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Géopolitique de l’Impérialisme contemporain
Par Samir Amin
Mondialisation.ca, 12 novembre 2003
6 novembre 2005
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https://www.mondialisation.ca/g-opolitique-de-l-imp-rialisme-contemporain/1194

L’analyse que je propose ici s’inscrit dans une vision historique générale de l’expansion capitaliste développée ailleurs, sur laquelle je ne reviendrai pas ici ( 1). Dans cette vision le capitalisme a toujours été, depuis l’origine, un système polarisant par nature, c’est à dire impérialiste. Cette polarisation – c’est à dire la construction concomitante de centres dominants et de périphéries dominées, et leur reproduction s’approfondissant d’étape en étape – est immanente au procès d’accumulation du capital opérant à l’échelle mondiale, fondé sur ce que j’ai appelé « la loi de la valeur mondialisée ».

Dans cette théorie de l’expansion mondiale du capitalisme les transformations qualitatives des systèmes d’accumulation d’une phase à l’autre de son histoire façonnent à leur tour les formes successives de la polarisation asymétrique centres/périphéries c’est à dire de l’impérialisme concret. Le système mondial contemporain demeurera donc impérialiste (polarisant) pour tout l’avenir visible, pour autant que la logique fondamentale de son déploiement reste commandée par la dominance des rapports de production capitalistes. Cette théorie associe donc impérialiste et procès d’accumulation du capital à l’échelle mondiale que je considère comme ne constituant alors qu’une seule réalité dont les différentes dimensions sont de ce fait indissociables. Elle se différencie donc tant de la version vulgarisée de la théorie léniniste de « l’impérialisme phase suprême du capitalisme » (comme si les phases antérieures de l’expansion mondialisée du capitalisme n’avaient pas été polarisantes) que des théories post modernistes contemporaines qui qualifient la mondialisation nouvelle de « post impérialiste » ( 2).

1. Du conflit permanent des impérialismes à l’impérialisme collectif

Dans son déploiement mondialisé l’impérialisme s’était toujours conjugué au pluriel, depuis ses origines (le XVIe siècle) jusqu’en 1945. Le conflit des impérialismes, permanent et souvent violent, a occupé de ce fait une place aussi décisive dans la transformation du monde que la lutte de classes à travers laquelle s’expriment les contradictions fondamentales du capitalisme. Au demeurant luttes sociales et conflits des impérialismes s’articulent étroitement et c’est cette articulation qui commande le parcours du capitalisme réellement existant. Je signale également que l’analyse que j’ai proposée à cet égard se sépare largement de celle de la « succession des hégémonies ».

La seconde guerre mondiale s’est soldée par une transformation majeure concernant les formes de l’impérialisme : la substitution d’un impérialisme collectif associant l’ensemble des centres du système mondial capitaliste (pour simplifier la « triade » : les Etats Unis et leur province extérieure canadienne, l’Europe occidentale et centrale, le Japon) à la multiplicité des impérialismes en conflit permanent. Cette forme nouvelle de l’expansion impérialiste est passée par différentes phases de son développement, mais elle est bien toujours présente. Le rôle hégémonique éventuel des Etats Unis, dont il faudra alors préciser les bases comme les formes de son articulation au nouvel impérialisme collectif, doit être situé dans cette perspective. Ces questions posent problèmes, qui sont précisément ceux que je souhaiterais traiter dans cet article.

Les Etats Unis ont tiré un bénéfice gigantesque de la seconde guerre mondiale, qui avait ruiné ses principaux combattants – l’Europe, l’Union soviétique, la Chine et le Japon. Ils étaient donc en position d’exercer leur hégémonie économique : ils concentraient plus de la moitié de la production industrielle du monde d’alors et avaient l’exclusivité des technologies nouvelles qui allaient façonner le développement de la seconde moitié du siècle. De surcroît ils avaient l’exclusivité de l’arme nucléaire – la nouvelle arme « absolue ». C’est pourquoi je situe la coupure qui annonce l’après guerre non à Yalta comme on le dit le plus souvent (à Yalta les Etats Unis n’avaient pas encore l’arme) mais à Postdam (quelques jours avant le bombardement de Hiroshima et de Nagasaki). A Postdam le ton américain a changé : la décision d’engager ce qui allait devenir la « guerre froide « était prise par eux.

Ce double avantage absolu a été néanmoins érodé dans un temps relativement bref (deux décennies), par le double rattrapage, économique pour l’Europe capitaliste et le Japon, militaire pour l’Union soviétique. On se souviendra que ce recul relatif de la puissance des Etats Unis a alimenté à l’époque une floraison de discours sur « le déclin américain », et même la montée des hégémonismes alternatifs à venir (l’Europe, le Japon, plus tard la Chine …).

C’est le moment où se situe le gaullisme. De Gaulle considère que l’objectif des Etats Unis depuis 1945 est le contrôle de tout l’Ancien Monde (« l’Eurasie »). Et que Washington est parvenu à avancer ses pions en cassant l’Europe – l’Europe « vraie », de l’Atlantique à l’Oural, c’est à dire incluant la « Russie soviétique » comme il disait – en agitant le spectre d’une « agression » de Moscou à laquelle il ne croyait pas. Son analyse était, à mon avis, réaliste et parfaite. Mais il était à peu près le seul à le dire. La contre stratégie qu’il envisageait en contrepoint de « l’atlantisme » promu par Washington, était fondée sur la réconciliation franco-allemande, sur la base de laquelle la construction d’une « Europe non américaine » pourrait être mise en chantier, en ayant le soin de tenir à l’écart la Grande Bretagne, jugée – à juste titre – comme le cheval de Troie de l’atlantisme. L’Europe en question pourrait alors ouvrir la voie à une réconciliation avec la « Russie (soviétique) ». Réconcilier et rapprocher les trois grands peuples européens – les Français, les Allemands et les Russes – mettrait un terme définitif au projet américain de domination du monde. Le conflit interne propre au projet européen peut être alors résumé dans le choix entre deux alternatives : l’Europe (atlantiste), volet européen du projet américain ou l’Europe (intégrant en perspective la Russie) non atlantiste. Ce conflit n’est toujours pas résolu. Mais les évolutions ultérieures – la fin du gaullisme, l’admission de la Grande Bretagne dans l’Europe, l’élargissement à l’Est, l’effondrement soviétique – ont jusqu’à présent toutes favorisé ce que j’ai appelé « l’effacement de projet européen » et sa « double dilution dans la mondialisation économique néo-libérale et dans l’alignement politico-militaire sur Washington » ( 3 ). Cette évolution conforte par ailleurs la solidité du caractère collectif de l’impérialisme de la triade.

S’agit-il donc d’une transformation qualitative « définitive » (non conjoncturelle) ? Implique-t-elle forcément un « leadership » des Etats Unis d’une manière ou l’autre ? Avant de tenter de répondre à ces questions il est nécessaire d’expliciter avec davantage de précision ce en quoi consiste le « projet » des Etats Unis.

2. Le projet de la classe dirigeante des Etats Unis : étendre la doctrine Monroe à toute la Planète

Ce projet, que je qualifierai sans grande hésitation de démesuré, démentiel même, et de criminel par ce qu’il implique, n’est pas né dans la tête du Président Bush junior, pour être mis en œuvre par une junte d’extrême droite parvenue au pouvoir par une sorte de coup d’Etat, à la suite d’élections douteuses.

Il est le projet que la classe dirigeante des Etats Unis nourrit depuis 1945 et dont elle ne s’est jamais départie, même si, d’évidence, sa mise en œuvre est passée par des hauts et des bas, a connu quelques vicissitudes et a été ici et là mise en échec, et n’a pu être poursuivie avec la cohérence et la violence que celle-ci implique que dans certains moments conjoncturels comme le nôtre, suite à l’effondrement de l’Union soviétique.

Le projet a toujours donné un rôle décisif à sa dimension militaire. Il a été conçu après Potsdam comme je l’ai rappelé, fondé sur le monopole nucléaire. Très rapidement les Etats Unis ont mis en place une stratégie militaire globale, partagé la Planète en régions et affecté la responsabilité du contrôle de chacune d’elles à un « US Military Command ». Je renvoie à ce que j’ai écrit sur ce sujet avant même l’effondrement de l’URSS, et sur la position prioritaire occupée par le Moyen Orient dans cette vision stratégique globale ( 4) . L’objectif n’était pas seulement « d’encercler l’URSS » (et la Chine), mais tout également de disposer des moyens faisant de Washington le maître en dernier ressort de toutes les régions de la planète. Autrement dit d’étendre à toute la Planète la doctrine Monroe, qui effectivement donne aux Etats Unis le « droit » exclusif de gérer l’ensemble du Nouveau Monde conformément à ce qu’ils définissent comme leurs « intérêts nationaux ».

Le projet implique que la « souveraineté des intérêts nationaux des Etats Unis » soit placé au dessus de tous les autres principes encadrant les comportements politiques considérés comme des moyens « légitimes » ; il développe une méfiance systématique à l’égard de tout droit supranational. Certainement les impérialismes du passé ne s’étaient pas comporté différemment et ceux qui cherchent à atténuer les responsabilités – et les comportements criminels – de l’establishment des Etats Unis dans le moment actuel, et leur trouver des « excuses » (5 ), reprennent ce même argument – celui d’antécédents historiques indiscutables.

Mais c’est précisément ce qu’on aurait voulu voir changer dans l’histoire et qui était amorcé depuis 1945. C’est parce que le conflit des impérialismes et le mépris du droit international par les puissances fascistes avaient produit les horreurs de la seconde guerre mondiale que l’ONU a été fondée sur un principe nouveau proclamant le caractère illégitime de la guerre. Les Etats Unis, dira-t-on, non seulement ont fait leur ce principe, mais de surcroît en ont été largement les initiateurs précoces. Au lendemain de la première guerre mondiale Wilson préconisait de refonder la politique internationale précisément sur des principes autres que ceux qui, depuis le traité de Westphalie (1648) ont donné à la souveraineté des Etats monarchiques puis des Nations plus ou moins démocratiques ce caractère absolu remis en cause par le désastre auquel il a conduit la civilisation moderne. Peu importe que les vicissitudes de la politique intérieure des Etats Unis aient remis à plus tard la mise en œuvre de ces principes. F. Roosevelt, et même son successeur H. Truman, ont bien joué un rôle décisif dans le concept nouveau de multilatérialisme et la condamnation de la guerre qui l’accompagne, qui est à la base de la Charte des Nations Unies.

Cette belle initiative – soutenue par les peuples du monde entier à l’époque – qui représente effectivement un saut qualitatif et ouvre la voie au progrès de la civilisation, n’a néanmoins jamais emporté la conviction des classes dirigeantes des Etats Unis. Les autorités de Washington se sont toujours senties mal à l’aise dans le concert de l’ONU et aujourd’hui proclament brutalement ce qu’elles étaient contraintes de cacher jusqu’ici : qu’elles n’acceptent pas le concept même d’un droit international supérieur à ce qu’elles considèrent être les exigences de la défense de leurs « intérêts nationaux ». Je ne crois pas qu’il soit acceptable de trouver des excuses à ce retour à la vision que les Nazis avaient développée en leur temps en exigeant la destruction de la SDN. Le plaidoyer en faveur du droit, développé avec talent et élégance par Villepin au Conseil de Sécurité, n’est pas, dans ce sens, un « regard nostalgique sur le passé » mais au contraire un rappel de ce que l’avenir doit être. Ce sont les Etats Unis qui, à l’occasion, ont défendu un passé qu’on avait proclamé définitivement dépassé.

