France – Vouloir interdire les manifestations pour la Palestine porte atteinte aux libertés

Pas besoin d’être d’accord avec les manifestants pour reconnaître qu’ils ont toujours fait partie de l’identité de Paris. Ils incarnent les principes sacrés de la République française : « liberté, égalité, fraternité ».

Trois jours se sont écoulés entre une manifestation pro-palestinienne totalement pacifique et une autre qui a dégénéré. La première, qui a eu lieu mercredi dernier, avait été autorisée par le gouvernement socialiste français, contrairement à la deuxième qui s’est déroulée samedi. Pas besoin d’être expert en contrôle des foules pour en tirer une conclusion toute simple : si vous essayez d’empêcher les citoyens d’exercer leur droit démocratique de manifester, il est probable qu’il y ait des dérapages.

Manuel Valls, Premier ministre français farouchement pro-israélien, ne serait pas du même avis. Il prétend systématiquement que l’interdiction de telles manifestations est nécessaire pour éviter « un antisémitisme d’une forme nouvelle » qui « se répand aussi dans nos quartiers populaires auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa haine du juif derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ».

M. Valls est réputé pour son caractère autoritaire et véhicule régulièrement des préjugés à l’encontre de groupes raciaux ou ethniques. L’année dernière, il a publiquement affirmé que les communautés rom nomades en provenance de Roumanie et de Bulgarie étaient « différentes de nous », « incapables de s’intégrer », et qu’elles devaient donc être expulsées. Il émet désormais un jugement sur les motifs qui poussent les citoyens à manifester contre l’offensive terrestre, aérienne et marine d’Israël à l’encontre de Gaza. Selon lui, ceci n’est pas lié à la mort de plus de 1 000 personnes, dont des centaines d’enfants (contre 43 soldats et 3 civils israéliens à compter de la nuit de dimanche). Ceci n’est pas non plus lié aux blessures endurées par des milliers d’autres personnes ni à la destruction de leurs maisons, des hôpitaux, des écoles ou des abris de l’ONU. Ce n’est pas non plus parce que les Palestiniens se voient privés de leurs libertés les plus primaires, notamment le droit de survivre et de vivre librement dans leur propre patrie indépendante.

Non, par une abjecte supercherie, M. Valls prétend que les manifestants pro-palestiniens se rendent coupables de crimes de haine envers le peuple juif. En reliant constamment ceux qui s’opposent au massacre de Gaza à l’antisémitisme, M. Valls et ses caniches comme le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, font preuve d’une perfidie scandaleuse. Même le président très impopulaire, François Hollande, a abandonné ses racines libérales « d’homme du peuple » pour soutenir l’interdiction des manifestations, indiquant qu’il ne souhaitait pas que le conflit entre la Palestine et Israël soit « importé » en France.

De telles manipulations font affront à l’histoire de Paris en tant que ville de manifestations, placée en première ligne de la lutte idéaliste contre les injustices et l’oppression au cours des siècles. Les années 1789, 1848 et 1871 notamment sont toujours associées à des révolutions parisiennes synonymes de changements mondiaux. La résistance civile a contribué à la fin de l’occupation nazie en 1944, et mai 68 est toujours évoqué comme le mois où un mouvement massif composé d’étudiants parisiens et de syndicalistes qui se sont opposés avec succès à l’ordre établi en Europe.

Pas besoin d’être d’accord avec les manifestants ni les mythes qui les entourent pour reconnaître qu’ils ont toujours fait partie de l’identité de Paris. Qu’ils organisent des marches pacifiques (comme ils le font invariablement lorsque les autorités le leur permettent) ou qu’ils affrontent la police, qu’ils arrachent des pavés ou incendient des voitures ou propriétés, les manifestants sont considérés comme l’incarnation des principes sacrés de la République française : « liberté, égalité, fraternité ». L’auteur François-Marie Arouet, mieux connu sous le nom de Voltaire, né à Paris au 18e siècle et fervent défenseur des droits civils, reste associé à la citation : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Il n’a pas réellement inventé cette expression. Elle a été créée par une biographe britannique, Evelyn Beatrice Hall, mais elle reflète son opinion et celle de la majorité des parisiens au cours de l’histoire et est toujours d’actualité.

Amnesty International l’avait déjà précisé bien avant le rassemblement de dimanche qui avait été interdit et a entraîné l’arrestation de 70 personnes et l’accusation de 27 autres, principalement de jeunes hommes, de différents troubles de l’ordre public. Condamnant sévèrement le gouvernement de M. Hollande, Amnesty International a indiqué que celui-ci ne devrait pas être autorisé à étouffer les « intentions pacifiques » d’une large majorité de citoyens qui doivent bénéficier du « droit fondamental de réunion pacifique ».

