien au-delà de la question de savoir quelles seront les exécutifs régionaux au soir du 2ème tour.
Les progrès du Front National
La première leçon est le progrès national du Front National, qui devient le 1er parti de France, mais qui prend une dimension géographique intéressante. Les succès principaux du Front National se font à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille. Sur les 6 régions qui occupent ce territoire, il dépasse les 40% dans 2 (Nord-Pas de Calais-Picardie et région PACA) et les 30% dans 2 autres (Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne et Franche-Comté-Bourgogne). Les deux autres régions sont marquées par l’arrivée en tête des listes de droite. Or, cette ligne Le Havre-Marseille est une vieille connaissance pour les géographes. C’est la ligne qui opposait la France de la grande (et vieille) industrie et de la forte urbanisation à la France agricole, voire rurale et de petites industries. Le sens politique de cette ligne se confond avec son sens social et industriel à l’exception de la région PACA. C’est la France des traditions industrielles, celle qui a subi de plein fouet le choc de la mondialisation et de la désindustrialisation, celle que chante Bernard Lavilliers dans Les Mains d’Or. De ce point de vue, le succès du Front National dans la région PACA, pour important qui soit, en apparaît anecdotique.
Mais, cette partition du vote selon la partition du territoire en honneur chez les géographes en cache une autre. Le Front National réussit une percée dans la région Languedoc-Roussillon-Midi Pyrénées et dans la région Centre tout en échouant de peu sur la Normandie. Dans ces régions, ce n’est pas la grande et vieille industrie qui avait structuré les territoires mais une industrie plus décentralisée, composée de moyennes et petites entreprises, travaillant parfois en synergie avec l’agriculture ou comme sous-traitant spécialisée des grands bassins industriels. Cette industrie là connaît depuis une dizaine d’année une crise profonde, mais qui est moins spectaculaire que celle des grands bassins. Les fermetures d’entreprises industrielles s’y sont multipliées, avec à chaque fois des licenciements de 100 à 200 personnes, qui sont restés ignorés des grands médias nationaux. Ce sont les régions de la misère rurale, car à chaque fermeture d’entreprise, ou d’atelier, ce sont des dizaines de familles qui sont fragilisées et qui glissent vers l’insécurité économique et la très grande pauvreté. Ces régions correspondent à ce que Christophe Guilly appelle La France périphérique[1].
Cette typologie recouvre aussi celle de régions aux traditions assez fortement enracinées, et qui souffrent le plus de l’abandon des grands services publics mais aussi de la montée d’une insécurité culturelle[2].
Quelles réserves de voix ?
Ce succès du Front National, tout comme celui des listes des « Républicains » et de leurs alliés de l’UDI et du MODEM est évident. Mais il pose, dans la logique d’une élection à deux tours, la question des réserves de voix pour le second tour. Il est clair que, dans la configuration actuelle, ces deux partis ne peuvent compter que sur de très faibles réserves institutionnelles. Ils seront donc dans une logique cannibale, chacun essayant de dévorer l’autre.
Le problème se pose aussi, quoique de manière moins évidente, pour le P« S ». Ce parti peut espérer compter avec les voix des écologistes de EELV, et celles du Front de Gauche. Mais, les affrontements du premier tour, les comportements comme les manœuvres d’appareil, laisseront des traces profondes. Les reports de voix, quelles que soient les consignes des états-majors risquent donc d’être mauvais.
Ceci nous conduit au constat suivant : désormais, le vote des français se fera de plus en plus dans une défiance vis-à-vis des consignes des directions des partis. Ce vote apparaît de moins en moins lié à ces consignes, ce qui va obliger chaque parti à faire assaut d’honnêteté et de cohérence. Il n’est pas dit que sur ce terrain le Front National soit le plus mal placé.
La disparition du Front de Gauche et l’émergence de DLF
Une troisième leçon importante, et relativement nouvelle, est la combinaison des mauvais résultats du Front de Gauche avec la – relative – percée du parti de Nicolas Dupont-Aignan. Les résultats nationaux, même s’ils doivent intégrer la dispersion des listes se réclamant du FdG le confirment. Ces deux partis sont crédités d’à peu près les mêmes pourcentages. Il est symptomatique qu’en Île de France la liste du FdG, emmenée par le communiste Pierre Laurent, face le même score (un peu plus de 6%) que celle de Debout la France.
On ne reviendra pas sur l’analyse de l’éparpillement et de l’illisibilité des listes du FdG. L’analyse qu’en a dressée Jean-Luc Mélenchon sur son blog, et dont on a rendu compte dans ce carnet, dit à peu de choses près tout ce que l’on peut en dire. Le relatif succès des listes de DLF témoigne de ce qu’un courant souverainiste indépendant existe aux côtés du Front National. Il est plus que probable qu’un courant souverainiste « de gauche » se soit réfugié dans l’abstention du fait des stratégies qui ont rendu les positions du FdG illisibles et de l’absence de forces représentants cette sensibilité.
La construction d’un courant autonome représentant les positions des souverainistes de gauche, maintenant qu’il est à peu près acquis que celui-ci ne pourra pas être représenté par le FdG, s’impose. Ce courant représentait, du temps de la candidature de Jean-Pierre Chevènement en 2002, environ 7% des suffrages. Ces voix ont manqué, et non sans raisons, aux listes du FdG. Elles doivent se manifester de manière autonome, ce qui sera le premier pas dans la constitution d’un « Front » des souverainistes. Une alliance avec DLF s’imposerait alors. Mais, à terme, l’existence d’une forme autonome d’existence des souverainistes de gauche aurait aussi une influence sur les positions du Front National.
Jacques Sapir
Notes
[1] Guilluy C., La France périphérique. Comment on sacrifie les classes populaires, Paris, Flammarion, 2014.
[2] Bouvet L., L’insécurité culturelle. Sortir du malaise identitaire français, Paris, Fayard, 2015.