La mise en œuvre du projet est passée nécessairement par des phases successives façonnées par la réalité des rapports de force particuliers qui les définissaient.

Dans l’immédiat après guerre le leadership américain était non seulement accepté, mais même sollicité par les bourgeoises de l’Europe et du Japon. Car si la réalité d’une menace « invasion soviétique » ne pouvait convaincre que les faibles d’esprit, son invocation rendait de bons services à la droite comme aux sociaux-démocrates talonnés par leurs cousins-adversaires communistes. On pouvait alors croire que le caractère collectif du nouvel impérialisme n’était dû qu’à ce facteur politique et que, une fois le retard sur les Etats Unis rattrapé, l’Europe et le Japon chercheraient à se débarrasser de la tutelle encombrante et désormais inutile de Washington. Cela n’a pas été le cas. Pourquoi ?

Mon explication fait appel ici à la montée des mouvements de libération nationale en Asie et en Afrique -l’ère de Bandoung 1955-1975 – (6 ) et au soutien que l’Union soviétique et la Chine leur apportaient (chacun à sa manière). L’impérialisme était alors contraint de « faire avec », non seulement donc d’accepter la coexistence pacifique avec une aire vaste qui lui échappait largement (« le monde socialiste ») mais également de négocier les termes de la participation des pays d’Asie et d’Afrique au système mondial impérialiste. L’alignement du collectif de la triade sur le leader américain paraissait utile pour gérer les rapports Nord-Sud de l’époque. C’est la raison pour laquelle les Non Alignés se trouvaient alors confrontés à un « bloc occidental » pratiquement sans faille.

L’effondrement de l’Union soviétique mais tout également l’essoufflement des régimes de nationalisme populiste issus de la libération nationale ont évidemment permis au projet des Etats Unis de se redéployer avec une extrême vigueur, entre autre au Moyen Orient, mais aussi ailleurs en Afrique et en Amérique latine. Il reste que le projet demeure au service de l’impérialisme collectif, jusqu’à un certain point tout au moins (que je tenterai de préciser plus loin). Le gouvernement économique du monde sur la base des principes du néo-libéralisme, mis en œuvre par le G7 et les institutions à son service (l’OMC, la Banque mondiale, le FMI), les plans de réajustement structurel imposés au tiers monde essoufflé en sont l’expression. Sur le plan politique même on verra que dans un premier temps Européens et Japonais ont accepté de s’inscrire dans l’alignement sur le projet des Etats Unis, à l’occasion des guerres du Golfe (1991), puis de Yougoslavie et d’Asie centrale (2002), acceptant la marginalisation de l’ONU au bénéfice de l’OTAN. Ce premier temps n’est toujours pas dépassé, même si quelques signes indiquent son craquement possible à partir de la guerre d’Irak (2003).

La classe dirigeante des Etats Unis proclame sans retenue aucune qu’elle ne « tolèrera » pas la reconstitution d’une puissance économique et militaire quelconque capable de mettre en question son monopole de domination de la Planète, et s’est donnée, à cette fin, le droit de conduire des « guerres préventives ». Trois adversaires potentiels principaux sont visés ici.

En premier lieu la Russie, dont le démembrement, après celui de l’URSS, constitue désormais un objectif stratégique majeur des Etats Unis. La classe dirigeante russe ne paraissait pas l’avoir compris, jusqu’ici. Elle semblait convaincue qu’après avoir « perdu la guerre », elle pourrait « gagner la paix », comme cela l’a été pour l’Allemagne et le Japon. Elle oubliait que Washington avait besoin du redressement de ses deux adversaires de la seconde guerre mondiale, précisément pour faire face au défi soviétique. La conjoncture nouvelle est différente, les Etats Unis n’ayant plus de concurrent sérieux. Leur option est alors de détruire définitivement et complètement l’adversaire russe défait. Poutine l’a-t-il compris et amorce-t-il une sortie de la Russie de ses illusions ?

En second lieu la Chine , dont la masse et le succès économique inquiètent les Etats Unis dont l’objectif stratégique reste ici également le démembrement de ce grand pays (7).

L’Europe vient en troisième position dans cette vision globale des nouveaux maîtres du monde. Mais ici l’establishment nord américain ne paraît pas inquiet, tout au moins jusqu’à ce jour. L’atlantisme inconditionnel des uns (la Grande Bretagne, mais aussi les nouveaux pouvoirs serviles de l’Est), les « sables mouvants du projet européen » (point sur lequel je reviendrai), les intérêts convergents du capital dominant de l’impérialisme collectif de la triade, contribuent à l’effacement du projet européen, maintenu dans son statut de « volet européen du projet des Etats Unis ». La diplomatie de Washington était parvenue à maintenir l’Allemagne dans son sillage » la réunification et la conquête de l’Europe de l’Est ont même semblé renforcer cette alliance : l’Allemagne serait encouragée à reprendre sa tradition de « poussée vers l’Est » (le rôle joué par Berlin dans le démembrement de la Yougoslavie par la reconnaissance hâtive de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie en a été une expression (8) et, pour le reste, invité à naviguer dans le sillage de Washington. Renversement de la vapeur en cours ? La classe politique allemande paraît hésitante et peut être divisée quant à ses choix de stratégie. L’alternative à l’alignement atlantiste – qui semble avoir le vent en poupe – appelle, en contrepoint, un renforcement d’un axe Paris-Berlin-Moscou qui deviendrait alors le pilier le plus solide d’un système européen indépendant de Washington.

On peut maintenant revenir sur notre question centrale :nature et solidité éventuelle de l’impérialisme collectif de la triade, contradictions et faiblesses de son leadership par les Etats Unis.

3. Impérialisme collectif de la triade et hégémonisme des Etats Unis : leur articulation et leurs contradictions

Le monde d’aujourd’hui est militairement unipolaire. Simultanément des fractures semblent se dessiner entre les Etats Unis et certains des pays européens pour ce qui concerne la gestion politique d’un système mondialisé désormais aligné dans son ensemble sur les principes du libéralisme, en principe tout au moins. Ces fractures sont-elles seulement conjoncturelles et de portée limitée, ou annoncent-elles des changements durables ? Il faudra donc analyser dans toute leur complexité à la fois les logiques qui commandent le déploiement de la phase nouvelle de l’impérialisme collectif (les rapports Nord-Sud dans le langage courant) et les objectifs propres du projet des Etats Unis. Dans cet esprit j’aborderai succinctement et successivement cinq séries de questions.

  • Concernant la nature des évolutions qui ont pu conduire à la constitution du nouvel impérialisme collectif

Je suggère ici que la formation du nouvel impérialisme collectif trouve son origine dans la transformation des conditions de la concurrence. Il y a encore quelques décennies les grandes firmes livraient leurs batailles concurrentielles pour l’essentiel sur les marchés nationaux, qu’il s’agisse de celui de Etats Unis (le plus grand marché national au monde) ou même sur ceux des Etats européens (en dépit de leur taille modeste, ce qui les désavantageait par rapport aux Etats Unis). Les vainqueurs des « matchs » nationaux pouvaient se produire en bonne position sur le marché mondial. Aujourd’hui, la taille du marché nécessaire pour l’emporter au premier cycle de matchs approche des 500-600 millions de « consommateurs potentiels ». La bataille doit donc être livrée d’emblée sur le marché mondial et gagnée sur ce terrain. Et ce sont ceux qui l’emportent sur ce marché qui s’imposent alors et de surcroît sur leurs terrains nationaux respectifs. La mondialisation approfondie devient le cadre premier de l’activité des grandes firmes. Autrement dit dans le couple national/mondial les termes de la causalité sont inversés : autrefois la puissance nationale commandait la présence mondiale, aujourd’hui c’est l’inverse. De ce fait les firmes transnationales, quelle que soit leur nationalité, ont des intérêts communs dans la gestion du marché mondial. Ces intérêts se superposent aux conflits permanents et mercantiles qui définissent toutes les formes de la concurrence propres au capitalisme, quelles qu’elles soient.

La solidarité des segments dominants du capital transnationalisé de tous les partenaires de la triade est réelle, et s’exprime par leur ralliement au néo-libéralisme globalisé. Les Etats Unis sont vus dans cette perspective comme les défenseurs (militaires si nécessaire) de ces « intérêts communs ». Il reste que Washington n’entend pas « partager équitablement » les profits de son leadership. Les Etats Unis s’emploient au contraire à vassaliser leurs alliés, et dans cet esprit ne sont prêts à consentir à leurs alliés subalternes de la triade que des concessions mineures. Ce conflit d’intérêts du capital dominant est-il appelé à s’accuser au point d’entraîner une rupture dans l’alliance atlantique ? Pas impossible, mais peu probable.

  • Concernant la place des Etats Unis dans l’économie mondiale

L’opinion courante, est que la puissance militaire des Etats Unis ne constituerait que le sommet de l’iceberg, prolongeant une supériorité de ce pays dans tous les domaines, notamment économiques, voire politiques et culturels. La soumission à l’hégémonisme auquel il prétend serait donc de ce fait incontournable.

Je prétends, en contrepoint que, dans le système de l’impérialisme collectif les Etats Unis ne disposent pas d’avantages économiques décisifs, le système productif des Etats Unis est loin d’être « le plus efficient du monde ». Au contraire presque aucun de ses segments ne serait certain de l’emporter sur ses concurrents sur un marché véritablement ouvert comme l’imaginent les économistes libéraux. En témoigne le déficit commercial des Etats Unis qui s’aggrave d’année en année, passé de100 milliards de dollars en 1989 à 500 en 2002. De surcroît ce déficit concerne pratiquement tous les segments du système productif. Même l’excédent dont bénéficiaient les Etats Unis dans le domaine des biens de haute technologie, qui était de 35 milliards en 1990, a désormais laissé la place à un déficit. La concurrence entre Ariane et les fusées de la Nasa, Airbus et Boeing témoigne de la vulnérabilité de l’avantage américain. Face à l’Europe et au Japon pour les productions de haute technologie, à la Chine, à la Corée et aux autres pays industrialisés d’Asie et d’Amérique latine pour les produits manufacturés banals, à l’Europe et au cône sud d’Amérique latine pour l’agriculture, les Etats Unis ne l’emporteraient probablement pas sans le recours à des moyens « extra économiques » qui violent les principes du libéralisme imposés aux concurrents !

En fait les Etats Unis ne bénéficient d’avantages comparatifs établis que dans le secteur des armements, précisément parce que celui-ci échappe largement aux règles du marché et bénéficie du soutien de l’Etat. Sans doute cet avantage entraîne-t-il quelques retombées pour le civil (Internet en constitue l’exemple le plus connu), mais il est également à l’origine de distorsions sérieuses qui constituent des handicaps pour beaucoup de secteurs productifs.

L’économie nord américaine vit en parasite au détriment de ses partenaires dans le système mondial. « Les Etats Unis dépendent pour 10 % de leur consommation industrielle des biens dont l’importation n’est pas couverte par des exportations de produits nationaux » comme le rappelle Emmanuel Todd (9). Le monde produit, les Etats Unis (dont l’épargne nationale est pratiquement nulle) consomment. « L’avantage » des Etats Unis est celui d’un prédateur dont le déficit est couvert par l’apport des autres, consenti ou forcé. Les moyens mis en œuvre par Washington pour compenser ses déficiences sont de nature diverses : violations unilatérales répétées des principes du libéralisme, exportations d’armements, recherche de sur-rentes pétrolières (qui supposent la mise en coupe réglée des producteurs, l’un des motifs réels des guerres d’Asie centrale et d’Irak). Il reste que l’essentiel du déficit américain est couvert par les apports en capitaux en provenance de l’Europe et du Japon, du Sud (pays pétroliers riches et classes compradore de tous les pays du tiers monde, plus pauvres inclus), auquel on ajoutera la ponction exercée au titre du service de la dette imposée à la presque totalité des pays de la périphérie du système mondial.