La manifestation « interdite » de ce week-end coïncidait avec l’arrivée à Paris du secrétaire d’État américain John Kerry et de nombreux ministres étrangers appelant à la paix et notamment à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. La tentative de bâillonnement par les socialistes de milliers de parisiens honnêtes exprimant précisément la même opinion est honteuse.

Bon nombre des collègues socialistes plus âgés de M. Hollande sont en réalité des soixante-huitards : principalement des radicaux bourgeois, blancs et chrétiens qui pensaient que la meilleure manière de faire changer les choses était d’organiser des émeutes dans le centre de Paris. La différence avec les manifestations pro-palestiniennes est que celles-ci impliquent également des milliers de musulmans d’origine arabe et africaine. Une grande majorité d’entre eux partage les valeurs des innocents qui sont actuellement massacrés à Gaza.

Ceci est intolérable pour bon nombre de membres du gouvernement français, notamment M. Valls, qui a publiquement déclaré être « lié de manière éternelle […] à Israël ». Il fait donc tout son possible pour diaboliser quiconque le critique. Selon M. Valls, il n’est pas question de dénigrer la réaction extrêmement disproportionnée et inconsidérée d’Israël aux tirs de missiles obsolètes du Hamas en Israël, dont la plupart sont neutralisés par son système de défense baptisé « Iron Dome ». Il n’est pas fait mention des jeunes enfants assassinés par les Israéliens alors qu’ils jouaient au football sur la plage ou cherchaient refuge dans les écoles ou les hôpitaux.

De la même manière, M. Valls et ses collègues ne se sont pas excusés pour avoir accusé à tort les organisateurs d’être responsables des violences lors d’une manifestation pro-palestinienne à Paris le 13 juillet, qui a inauguré le cycle des manifestations autorisées et interdites. La rumeur était qu’une bande de voyous avait attaqué une synagogue située à proximité de la place de la Bastille, terrifiant les fidèles et causant de sérieux dommages au bâtiment.

En réalité, il a été prouvé ultérieurement qu’un groupe d’auto-défense bien connu appelé Ligue de défense juive (LDJ) s’était rassemblé à l’extérieur de la synagogue avant de se munir d’armes et d’aller affronter leurs ennemis jurés. Leurs cris de « Palestine, on t’****** » et leur complicité avec la police française ont été filmés. Aucun membre de la LDJ n’a été arrêté. Serge Benhaïm, président de la synagogue Don Isaac Abravanel, a admis qu’aucune attaque n’avait eu lieu à l’encontre de celle-ci et que la LDJ devrait être interdite en France (comme elle l’est en Grande-Bretagne et aux États-Unis) s’ils « ne peuvent être contrôlés ».

Rien n’excuse les violences ayant eu lieu à Sarcelles, en banlieue parisienne, il y a une semaine, lorsque des magasins et autres commerces juifs ont fait l’objet de menaces. La police s’est rassemblée autour d’une synagogue pour la protéger d’un groupe chantant : « Israël assassin, Hollande complice ». Intéressons-nous au profil des personnes arrêtées lors de cette manifestation et d’autres manifestations similaires : bon nombre sont adolescents (certains âgés de 15 ans) avec des antécédents de troubles de l’ordre public lors de matches de l’équipe de football Paris Saint-Germain. Ces enfants, tout comme les anarchistes et autres agitateurs politiques qui se joignent à toutes les grandes manifestations, ne représentent pas le mouvement pro-palestinien français. Ce sont purement et simplement des hooligans.

L’ancien ministre de gauche, Jean-Luc Mélenchon, a résumé la politique du gouvernement français quant aux manifestations pro-palestiniennes en déclarant qu’il était coupable de « provocation et de manipulation ». En tant que journaliste née à Paris, j’ai couvert toutes les manifestations actuelles et interviewé des juifs, des chrétiens, des musulmans et des personnes issues de presque toutes les croyances souhaitant exprimer leur soutien aux Palestiniens dont le destin a été brisé. Tout le monde, y compris M. Valls, M. Hollande et l’ensemble de leurs collègues du gouvernement, a le droit de ne pas être d’accord avec eux. Mais leur campagne cynique d’interdiction des manifestations est absolument scandaleuse et devrait être condamnée dans le monde entier.

Nabila Ramdani

 

Photo : Des manifestants pro-palestiniens français réunis sur la place de la République à Paris le 26 juillet pour protester contre les attaques continues des Israéliens à l’encontre de Gaza – Photo : AA

Article original :
http://www.middleeasteye.net/column…, Middle East Eye, 27 juillet 2014

Traduction : Claire L. pour Info-Palestine.eu –

Nabila Ramdani est une journaliste, chroniqueuse et animatrice franco-algérienne primée. Elle est spécialiste de la politique française, des affaires islamiques et du monde arabe. Elle rédige des chroniques pour les journaux The Guardian, The Observer, The Independent et London Evening Standard.

 

 



Articles Par : Nabila Ramdani

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