La croissance des années Clinton, vantée comme étant le produit du « libéralisme » auquel l’Europe aurait malheureusement trop résisté, est en fait largement factice et en tout cas non généralisable, puisqu’elle repose sur des transferts de capitaux qui impliquent la stagnation des partenaires. Pour tous les segments du système productif réel, la croissance des Etats Unis n’a pas été meilleure que celle de l’Europe. Le « miracle américain » s’est exclusivement alimenté de la croissance des dépenses produites par l’aggravation des inégalités sociales (services financiers et personnels : légions d’avocats et de polices privées etc …). En ce sens le libéralisme de Clinton a bel et bien préparé les conditions qui ont permis l’essor réactionnaire et la victoire ultérieure de Bush fils.

Les causes qui sont à l’origine de l’affaiblissement du système productif des Etats Unis sont complexes. Elles ne sont certainement pas conjoncturelles, pouvant de ce fait être corrigées par exemple par l’adoption d’un taux de change correct, ou par la construction de rapports salaires/productivités plus favorables. Elles sont structurelles. La médiocrité des systèmes de l’enseignement général et de la formation, et le préjugé tenace favorisant systématiquement le « privé » au détriment du service public, comptent parmi les raisons majeures de la crise profonde que traverse la société des Etats Unis.

On devrait s’étonner donc que les Européens, loin de tirer les conclusions que le constat des insuffisance de l’économie des Etats Unis impose, s’activent au contraire à les imiter. Là également le virus libéral n’explique pas tout, même s’il remplit quelques fonctions utiles pour le système, en paralysant la gauche. La privatisation à outrance, le démantèlement des services publics ne pourront que réduire les avantages comparatifs dont bénéficie encore la « vieille Europe » (comme la qualifie Bush). Mais quels que soient les dommages qu’elles occasionneront à long terme, ces mesures offrent au capital dominant, qui vit dans le court terme, l’occasion de profits supplémentaires.

  • Concernant les objectifs propres du projet des Etats Unis

La stratégie hégémoniste des Etats Unis se situe dans le cadre du nouvel impérialisme collectif.

Les « économistes (conventionnels) » ne disposent pas de l’outillage analytique que leur permettrait de saisir toute l’importance du premier de ces objectifs. Ne les entend-on pas répéter ad nauseam que dans « la nouvelle économie » les matières premières que fournit le tiers monde sont appelées à perdre leur importance et que de ce fait celui-ci est de plus en plus marginal dans le système mondial. En contrepoint à ce discours naïf et creux (Le Mein Kampf de la nouvelle administration de Washington (10) avoue que les Etats Unis se sont donnés le droit de s’emparer de toutes les ressources naturelles de la Planète pour satisfaire en priorité les exigences de leur consommation. La course aux matières premières (le pétrole en premier lieu, mais tout autant d’autres ressources – l’eau notamment) a déjà repris toute sa virulence. D’autant que ces ressources risquent d’être raréfiées non seulement par le cancer exponentiel du gaspillage de la consommation occidentale, mais aussi par le développement de la nouvelle industrialisation des périphéries.

Par ailleurs un nombre respectable de pays du Sud sont appelés à devenir des producteurs industriels de plus en plus importants tant pour leurs marchés internes que sur le marché mondial. Importateurs de technologies, de capitaux, mais aussi concurrents à l’exportation, ils sont appelés à peser dans les équilibres économiques mondiaux d’un poids grandissant. Et il ne s’agit pas seulement de quelques pays de l’Asie de l’Est (comme la Corée), mais de l’immense Chine et, demain, de l’Inde et des grands pays d’Amérique latine. Or, loin d’être un facteur de stabilisation, l’accélération de l’expansion capitaliste dans le Sud ne peut être qu’à l’origine de conflits violents, internes et internationaux. Car cette expansion ne peut absorber, dans les conditions de la périphérie, l’énorme réserve de force de travail qui s’y trouve concentrée. De ce fait les périphéries du système demeurent la «zone des tempêtes ». Les centres du système capitalistes ont donc besoin d’exercer leur domination sur les périphéries, de soumettre leurs peuples à la discipline impitoyable que la satisfaction de ses priorités exige.

Dans cette perspective l’establishment américain a parfaitement compris que, dans la poursuite de son hégémonisme, il disposait de trois avantages décisifs sur ses concurrents européen et japonais: le contrôle des ressources naturelles du globe, le monopole militaire, le poids de la « culture anglo saxonne » par laquelle s’exprime préférentiellement la domination idéologique du capitalisme. La mise en oeuvre systématique de ces trois avantages éclaire beaucoup d’aspects de la politique des Etats Unis, notamment les efforts systématiques que Washington poursuit pour le contrôle militaire du Moyen Orient pétrolier,sa stratégie offensive à l’ égard de la Corée – mettant à profit la « crise financière » de ce pays – et à l’égard de la Chine, son jeu subtil visant à perpétuer les divisions en Europe – en mobilisant à cette fin son allié inconditionnel britannique – et à empêcher un rapprochement sérieux entre l’Union Européenne et la Russie. Au plan du contrôle global des ressources de la planète les Etats Unis disposent d’un avantage décisif sur l’Europe et le Japon. Non seulement parce que les Etats Unis sont la seule puissance militaire mondiale, et donc qu’aucune intervention forte dans le tiers monde ne peut être conduite sans eux. Mais encore parce que l’Europe (ex URSS exclue) et le Japon sont, eux, démunis des ressources essentielles à la suivie de leur économie. Par exemple leur dépendance dans le domaine énergétique, notamment leur dépendance pétrolière à l’égard du Golfe, est et restera longtemps considérable, même si elle devait décroître en termes relatifs. En s’emparant – militairement – du contrôle de cette région par la guerre d’Irak les Etats Unis ont démontré qu’ils étaient parfaitement conscients de l’utilité de ce moyen de pression dont ils disposent à l’égard de leurs alliés-concurrents. Naguère le pouvoir soviétique avait également compris cette vulnérabilité de l’Europe et du Japon et certaines interventions soviétiques dans le tiers monde avaient eu pour objet de le leur rappeler, de manière à les amener à négocier sur d’autres terrains. Evidemment les déficiences de l’Europe et du Japon pourraient être compensées dans l’hypothèse d’un rapprochement sérieux Europe-Russie ( « la maison commune » de Gorbatchev) C’est la raison même pour laquelle le danger de cette construction de l’Eurasie est vécu par Washington comme un cauchemar.

  • Concernant les conflits qui opposent, dans ce cadre, les Etats Unis et leurs partenaires de la Triade

Si les partenaires de la Triade partagent des intérêts communs que la gestion mondiale de l’impérialisme collectif implique dans leurs relations avec le Sud, ils n’en sont pas moins dans un rapport de conflit potentiel sérieux.

La super puissance américaine vit au jour le jour grâce au flux des capitaux qui alimente le parasitisme de son économie et de sa société. La vulnérabilité des Etats Unis constitue, de ce fait, une menace sérieuse pour le projet de Washington.

L’Europe en particulier, mais le reste du monde en général, devront choisir entre l’un ou l’autre des deux options stratégiques suivantes : placer le « surplus » de leurs capitaux (« d’épargne ») dont ils disposent pour financer le déficit des Etats Unis (de la consommation, des investissements et des dépenses militaires) ; ou conserver et investir chez eux ce surplus.

Les économistes conventionnels ignorent le problème, ayant fait l’hypothèse (qui n’est qu’un non sens) que la « mondialisation » ayant supprimé les Nations, les grandeurs économiques (épargne et investissement) ne peuvent plus être gérées « aux niveaux nationaux ». Il s’agit là d’un raisonnement tautologique qui implique dans ses prémisses mêmes les conclusions auxquelles on souhaite parvenir : justifier et accepter le financement du déficit des Etats Unis par les autres puisque, au niveau mondial, on retrouve bien l’égalité épargne-investissement !

Pourquoi donc une telle ineptie est-elle acceptée ? Sans doute les équipes « d’économistes-savants » qui encerclent les classes politiques européennes (et autres, russes et chinoises) de droite comme de la gauche électorale sont-elles elles mêmes victimes de leur aliénation économiciste, de ce que j’appelle le « virus libéral ». Au delà, à travers cette option s’exprime en fait le jugement politique du grand capital transnationalisé qui considère que les avantages procurés par la gestion du système mondialisé par les Etats Unis pour le compte de l’impérialisme collectif l’emportent sur ses inconvénients : le tribut qu’il faut payer à Washington pour en assurer la permanence. Car il s’agit bien là d’un tribut et non d’un « placement » de bonne rentabilité garantie. Il y a des pays qualifiés de « pays pauvres endettés » qui sont toujours contraints d’assurer le service de leur dette quelqu’en soit le prix. Mais il y a aussi un « pays puissant endetté» qui dispose des moyens qui lui permettront de dévaloriser sa dette s’il le juge nécessaire.

L’autre option consisterait donc pour l’Europe (et le reste du monde) à mettre un terme à la transfusion en faveur des Etats Unis. Le surplus pourrait alors être utilisé sur place (en Europe) et relancer l’économie. Car la transfusion exige la soumission des Européens à des politiques « déflationnistes » (terme impropre du langage de l’économie conventionnelle) – je dirai « stagnationnistes » – de manière à dégager un surplus d’épargne exportable. Elle fait dépendre une reprise en Europe – toujours médiocre – de celle – soutenue artificiellement – des Etats Unis. En sens inverse la mobilisation de ce surplus pour des emplois locaux en Europe permettrait de relancer simultanément la consommation (par la reconstruction de la dimension sociale de la gestion économique dévastée par le virus libéral), l’investissement – et particulier dans les technologies nouvelles (et financer leurs recherches), voire la dépense militaire (mettant un terme aux « avantages » des Etats Unis dans ce domaine). L’option en faveur de cette réponse au défi implique un rééquilibrage des rapports sociaux en faveur des classes travailleuses. Conflits des Nations et luttes sociales s’articulent de cette manière. En d’autres termes le contraste Etats Unis/Europe n’oppose pas fondamentalement les intérêts des segments dominants du capital des différents partenaires. Il résulte avant tout de la différence des cultures politiques.

  • Concernant les questions de théorie que les réflexions précédentes suggèrent

La complicité-concurrence entre les partenaires de l’impérialisme collectif pour le contrôle du Sud – le pillage de ses ressources naturelles et la soumission de ses peuples – peut être analysée à partir d’angles de visions différentes. Je ferai, à cet égard, trois observations qui me paraissent majeures.

Première observation : le système mondial contemporain, celui que je qualifie d’impérialiste collectif, n’est pas « moins » impérialiste que les précédents. Il n’est pas un « Empire » de nature « post capitaliste ». J’ai proposé ailleurs une critique des formulations idéologiques de « déguisement » qui alimentent le discours dominant de « l’air du temps » (11).

Seconde observation : j’ai proposé une lecture de l’histoire du capitalisme, mondialisé dès l’origine, axée sur la distinction entre les différentes phases de l’impérialisme (des rapports centres/périphéries). Il existe bien entendu d’autres lectures de cette même histoire, notamment celle qui s’articule autour de la « succession des hégémonies » (12).

J’ai quelques réserves à l’égard de cette dernière lecture.

D’abord et pour l’essentiel parce qu’elle est « occidentalocentrique » dans ce sens qu’elle considère que les transformations qui opèrent au cœur du système, dans ses centres, commandent d’une manière décisive – et presqu’exclusive – l’évolution globale du système. Je crois que les réactions des peuples des périphéries au déploiement impérialiste ne doivent pas être sous estimées. Car elles ont provoqué ne serait-ce que l’indépendance des Amériques, les grandes révolutions faites au nom du socialisme (Russie, Chine), la reconquête de l’indépendance par les pays asiatiques et africains, et je ne crois pas qu’on puisse rendre compte de l’histoire du capitalisme mondial sans tenir compte des « ajustements » que ces transformations ont imposé au capitalisme central lui même.

Ensuite parce que l’histoire de l’impérialisme me paraît davantage avoir été faite à travers le conflit des impérialismes que par le type « d’ordre » que des hégémonies successives auraient imposé. Les périodes « d’hégémonie » apparente ont toujours été fort brèves et l’hégémonie en question très relative.

Troisième observation : mondialisation n’est pas synonyme « d’unification » du système économique par « l’ouverture dérégulée des marchés ». Cette dernière – dans ses formes historiques successives (« la liberté du commerce » hier, la « liberté d’entreprise » aujourd’hui) n’a jamais constitué que le projet du capital dominant. Dans la réalité ce projet a presque toujours été contraint de s’ajuster à des exigences qui ne relèvent pas de sa logique interne exclusive et propre. Il n’a donc jamais pu être mis en œuvre autrement que dans des moments brefs de l’histoire. Le « libre échange » promu par la puissance industrielle majeure de son époque – la Grande Bretagne – n’a été effectif que pendant deux décennies (1860-1880) auxquels a succédé un siècle (de 1880 à 1980) caractérisé à la fois par le conflit des impérialistes et par la déconnexion forte des pays dits socialistes (à partir de la révolution russe de 1917, puis de celle de la Chine) et plus modeste des pays de nationalisme populiste (l’ère de Bandoung pour l’Asie et l’Afrique de 1955 à 1975). Le moment actuel de réunification du marché mondial (la « libre entreprise ») inauguré par le néo-libéralisme à partir de 1980 a étendu à l’ensemble de la planète avec l’effondrement soviétique, n’est probablement pas appelé à connaître un sort meilleur. Le chaos qu’il génère – terme par lequel j’ ai qualifié ce système dés 1990 – témoigne de son caractère « d’utopie permanente du capital »(13).

  1. Le Moyen Orient dans le système impérialiste

1-Le Moyen Orient, avec désormais ses extensions en direction du Caucase et de l’Asie Centrale ex soviétiques, occupe une position d’une importance particulière dans la géostratégie/géopolitique de l’impérialisme et singulièrement du projet hégémoniste des Etats Unis. Il doit cette position à trois facteurs : sa richesse pétrolière, sa position géographique au cœur de l’Ancien Monde, et le fait qu’il constitue désormais le « ventre mou » du système mondial.

L’accès au pétrole à bon marché relatif est vital pour l’économie de la triade dominant ; et le meilleur moyen de voir cet accès garanti consiste, bien entendu, à s’assurer le contrôle politique de la région.

Mais la région tient son importance tout également à sa position géographique, au centre de l’ancien Monde, à égale distance de Paris, Pékin, Singapour, Johannesburg. Dans les temps anciens le contrôle de ce lieu de passage obligé avait donné au Califat le privilège de tirer le meilleur des bénéfices de la mondialisation de l’époque (14). Après la seconde guerre mondiale la région, située sur le flanc sud de l’URSS, occupait de ce fait une place de choix dans la stratégie d’encerclement militaire de la puissance soviétique. Et la région n’a pas perdu son importance, en dépit de l’effondrement de l’adversaire soviétique ; en s’y installant les Etats Unis parviendraient simultanément à vassaliser l’Europe, dépendante pour son ravitaillement énergétique, et à soumettre la Russie, la Chine et l’Inde à un chantage permanent assorti de menaces d’interventions militaires si nécessaire. Le contrôle de la région permettrait donc effectivement l’extension à l’ancien Monde de la doctrine Monroe, qui constitue l’objectif du projet hégémoniste des Etats Unis.

Les efforts déployés avec continuité et constance par Washington depuis 1945 pour s’assurer le contrôle de la région – et en exclure les Britanniques et les Français – n’avaient jusqu’ici pas été couronnés de succès. On se souvient de l’échec de leur tentative d’associer la région à l’OTAN par le biais du pacte de Bagdad, comme plus tard de la chute du Shah d’Iran, l’un de leurs alliés parmi les plus fidèles.

La raison en est que tout simplement le projet du populisme nationaliste arabe (et iranien) entrait de plein fouet en conflit avec les objectifs de l’hégémonisme américain. Ce projet arabe avait l’ambition certaine d’imposer la reconnaissance par les Puissances de l’indépendance du monde arabe. C’était le sens du « non alignement », formulé dès 1955 à Bandoung par l’ensemble des mouvements de libération des peuples d’Asie et d’Afrique, qui avaient le vent en poupe. Les Soviétiques ont rapidement compris qu’en apportant leur soutien à ce projet ils tiendraient en échec les plans agressifs de Washington.

La page de cette époque est tournée, d’abord parce que le projet nationaliste populiste du monde arabe a rapidement épuisé son potentiel de transformation, les pouvoirs nationalistes se sont enfoncés dans des dictatures sans programme. Le vide créé par cette dérive a ouvert la voie à l’Islam politique et aux autocraties obscurantistes du Golfe, les alliés préférentiels de Washington. La région est devenue l’un des ventres du système global, produisant des conjonctures qui permettent l’intervention extérieure (y compris militaire) que les régimes en place ne sont plus à même de contenir – ou de décourager – faute de légitimité auprès de leurs peuples.

La région constituait – et continue à constituer – dans le découpage géomilitaire américain qui couvre la planète entière, une zone considérée comme étant de première priorité (comme les Caraïbes) c’est à dire une zone où les Etats Unis se sont octroyés le « droit » d’intervention militaire. Depuis 1990 ils ne s’en privent pas !

Les Etats Unis opèrent au Moyen orient en étroite collaboration avec leurs deux alliés fidèles inconditionnels – la Turquie et Israël. L’Europe s’est tenue à l’écart de la région, acceptant que les Etats Unis y défendent seuls les intérêts vitaux globaux de la triade, c’est à dire son ravitaillement en pétrole. En dépit des signes d’irritation évident, depuis la guerre d’Irak les Européens continuent dans l’ensemble à naviguer dans la région dans le sillage de Washington.

2-L’expansionnisme colonial d’Israël constitue un défi réel. Israël est le seul pays au monde qui refuse de se reconnaître des frontières définitives quelconques (et à ce titre n’aurait pas le droit d’être membre des Nations Unis). Comme les Etats Unis au XIXe siècle il considère qu’il a le « droit » de conquérir de nouvelles aires pour l’expansion de sa colonisation et y traiter les peuples qui les habitent depuis mille ans sinon davantage comme des Peaux Rouges. Israël est le seul pays qui déclare ouvertement ne pas s’estimer lié par les résolutions de l’ONU.

La guerre de 1967, planifiée en accord avec Washington dès 1965, poursuivait plusieurs objectifs : amorcer l’effondrement des régimes nationalistes populistes, briser leur alliance avec l’Union soviétique, les contraindre à se repositionner dans le sillage américain, ouvrir des terres nouvelles à la colonisation sioniste. Dans les territoires conquis en 1967 Israël mettait donc en place un système d’apartheid inspiré de celui de l’Afrique du Sud.

C’est ici que les intérêts du capital dominant mondialement rejoignent ceux du sionisme. Car un monde arabe modernisé, riche et puissant remettrait en question l’accès garanti des pays occidentaux au pillage de ses ressources pétrolières, nécessaire à la poursuite du gaspillage associé à l’accumulation capitaliste. Les pouvoirs politiques dans les pays de la Triade tels qu’ils sont – c’est à dire fidèles servants du capital transnational dominant – ne veulent pas d’un monde arabe modernisé et puissant.

L’alliance entre les puissances occidentales et Israël est donc fondée sur le socle solide de leurs intérêts communs. Cette alliance n’est ni le produit d’un sentiment de culpabilité des Européens, responsables de l’antisémitisme et du crime nazi, ni celui de l’habileté du « lobby juif » à exploiter ce sentiment. Si les puissances occidentales pensaient que leurs intérêts étaient desservis par l’expansionnisme colonial sioniste ils trouveraient rapidement les moyens de surmonter leur « complexe » et de neutraliser le « lobby juif ». Je n’en doute pas, n’étant pas de ceux qui croient naïvement que l’opinion publique dans les pays démocratiques tels qu’ils sont impose ses vues aux pouvoirs. On sait que l’opinion « ça se fabrique » aussi. Israël est incapable de résister plus que quelques jours à des mesures (même modérées) d’un blocus qu’on lui imposerait comme celui que les puissances occidentales ont infligé à la Yougoslavie, à l’Irak, à Cuba. Il ne serait donc pas difficile de mettre Israël à raison et de créer les conditions d’une paix véritable, si on le voulait. On ne le veut pas.

Au lendemain de la défaite de 1967 Sadate déclarait que puisque les Etats Unis détenaient dans leur jeu « 90 % des cartes » (c’était son expression même) il fallait rompre avec l’URSS, réintégrer le camp occidental et que, ce faisant, on pourrait obtenir de Washington qu’il exerce une pression suffisante sur Israël pour l’amener à la raison. Au delà même de cette « idée stratégique » propre à Sadate – dont la suite des évènements a prouvé l’inconsistance – l’opinion publique arabe demeure largement incapable de comprendre la dynamique de l’expansion capitaliste mondiale, encore moins d’y identifier les contradictions et faiblesses véritables. N’entend-on pas dire et répéter que « les Occidentaux comprendront à la longue que leur intérêt même est d’entretenir de bonnes relations avec les deux cents millions d’Arabes – leurs voisins immédiats – et à ne pas sacrifier ces relations à leur soutien inconditionnel à Israël » ? C’est implicitement penser que les « Occidentaux » en question (c’est à dire le capital dominant) souhaitent un monde arabe modernisé et développé, et ne pas comprendre qu’ils veulent au contraire le maintenir dans l’impuissance et que pour cela leur soutien à Israël leur est utile.

L’option faite par les gouvernements arabes – à l’exception de la Syrie et du Liban – qui les a conduit par la négociation de Madrid et d’Oslo (1993) à souscrire au plan américain de prétendue « paix définitive », ne pouvait donner d’autres résultats que ceux qu’elle a donnés : encourager Israël à avancer ses pions dans son projet expansionniste. En rejetant aujourd’hui ouvertement les termes du « contrat d’Oslo », Ariel Sharon démontre seulement ce qu’on aurait du comprendre plus tôt – à savoir qu’il ne s’agissait pas d’un projet de « paix définitive », mais d’ouvrir une étape nouvelle à l’expansion coloniale sioniste.

L’état de guerre permanente qu’Israël et les puissances occidentales qui soutiennent son projet imposent dans la région constitue à son tour un motif puissant permettant aux systèmes arabes autocratiques de se perpétuer. Ce blocage d’une évolution démocratique possible affaiblit les chances d’un renouveau arabe et fait donc l’affaire du déploiement du capital dominant et de la stratégie hégémoniste des Etats Unis. La boucle est bouclée : l’alliance israélo-américaine sert parfaitement les intérêts des deux partenaires.

Dans un premier temps ce système d’apartheid mis en place depuis 1967 a donné l’impression d’être capable de parvenir à ses fins, la gestion peureuse de la quotidienneté dans les territoires occupés par les notabilités et la bourgeoisie commerçante paraissant acceptée par le peuple palestinien. L’OLP éloignée de la région après l’invasion du Liban par l’armée israélienne (1982) paraissait ne plus avoir les moyens – de son exil lointain de Tunis – de remettre en cause l’annexion sioniste.

Le première intifida éclate en décembre 1987. Explosion d’apparence « spontanée », elle exprime l’irruption sur la scène des classes populaires, et singulièrement de ses segments les plus pauvres, confinés dans les camps de réfugiés. L’intifada boycotte le pouvoir israélien par l’organisation d’une désobéissance civique systématique. Israël réagit avec brutalité ; mais ne parvient ni à rétablir son pouvoir policier efficace ni à remettre en selle celui des classes moyennes tampons palestiniennes peureuses. Au contraire l’intifada appelle un retour en masse des forces politiques en exil, la constitution de nouvelles formes locales d’organisation et le ralliement des classes moyennes à la lutte de libération engagée. L’intifada a été le fait de jeunes – Chebab al intifada – au départ non organisés dans les réseaux formels de l’OLP, mais pas davantage concurrents hostiles à ceux-ci. Les quatre composantes de l’OLP (Fath, dévoué à son chef Yasser Arafat, le FDLP et le FPLP, le Parti Communiste) se sont immédiatement engouffrés dans l’intifada et de ce fait ont gagné à eux la sympathie de beaucoup de ces Chebab. Les Frères Musulmans dépassés par leur faible activité durant les années précédentes en dépit de quelques actions du Jihad islamique faisant son apparition en 1980 cédaient la place à une nouvelle expression de lutte – Hamas, constitué en 1988.

Tandis que cette première intifada donnait après deux ans d’expansion des signes d’essoufflement tant la répression israélienne a été violente (usage d’armes à feu contre des enfants, fermeture de la « ligne verte » aux travailleurs palestiniens, source devenue exclusive de revenus pour leurs familles etc.), la scène était montée pour une « négociation » dont les Etats Unis ont pris l’initiative conduisant à Madrid (1991) puis aux accords dits de paix d’Oslo (1993). Ces accords ont permis le retour de l’OLP dans les territoires occupés et sa transformation en une « Autorité palestinienne » (1994).

Les accords d’Oslo avaient imaginé la transformation des territoires occupés en un ou plusieurs Bantoustans, définitivement intégrés dans l’espace israélien. Dans ce cadre l’Autorité Palestinienne ne devait être qu’un faux Etat – comme ceux des Bantoustans -, en fait la courroie de transmission de l’ordre sioniste.

Rentré en Palestine, l’OLP devenue Autorité est parvenue à établir son ordre, non sans quelque ambiguïté. L’Autorité a absorbé dans ses nouvelles structures la majeure partie des Chebab qui avaient coordonné l’intifada. Elle est parvenue à se donner une légitimité par la consultation électorale de 1996, à laquelle les Palestiniens ont participé en masse (80 %), tandis que Arafat se faisait plébisciter Président de cette Autorité. L’Autorité demeure néanmoins dans une position ambiguë : acceptera-t-elle de remplir les fonctions qu’Israël, les Etats Unis et l’Europe lui attribuent – celle de « gouvernement d’un Bantoustan » ? ou se rangera-t-elle avec le peuple palestinien qui refuse de se soumettre ?

C’est bien parce que le peuple palestinien refuse le projet de Bantoustan qu’Israël a décidé de dénoncer les accords d’Oslo, dont il avait pourtant dicté les termes, pour leur substituer l’emploi de la violence militaire pure et simple. La provocation du plateau des Mosquées, mise en œuvre par le criminel de guerre Sharon en 1998 (mais avec le soutien du gouvernement alors travailliste qui lui a fourni les chars d’assaut), l’élection triomphale de ce même criminel à la tête du gouvernement d’Israël (et la collaboration des « colombes » comme Simon Peres à ce gouvernement), sont donc à l’origine de la seconde intifada, en cours.

Celle-ci parviendra-t-elle à libérer le peuple palestinien de la perspective de sa soumission planifiée à l’apartheid sioniste . Trop tôt pour le dire. En tout cas le peuple palestinien dispose maintenant d’un véritable mouvement de libération nationale. Il a ses spécificités. Il n’est pas du style « parti unique », d’apparence (sinon en réalité) « unanime » et homogène. Il est fait de composantes qui conservent leurs personnalités propres, leurs visions de l’avenir, leurs idéologies même, leurs militants et même leurs clientèles, mais qui, apparemment savent s’entendre pour mener la lutte ensemble.

3-L’érosion des régimes de nationalisme populiste et la disparition du soutien soviétique ont donné aux Etats Unis l’occasion de mettre en œuvre pour « projet » pour la région, sans obstacle capable de les faire reculer jusqu’ici

Le contrôle du Moyen Orient est certainement une pièce maîtresse du projet d’hégémonie mondiale de Washington. Comment donc les Etats Unis imaginent-ils s’assurer le contrôle ?Il y a déjà une dizaine d’années Washington avait pris l’initiative d’avancer le projet curieux d’un « marché commun du Moyen Orient » dans lequel des pays du Golfe auraient fourni le capital, les autres pays arabes la main d’œuvre à bon marché, réservant à Israël le contrôle technologique et les fonctions de l’intermédiaires obligé. Accepté par les pays du Golfe et l’Egypte, le projet se heurtait néanmoins au refus de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran. Il fallait donc, pour aller de l’avant, abattre ces trois régimes. Or c’est aujourd’hui fait pour l’Irak.

La question est alors de savoir quel type de régime politique doit être mis en place, capable de soutenir le projet. Les discours d’emballage de la propagande de Washington parlent de « démocraties ». En fait Washington ne s’emploie à rien d’autre qu’à substituer aux autocraties usées du populisme dépassé des autocraties obscurantistes prétendues « islamiques » (respect de la spécificité culturelle des « communautés » oblige). L’alliance renouvelée avec un Islam politique dit « modéré » (c’est à dire capable de maîtriser la situation avec suffisamment d’efficacité pour interdire les dérives « terroristes » – celles dirigées contre les Etats Unis et elles seules bien entendu) constitue l’axe de l’option politique de Washington au demeurant son seule option possible. C’est dans cette perspective que la réconciliation avec l’autocratie archaïque du système séoudien sera recherchée.

Face au déploiement du projet des Etats Unis, les Européens inventaient leur propre projet, baptisé « partenariat euro-méditerranéen ». Un projet fort peu hardi, encombré de bavardages sans suite, mais qui, lui également, se proposait de « réconcilier les pays arabes avec Israël », tandis qu’en excluant les pays du Golfe du « dialogue euro-méditerranéens » ces mêmes Européens reconnaissaient par là même que la gestion de ces derniers pays relevait de la responsabilité exclusive de Washington (15)

Le contraste saisissant entre l’audace téméraire du projet américain et la débilité de celui de l’Europe est un bel indicateur que l’atlantisme réellement existant ignore le « sharing » (le partage des responsabilités et l’association dans la prise de décision, plaçant sur pied d’égalité les Etats Unis et l’Europe). Tony Blair, qui se fait l’avocat de la construction d’un monde « unipolaire » croit pouvoir justifier cette option parce que l’atlantisme qui le permettrait serait fondé sur le « sharing ». L’arrogance de Washington dément chaque jour davantage cet espoir illusoire, si ce n’est tout simplement pas là le moyen de berner les opinions européennes. Le réalisme du propos de Staline qui avait dit en son temps des nazis « qu’ils ne savaient pas où il fallait s’arrêter « s’applique à la lettre à la junte qui gouverne les Etats Unis. Et les « espoirs » que Blair tente de réanimer n’en ressemblent que davantage à ceux que Mussolini plaçait dans sa capacité « d’assagir » Hitler !

Une autre option européenne est-elle possible ? Se dessine-t-elle ? Le discours de Chirac opposant au monde « atlantique unipolaire » (qu’il comprend bien, semble-t-il, comme étant en fait synonyme d’hégémonie unilatérale des Etats Unis, réduisant le projet européen à n’être rien de plus que le volet européen du projet de Washington) la construction d’un monde « multipolaire » annonce-t-il la fin de l’atlantisme ?

Pour que cette possibilité devienne réalité encore faudrait-il que l’Europe parvienne à sortir des sables mouvants sur lesquels elle patine.

. Les sables mouvants du projet européen

Tous les gouvernements des Etats européens sont jusqu’à présent ralliés aux thèses du libéralisme. Ce ralliement des Etats européens ne signifie donc rien de moins que l’effacement du projet européen, sa double dilution économique (les avantages de l’union économique européenne se dissolvent dans la mondialisation économique) et politique (l’autonomie politique et militaire européenne disparaît). Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de projet européen. On lui a substitué un projet nord atlantique (ou éventuellement de la Triade) sous commandement américain.

Les guerres « made in USA » ont certainement réveillé les opinions publiques – partout en Europe contre la dernière en date, celle d’Irak – et même certains gouvernements, en premier lieu celui de la France, mais aussi ceux de l’Allemagne, de la Russie et au delà de la Chine. Il reste que ces mêmes gouvernements n’ont pas remis en cause leur fidèle alignement sur les exigences du libéralisme. Cette contradiction majeure devra être surmontée d’une manière ou d’une autre, soit par la soumission aux exigences de Washington, soit par une véritable rupture mettant un terme à l’atlantisme.

La conclusion politique majeure que je tire de cette analyse est que l’Europe ne peut pas sortir de l’atlantisme tant que les alliances politiques qui définissent les blocs au pouvoir resteront centrés sur le capital transnational dominant. C’est seulement si les luttes sociales et politiques parviennent à modifier le contenu de ces blocs et à imposer de nouveaux compromis historiques entre le capital et le travail qu’alors l’Europe pourra prendre quelques distances à l’égard de Washington, permettant le renouveau d’un projet européen éventuel. Dans ces conditions l’Europe pourrait – devrait même – également s’engager sur le plan international, dans ses relations avec l’Est et le Sud, sur un autre chemin que celui tracé par les exigences exclusives de l’impérialisme collectif, amorçant ainsi sa participation à la longue marche « au delà du capitalisme ». Autrement dit l’Europe sera de gauche (le terme de gauche étant pris ici au sérieux) ou ne sera pas.

Concilier le ralliement au libéralisme et l’affirmation d’une autonomie politique de l’Europe ou des Etats qui la constituent demeure l’objectif de certaines fractions des classes politiques européennes soucieuses de préserver les positions exclusives du grand capital. Pourront-elles y parvenir ? J’en doute fort.

En contrepoint les classes populaires en Europe, ici ou là tout au moins, seront-elles capables de surmonter la crise qui les frappe ? Je le crois possible, précisément pour les raisons qui font que la culture politique de certains pays européens au moins, différente de celle des Etats Unis, pourrait produire cette renaissance de la gauche. La condition est évidemment que celle-ci se libère du virus du libéralisme.

Le « projet européen » est né comme le volet européen du projet atlantiste des Etats Unis, conçu au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans l’esprit de la « guerre froide » mise en œuvre par Washington, projet auquel les bourgeoisies européennes – à la fois affaiblies et craintives à l’égard de leurs propres classes ouvrières – ont adhéré pratiquement sans conditions.

Cependant le déploiement lui même de ce projet – fut-il d’origine douteuse – a progressivement modifié des données importantes du problème et des défis. L’Europe de l’Ouest est parvenue à « rattraper » son retard économique et technologique par rapport aux Etats Unis, ou en a les moyens. Par ailleurs « l’ennemi soviétique » n’est plus. D’autre part le déploiement du projet a gommé les adversités principales et violentes qui avaient marqué un siècle et demi l’histoire européenne : les trois pays majeurs du continent – la France, l’Allemagne et la Russie – sont réconciliés. Toutes ces évolutions sont, à mon avis, positives et riches d’un potentiel encore plus positif. Certes ce déploiement s’est inscrit sur des bases économiques inspirées par les principes du libéralisme, mais d’un libéralisme qui a été tempéré jusqu’aux années 1980 par la dimension sociale prise en compte par et à travers le « compromis historique social démocrate » contraignant le capital à s’ajuster à la demande de justice sociale exprimée par les classes travailleuses. Depuis le déploiement se poursuit dans un cadre social nouveau inspiré par le libéralisme « à l’américaine », anti social.

Ce dernier virage a plongé les sociétés européennes dans une crise multidimentionnelle. D’abord, il y a la crise économique tout court, immanente à l’option libérale. Une crise aggravée par l’alignement des pays de l’Europe sur les exigences économiques du leader nord américain, l’Europe consentant jusqu’ici à financer le déficit de ce dernier, au détriment de ses intérêts propres. Ensuite il y a une crise sociale qui s’accentue par la montée des résistances et des luttes des classes populaires contre les conséquences fatales de l’option libérale. Enfin, il y a l’amorce d’une crise politique – le refus de s’aligner, sans conditions tout au moins, sur l’option des Etats Unis : la guerre sans fin contre le Sud.

Comment les peuples et les Etats européens font-ils et feront-ils face à ce triple défi ?

Les européanistes de principe se partagent en trois ensembles passablement différents :

– Ceux qui défendent l’option libérale et acceptent le leadership des Etats Unis, à peu près sans conditions.

– Ceux qui défendent l’option libérale mais souhaiteraient une Europe politique indépendante, sortie de l’alignement américain.

– Ceux qui souhaiteraient (et luttent pour) une « Europe sociale » c’est à dire un capitalisme tempéré par un nouveau compromis social capital/travail opérant à l’échelle européenne, et simultanément une Europe politique pratiquant « d’autres relations » (sous entendu amicales, démocratiques et pacifiques) avec le Sud, la Russie et la Chine. L’opinion publique générale dans toute l’Europe a exprimé, au Forum Social Européen (Florence 2002) comme à l’occasion de la guerre d’Irak sa sympathie pour cette position de principe.

Il y a certes, en outre, des « non européens » au sens qu’ils ne pensent pas l’une quelconque des trois options des pro-européens souhaitable, ou même possible. Ceux là sont encore, pour le moment, fortement minoritaires, mais certainement appelés à se renforcer. Se renforcer d’ailleurs à travers l’une de deux options fondamentalement différentes :

– une option « populiste » de droite, refusant la progression de pouvoirs politiques – et peut être économiques – supra nationaux, à l’exception évidemment de ceux du capital transnational !

– une option populaire de gauche, nationale, citoyenne, démocratique et sociale.

Sur quelles forces s’appuie chacune de ces tendances et quelles sont leurs chances respectives ?

Le capital dominant est libéral, par nature. De ce fait il est porté, logique avec lui même, à soutenir la première des trois options. Tony Blair représente l’expression la plus cohérente de ce que j’ai qualifié « d’impérialisme collectif de la triade ». La classe politique ralliée derrière la bannière étoilée est disposée, si nécessaire, à « sacrifier le projet européen » – ou tout au moins à dissiper toute illusion à son sujet – en le maintenant dans le carcan de ses origines : être le volet européen du projet atlantiste. Mais Bush, comme Hitler, ne conçoit pas d’alliés autres que des subordonnés alignés sans conditions. C’est la raison pour laquelle des segments importants de la classe politique, y compris de droite – et bien que ceux-ci soient en principe des défenseurs des intérêts du capital dominant – refusent de s’aligner sur les Etats Unis comme hier sur Hitler. S’il y a un Churchill possible en Europe ce serait Chirac. Le sera-t-il ?

La stratégie du capital dominant peut s’accommoder d’un « anti-européanisme de droite », lequel se contentera alors de rhétoriques nationalistes démagogiques (mobilisant par exemple le thème des immigrés – du Sud bien entendu) tandis qu’il se soumettra en fait aux exigences d’un libéralisme non spécifiquement « européen », mais mondialisé. Aznar et Berlusconi constituent des prototypes de ces alliés de Washington. Les classes politiques serviles de l’Europe de l’Est également.

De ce fait je crois la seconde option difficile à tenir. Elle est cependant celle des gouvernements européens majeurs – la France et l’Allemagne. Exprime-t-elle les ambitions d’un capital suffisamment puissant pour être capable de s’émanciper de la tutelle des Etats Unis ? Question à laquelle je n’ai pas de réponse – . Possible, mais intuitivement je dirais peu probable.

Cette option est néanmoins celle d’alliés face à l’adversaire nord américain qui constitue l’ennemi principal de toute l’humanité. Je dis bien d’alliés parce que je suis persuadé que, s’ils persistent dans leur option, ils seront amenés à sortir de la soumission à la logique du projet unilatéral du capital (le libéralisme) et à chercher des alliances à gauche (les seules qui puissent donner force à leur projet d’indépendance vis à vis de Washington). L’alliance entre les ensembles deux et trois n’est pas impossible. Tout comme le fut la grande alliance anti-nazie.

Si cette alliance prend forme, alors devra-t-elle et pourra-t-elle opérer exclusivement dans le cadre européen, tous les européanistes étant incapables de renoncer à la priorité donnée à ce cadre ? Je ne le crois pas, parce que ce cadre, tel qu’il est et restera, ne favorise systématiquement que l’option du premier groupe pro-américain. Faudra-t-il alors faire éclater l’Europe et renoncer définitivement à son projet ?

Je ne le crois pas non plus nécessaire, ni même souhaitable. Une autre stratégie est possible : celle de laisser le projet européen « figé », pour un temps, à son stade actuel de développement, et de développer parallèlement d’autres axes d’alliances.

Je donnerais ici une toute première priorité à la construction d’une alliance politique et stratégique Paris-Berlin-Moscou- prolongée jusqu’à Pékin et Delhi si possible. Je dis bien politique ayant l’objectif de redonner au pluralisme international et à l’ONU toutes leurs fonctions. Et stratégique : construire ensemble des forces militaires à la hauteur du défi américain. Ces trois ou quatre puissances en ont tous les moyens, technologiques et financiers, renforcés par leurs traditions de capacités militaires devant lesquelles les Etats Unis font pâle figure. Le défi américain et ses ambitions criminelles l’imposent. Mais ces ambitions sont démesurées. Il faut le prouver. Constituer un front anti-hégémoniste est aujourd’hui, comme hier constituer une alliance anti-nazie, la toute première priorité.

Cette stratégie réconcilierait les « pro-européens » des groupes deux et trois et les « non européens » de gauche. Elle créerait donc des conditions favorables à la reprise plus tard d’un projet européen, intégrant même probablement une Grande Bretagne libérée de sa soumission aux Etats Unis et une Europe de l’Est débarrassé de sa culture servile. Soyons patients, cela prendra beaucoup de temps.

Il n’ y aura aucun progrès possible d’ un quelconque projet européen tant que la stratégie des Etats Unis n’ aura pas été mise en déroute.

  1. L’Europe face à son Sud arabe et méditerranéen

Le monde arabe et le Moyen Orient occupent une place décisive dans le projet hégémoniste des Etats Unis . La réponse que les Européens donneront au défi des Etats Unis dans la région devient alors l’ un des tests décisifs pour le projet européen lui même.

La question est donc de savoir si les riverains de la Méditerranée et de ses prolongements – Européens, Arabes, Turcs, Iraniens, pays de la Corne de l’Afrique – s’orienteront ou non vers une représentation de leur sécurité se différenciant de celle commandée par la primauté de la sauvegarde de l’hégémonie mondiale américaine. La raison pure devrait faire évoluer dans cette direction. Mais jusqu’à ce jour l’Europe n’a donné aucune indication allant dans ce sens. Une des raisons qui explique peut être, en partie, l’inertie européenne, est que les intérêts des partenaires de l’Union Européenne sont, sinon divergents, tout au moins chargés d’un coefficient de priorité relative fort différent d’un pays à l’autre. La façade méditerranéenne n’ est pas centrale dans les polarisations industrielles du capitalisme développé : les façades de la mer du Nord, du Nord Est atlantique américain et du Japon central sont d’une densité sans commune mesure. Pour les nordiques de l’Europe – Allemagne et Grande Bretagne – a fortiori pour les Etats Unis et le Japon, le danger de chaos dans les pays situés au Sud de la Méditerranée n’a pas la gravité qu’il devrait avoir pour les Italiens, les Espagnols et les Français.

Les différentes puissances européennes avaient eu jusqu’en 1945 des politiques méditerranéennes propres à chacune d’elles, le plus souvent conflictuelles d’ailleurs. Après la seconde guerre mondiale les Etats de l’Europe occidentale n’ont pratiquement plus de politique méditerranéenne et arabe, ni particulière à chacun d’eux, ni commune, autre que celle que l’alignement sur les Etats Unis implique. Il reste que, même dans ce cadre, la Grande Bretagne et la France, qui avaient des positions coloniales dans la région, ont mené des batailles d’arrière garde pour conserver leur avantage. La Grande Bretagne y a renoncé en ce qui concerne l’Egypte et le Soudan dès 1954 et, après la faillite de l’aventure de l’agression tripartite de 1956, a procédé à un revirement déchirant, et finalement abandonné même, à la fin des années 1960, son influence particulière dans les pays riverains du Golfe. La France, éliminé dès 1945 de la Syrie, a finalement accepté l’indépendance de l’Algérie en 1962, mais a conservé une certaine nostalgie de son influence au Maghreb et au Liban, encouragée d’ailleurs par les classes dirigeantes locales, au moins au Maroc, en Tunisie et au Liban. Parallèlement la construction européenne n’a pas substitué au retrait des puissances coloniales une politique commune opérant dans ce domaine. On se souvient que lorsque, à la suite de la guerre israélo-arabe de 1973, les prix du pétrole ont été réajustés, l’Europe communautaire, surprise dans son sommeil, a redécouvert alors qu’elle avait des « intérêts » dans la région. Mais ce réveil n’a pas suscité de sa part une initiative importante quelconque, par exemple concernant le problème palestinien. L’Europe est restée, dans ce domaine comme dans bien d’autres, velléitaire et finalement inconsistante. Quelques progrès dans la direction d’une autonomie vis à vis des Etats Unis ont néanmoins été enregistrés au cours des années 1970, culminant au sommet de Venise (1980) ; mais ces progrès n’ont pas été consolidés et se sont plutôt érodés avec le temps au cours des années 1980 pour finalement disparaître avec l’alignement sur Washington adopté dans la crise du Golfe. Aussi les perceptions européennes concernant l’avenir des relations Europe-monde arabe et iranien doivent-elles être étudiées à partir d’analyses propres à chacun des Etats européens.

La Grande Bretagne n’a plus de politique méditerranéenne et arabe qui lui soit spécifique. Dans ce domaine comme ailleurs la société britannique dans toutes ses expressions politiques (des Conservateurs et des Travaillistes) a fait l’option d’un alignement inconditionnel sur les Etats Unis. Il s’agit là d’un choix historique fondamental qui dépasse de loin les circonstances conjoncturelles. renforce considérablement la soumission de l’Europe aux exigences de la stratégie américaine.

Pour des raisons différentes l’Allemagne n’a pas davantage de politique arabe et méditerranéenne spécifique et ne cherchera probablement pas à en développer dans l’avenir visible. Handicapée par sa division et son statut, la R.F.A. avait consacré tous ses efforts à son développement économique, acceptant de tenir un profil politique bas dans le sillage simultané et ambigu des Etats Unis et de « l’européanité » de la C.E.E. Dans un premier temps la réunification de l’Allemagne et sa reconquête d’une pleine souveraineté internationale n’ont pas modifié ce comportement mais au contraire en ont accentueé les expressions. La raison en est que les forces politiques dominantes (conservatrices, libérales et social démocrates) avaient choisi de donner la priorité à l’expansion du capitalisme germanique en Europe centrale et orientale, réduisant d’autant l’importance relative d’une stratégie européenne commune, tant au plan politique qu’à celui de l’intégration économique. Il reste à savoir si cette tendance est désormais inversée, comme l’ attitude de Berlin dans la guerre d’ Irak semble le suggérer.

Les positions de la France sont plus nuancées. Pays à la fois atlantique et méditerranéen, héritier d’un Empire colonial, classé parmi les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, la France n’a pas renoncé à s’exprimer comme une Puissance .Au cours de la première décennie de l’après guerre les gouvernements français successifs avaient tenté de préserver les positions coloniales de leur pays par le moyen d’une surenchère atlantiste anticommuniste et antisoviétique. Le soutien de Washington ne leur fut pas pour autant sincèrement acquis, comme l’a démontré l’attitude des Etats Unis lors de l’agression tripartite contre l’Egypte en 1956. La politique méditerranéenne et arabe de la France était alors, par la force des choses, simplement rétrograde. De Gaulle avait rompu avec ces illusions simultanément paléocoloniales et proaméricaines. Il avait conçu alors le triple projet ambitieux de moderniser l’économie française, de conduire un processus de décolonisation permettant de substituer un néo-colonialisme souple aux formules anciennes désormais dépassées et de compenser les faiblesses intrinsèques à tout pays moyen comme la France par l’intégration européenne. Dans cette dernière perspective de Gaulle concevait une Europe capable de s’autonomiser vis à vis des Etats Unis non seulement au plan économique et financier, mais également politique et même, à terme, militaire, tout comme il concevait, à terme également, l’association de l’URSS à la construction européenne («l’Europe de l’Atlantique à l’Oural»). Mais le gaullisme n’a pas survécu à son fondateur et, à partir de 1968, les forces politiques françaises tant de la droite classique que de la gauche socialiste sont progressivement revenues aux attitudes antérieures. Leur vision de la construction européenne s’est rétrécie à la dimension du « marché commun », au face à face France-Allemagne fédérale (au point que lorsque l’unification allemande s’est réalisée on en a été quelque peu surpris et inquiet à Paris…) et à l’invitation pressante faite à la Grande Bretagne de se joindre à la C.E.E.(oubliant que l’Angleterre serait le cheval de Troie des Américains en Europe). Naturellement ce glissement impliquait l’abandon de toute politique arabe digne de ce nom propre à la France, c’est à dire de toute politique allant au delà de la simple défense d’intérêts mercantiles immédiats. Au plan politique la France s’est comportée objectivement dans le monde arabe comme en Afrique subsaharienne en force d’appoint complémentaire de la stratégie d’hégémonie américaine. C’est dans ce cadre qu’il faut replacer le discours méditerranéen, qui appelle à associer les pays du Maghreb au char européen (à la manière dont était associée la Turquie aujourd’hui en crise), ce qui revient à casser la perspective d’un rapprochement unitaire arabe, abandonnant le Mashrek à l’intervention israélo-américaine. Sans doute les classes dirigeantes maghrébines sont-elles responsables des sympathies qu’elles ont affiché pour ce projet. Il n’en demeure pas moins que la crise du Golfe a porté un coup sérieux au projet, les masses populaires d’Afrique du Nord ayant affirmé avec force à cette occasion leur solidarité avec le Mashrek, comme cela était prévisible.

L’Italie est, par sa position géographique même, forcément sensible aux problèmes méditerranéens. Cela ne signifie pas qu’elle ait – de ce fait – une politique méditerranéenne et arabe réelle et, encore moins, efficace ou autonome. Longtemps marginalisée dans le développement capitaliste, l’Italie a été contrainte d’inscrire ses ambitions méditerranéennes dans le sillage d’une alliance obligée avec d’autres puissances européennes, plus décisives. De l’accomplissement de son unité au milieu du siècle dernier à la chute de Mussolini en 1943 elle a toujours hésité entre l’alliance avec les maîtres de la Méditerranée – c’est à dire la Grande Bretagne et la France – ou avec ceux qui pouvaient contester les positions anglo-françaises, c’est à dire l’Allemagne.

.L’atlantisme, qui s’exerce en Italie dans une vision qui implique un profil politique extérieur bas dans le sillage des Etats Unis, a dominé l’action et les options des gouvernements italiens depuis 1947. Il est également dominant, dans une vision plus idéologisée encore, dans certains secteurs de la bourgeoisie laïque (les Républicains et les Libéraux, certains socialistes). Car chez les chrétiens démocrates il est tempéré par la pression de l’universalisme de la tradition catholique. Il est caractéristique que la papauté a souvent pris de ce fait, des positions vis à vis des peuples arabes (notamment dans la question palestinienne) et de ceux du tiers monde moins rétrogrades que celles de nombreux gouvernements italiens et occidentaux en général. Le glissement à gauche d’une partie de l’Eglise catholique, sous l’influence de la théologie de la libération d’Amérique latine, renforce aujourd’hui cet universalisme dont on retrouve des versions laïques dans les mouvements pacifistes, écologistes et tiers mondistes. Le courant mittel européaniste plonge ses racines dans le XIXe siècle italien et la coupure Nord-Sud que l’unité italienne n’a pas surmontée. Accroché aux intérêts du grand capital milanais, il suggère de donner la priorité à l’expansion économique de l’Italie vers l’Est européen, en association étroite avec l’Allemagne. Dans ce cadre, la Croatie constitue aujourd’hui un objectif immédiat au point que certains analystes repèrent ici des visées expansionnistes italiennes en direction de la Dalmatie. Bien entendu cette option impliquerait que l’Italie poursuive la tradition de son profil international bas, et notamment marginalise ses rapports avec les riverains du sud de la Méditerranée. Une option parallèle de l’Espagne isolerait encore davantage la France dans le concert européen dont il réduirait la portée à son plus bas dénominateur commun. Le courant méditerranéen qui est toujours faible, en dépit de l’apport que l’universalisme pourrait lui apporter, s’est exprimé, pour cette raison, dans une version « levantine » : il s’agit de « faire des affaires » ici ou là sans se préoccuper du cadre de stratégie politique dans lequel elles s’inscrivent. Pour prendre une autre consistance, plus noble, associant l’Italie à des ouvertures économiques s’inscrivant dans une perspective de renforcement de son autonomie et de celle de ses partenaire arabes, il serait nécessaire qu’une convergence se fasse entre ce projet et les idéaux universalistes, notamment d’une partie de la gauche italienne, communiste et chrétienne.

La droite italienne , réunifiée sous la direction de Berlusconi au pouvoir , a fait l’ option de s’ inscrire dans le sillage de l’ axe atlantique Washington – Londres . Le comportement des forces de police lors du G8 de Gênes ( juillet 2001 ) exprime ce choix on ne peut plus clairement.

L’Espagne et le Portugal occupent une place importante dans la géostratégie d’hégémonie mondiale des Etats Unis. Le Pentagone considère en effet que l’axe Açores-Canaries- Gibraltar-Baléares est essentiel pour la surveillance de l’Atlantique nord et sud et le verrouillage de l’entrée en Méditerranée. Les Etats Unis avaient donc forgé leur alliance avec ces deux pays au lendemain même de la seconde guerre mondiale, sans éprouver la moindre gêne du fait de leur caractère fasciste. Au contraire même l’anticommunisme forcené des dictatures de Salazar et de Franco servait bien la cause hégémoniste des Etats Unis permettant de faire admettre le Portugal dans l’OTAN et d’établir sur le sol espagnol des bases américaines de première importance. En contre partie les Etats Unis et leurs alliés européens ont soutenu sans réserve le Portugal jusqu’au terme de sa défaite dans sa guerre coloniale.

L’évolution démocratique de l’Espagne après la mort de Franco n’a pas été l’occasion d’une remise en question de l’intégration du pays dans le système militaire américain. Au contraire même l’adhésion formelle de l’Espagne à l’OTAN (en Mai 1982) avait fait l’objet d’un véritable chantage électoral laissant entendre que la participation à la C.E.E. exigeait cette adhésion, que la majorité de l’opinion ne souhaitait pas.

Depuis, l’alignement de Madrid sur les positions de Washington est sans réserve. En contrepartie les Etats Unis seraient, paraît-il, intervenus pour « modérer » les revendications marocaines sur Ceuta et Mellila et même pour tenter de convaincre la Grande Bretagne sur le sujet de Gibraltar. Sur ce dernier plan on peut douter de la réalité même de cette intervention. Toujours est-il que l’alignement atlantiste renforcé de Madrid s’est traduit par des changements radicaux dans l’organisation des forces armées espagnoles, qualifiées par les analystes de celle-ci de « basculement vers le Sud ». Dans la tradition espagnole en effet, l’armée était disséminée sur tout le territoire du pays. Conçue d’ailleurs – depuis Franco d’une manière évidente – plus comme une force de police intérieure que comme une force de frappe dirigée contre l’extérieur, l’armée espagnole était demeurée rustique et, en dépit de l’attention marquée portée par le pouvoir suprême à Madrid au corps des généraux et officiers, n’avait pas été l’objet d’une modernisation véritable, à l’instar des armées de la France, de la Grande Bretagne et de l’Allemagne.

Les gouvernements socialistes puis de droite ont donc procédé à un redéploiement des forces espagnoles pour faire face à un « front sud » éventuel, comme ils se sont engagés dans un programme de modernisation de l’armée de terre, de l’aviation et de la marine. Ce basculement, requis par Washington et l’OTAN, est l’une des nombreuses manifestations de la nouvelle stratégie hégémoniste américaine substituant le Sud à l’Est dans la « défense » de l’Occident. Il est accompagné, en Espagne, d’un discours nouveau qui met en avant un «ennemi hypothétique venant du Sud», dont l’identification ne laisse planer aucun doute. Curieusement, ce discours des milieux démocratiques (et socialistes) espagnols puise à la vieille tradition de la Reconquista, populaire dans les cercles catholiques de l’armée. Le basculement des forces armées espagnoles est donc le signe d’une détermination de l’Espagne à jouer un rôle actif au sein de l’OTAN, dans le cadre de la réorientation des stratégies occidentales en prévision d’interventions musclées dans le tiers monde. Déjà d’ailleurs la péninsule ibérique constitue le premier relais de l’axe Washington-Tel Aviv, la tête de pont européenne principale de la Rapid Deployment Force américaine (qui a joué un rôle décisif dans la guerre du Golfe), complété par les bases de Sicile (qui, elles également, n’ont jamais servi jusqu’ici qu’à des opérations dirigées contre le monde arabe : Lybie, bombardement israélien de la Tunisie…) et, curieusement, par les facilités accordées par le Maroc. Bien entendu cette option occidentale vide le discours « euro-arabe » de tout contenu sérieux. La nouvelle Espagne démocratique, qui prétend activer une politique d’amitié en direction de l’Amérique latine et du monde arabe, a plutôt amorcé son mouvement dans un sens en fait inverse aux exigences de ses proclamations de principe.

Le gouvernement de droite dirigé par Aznar a confirmé cet alignement atlantiste de Madrid . Plus encore que l’Italie, l’ Espagne se refuse à capitaliser sa position méditerranéenne au bénéfice d’une nouvelle politique européenne en direction du monde arabe, de l’Afrique et du tiers monde, prenant des distances à l’égard des exigences de l’hégémonisme américain. L’idée française d’un groupe méditerranéen au sein de l’Union Européenne reste, de ce fait, suspendue en l’air, sans point d’appui sérieux. D’ailleurs au plan économique le capital espagnol, héritier ici de la tradition franquiste, a placé ses espoirs principaux d’expansion dans le développement d’accords avec l’Allemagne et le Japon, invités à participer à la modernisation de la Catalogne.

Tant qu’elle a existé, la ligne de confrontation Est-Ouest passait par le travers des Balkans. Le ralliement obligé des Etats de région soit à Moscou, soit à Washington – la seule exception avait été celle de la Yougoslavie depuis 1948 puis de l’Albanie à partir de 1960 – avait alors mis une sourdine aux querelles nationalistes locales qui avaient fait des Balkans une poudrière européenne.

La Turquie s’était placée d’elle même dans le camp de l’occident dès 1945, après avoir hâtivement mis un terme à sa neutralité plutôt bienveillante à l’égard de l’Allemagne hitlérienne. Les revendications soviétiques sur Kars et Ardahan au Caucase et concernant le droit de passage dans les Détroits, formulées par Staline au lendemain même de la victoire, n’ont été repoussées par Ankara que grâce au soutien décidé de Washington. En contrepartie la Turquie, membre de l’OTAN, elle aussi en dépit de son système politique peu démocratique, a accueilli les bases américaines les plus proches de l’URSS . Il n’ en demeure pas moins que la société turque reste une société du tiers monde, même si, depuis Ataturk, les classes dirigeantes de ce pays proclament l’européanité de la Turquie nouvelle, frappant à la porte de l’Union Européenne qui ne veut pas d’elle. Alliée fidèle des Etats Unis et de leurs partenaires européens , la Turquie souhaite-t-elle réintégrer son passé et jouer un rôle actif au Moyen orient, faisant payer à l’Occident les services qu’elle pourrait leur rendre dans cette région ? Le handicap de sa question kurde, dont elle refuse de reconnaître l’existence même, l’a fait hésiter à faire cette option jusqu’à présent, semble-t-il. Il en est de même d’une option éventuelle pan-touranienne, suggérée au lendemain même de la première guerre mondiale dans certains milieux kémalistes, reléguée par la suite au musée de l’histoire des origines. Mais aujourd’hui la décomposition de l’ex URSS pourrait constituer une invitation pour le pouvoir d’Ankara à prendre la direction d’un bloc turcophone qui, de l’Azerbaïdjan au Sinkiang, domine l’Asie centrale. L’Iran a toujours exprimé sa crainte réelle d’une évolution de ce type, qui non seulement remettrait en question le statut de l’Azerbaïdjan méridional iranien mais encore la sécurité de sa longue frontière asiatique septentrionale avec le Turkmenistan et l’Ouzbékistan.

La Grèce ne s’était pas rangée d’elle même dans le camp antisoviétique. Elle y a été contrainte et forcée par l’intervention britannique relayée dès 1948 par les Etats Unis. En conformité avec les accords de Yalta l’URSS avait alors, comme on le sait, abandonné à son sort la résistance grecque, dirigée par le Parti Communiste qui pourtant, dans ce pays comme en Yougoslavie et en Albanie, avait libéré le pays et conquis de ce fait un soutien populaire largement majoritaire. Aussi les Occidentaux ont-ils été amenés à soutenir contre ce mouvement populaire des régimes répressifs successifs et finalement une dictature de colonels fascistes, sans non plus y voir une contradiction majeure avec leur discours selon lequel l’OTAN protégeait le  » monde libre  » contre le satan  » totalitaire « . Le retour de la Grèce à la démocratie, par la victoire électorale du Pasok en 1981 risquait – dans ces conditions – de remettre en question la fidélité de ce pays à l’OTAN. L’Europe communautaire est alors venue au secours de Washington en difficulté pour – ici également comme en Espagne – lier de fait la candidature grecque à la C.E.E. au maintien de sa participation dans l’alliance atlantique. Cette intégration dans la C.E.E. était d’ailleurs elle même encore fort discutée dans l’opinion grecque de l’époque. Le choix de Papandréou de s ‘y rallier malgré tout, après quelques hésitations et en dépit de l’option de principe tiers mondiste et neutraliste du Pasok, semble avoir mis en marche une évolution irréversible au niveau même des mentalités, en flattant les aspirations du peuple grec à la modernité et à l’européanité. Pourtant les nouveaux partenaires européens de la Grèce n’ont pas grande chose à offrir à ce pays appelé à demeurer longtemps le parent pauvre de la construction communautaire.

La fidélité d’Athènes à l’Occident euro-américain ne lui a pas même valu un soutien réel dans son conflit avec la Turquie. Il reste que, même si la dictature grecque porte une responsabilité certaine dans la tragédie chypriote de 1974, l’agression turque ouverte (l’opération Attila) et la création subséquente d’une  » république turque de Chypre « , en violation du statut de l’île, ont été non seulement acceptés, mais probablement mis au point en accord avec les services du Pentagone devant lesquels l’Europe a cédé une fois de plus. Il est évident que, pour les Etats Unis, l’amitié de la Turquie, puissance militaire régionale considérable, passe avant celle de la Grèce, même désormais démocratique.

L’ensemble de la région balkanique-danubienne (Yougoslavie, Albanie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) était entrée en 1945 dans le giron de Moscou, soit par le fait de l’occupation militaire soviétique et l’acquiescement des partenaires de Yalta, soit par le fait de leur propre libération et de l’option de leurs peuples en Yougoslavie et en Albanie.

La Yougoslavie titiste isolée dans les années 1948-1953 à la fois par l’ostracisme de Moscou et l’anticommunisme occidental, avait poursuivi avec succès une stratégie de construction d’un front des  » non alignés  » qui lui a valu l’amitié du tiers monde, particulièrement à partir de la conférence de Bandoung (1955). Les analystes de la pensée géostratégique yougoslave de l’époque signalent néanmoins ce fait – d’apparence curieuse – que cette pensée était peu sensible à la dimension méditerranéenne de leur pays. Peut être l’abandon par l’Italie après la seconde guerre mondiale de ses visées traditionnelles sur la Dalmatie (et l’Albanie) et la solution trouvée dès 1954 au problème épineux de Trieste sont-ils à l’origine de cet  » oubli historique « . La Yougoslavie s’était vécue depuis lors en Etat préoccupé avant tout par les problèmes de l’équilibre de ses rapports régionaux danubo-balkaniques et surtout par ceux de l’équilibre mondial des superpuissances. Car sur le premier plan elle était parvenue à capitaliser à son bénéfice la double attraction nordiste et danubienne de la Croatie-Slovénie et celle russe et balkanique de la Serbie. Le rapprochement amorcé par Kroutchev et poursuivi par ses successeurs, reconnaissant le rôle positif du neutralisme titiste dans l’arène mondiale, comme l’assouplissement des régimes du pacte de Varsovie à partir des années 1960 et surtout 1970, avaient alors garanti, un temps, la sécurité yougoslave qui avait cessé de se sentir l’objet d’un conflit régional quelconque. La diplomatie yougoslave avait pu alors se déployer dans les arènes internationales, en donnant à ce pays un poids hors de proportion avec sa taille. Mais si cette diplomatie avait incontestablement marqué des points en Asie, en Afrique et même en Amérique latine, elle a piétiné en Europe où ses appels à élargir le front des neutralistes n’a jamais trouvé d’écho favorable. Pourtant, face à l’Europe de l’OTAN, du nord au sud du continent, entre les deux pactes militaires adverses, la Suède, la Finlande et l’Autriche auraient pu envisager des initiatives positives communes s’écartant de l’esprit de la guerre froide. Plus tard la Grèce du Pasok a tenté d’élargir ce camp neutraliste européen en ébauchant en 1982 une proposition de coopération en vue de la dénucléanisation des Balkans, s’adressant simultanément à certains pays membres de l’une ou de l’autre des deux alliances (Turquie, Roumanie et Bulgarie) ou aux neutres (Yougoslavie et Albanie). Ces propositions n’ont pas trouvé d’écho.

La décomposition de l’Europe sud orientale à partir de 1989 a bouleversé les données du problème. L’érosion, puis l’effondrement de la légitimité des régimes – qui était fondée sur un certain développement, quelqu’en aient été les limites et les aspects négatifs – a fait éclater l’unité de la classe dirigeante dont les fractions, aux abois, tentent de refonder leur légitimité sur le nationalisme. Les conditions étaient réunies non seulement pour permettre l’offensive du capitalisme sauvage soutenue par les Etats Unis et l’Union Européenne, mais encore pour que l’Allemagne reprenne l’initiative dans la région, jetant de l’huile sur le feu – par la reconnaissance hâtive de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, que l’Union Européenne a entériné – accélérant par la même l’éclatement de la Yougoslavie et la guerre civile. Curieusement les Européens tentent d’imposer en Bosnie la coexistence des communautés dont ils ont prôné ailleurs la séparation ! Car s’il est possible aux Serbes, Croates et Musulmans de coexister dans cette petite Yougoslavie qu’est la Bosnie, pourquoi ne pourraient-ils pas coexister dans la grande Yougoslavie ? Evidemment une stratégie de ce genre n’avait guère de chances de succès, ce qui a permis aux Etats Unis d’intervenir à leur tour, au coeur de l’Europe !Dans la stratégie de Washington l’ axe Balkans – Caucase – Asie centrale prolonge en effet le Moyen orient .

Des analyses proposées ci-dessus concernant les options politico-stratégiques des pays de la rive nord de la Méditerranée je tirerai une conclusion majeure : la plupart de ces pays hier partenaires fidèles des Etats Unis dans le conflit Est-Ouest, restent aujourd’hui alignés sur la stratégie de l’hégémonie américaine à l’égard du tiers monde, et singulièrement des pays arabes et des autres pays de la région Mer Rouge-Golfe ; les autres (pays balkaniques et danubiens), hier impliqués d’une manière ou de l’autre dans le conflit Est-Ouest, ont cessé d’être des agents actifs dans le conflit Nord-Sud permanent, et sont devenus des objets passifs de l’expansionnisme occidental.

En conclusion :l’ Empire du chaos et la guerre permanente

Le projet de domination des Etats Unis – l’ extension de la doctrine Monroe à la planète entière – est démesuré. Ce projet , que j’ ai qualifié pour cette raison d’ Empire du chaos dés l’ effondrement de l’ Union soviétique en 1991, sera fatalement confronté à la montée des résistances grandissantes des nations de l’ ancien monde qui n’ accepteront pas de s’ y soumettre. Les Etats Unis seront alors appelés à se comporter comme l’ « Etat voyou » par excellence, substituant au droit international le recours à la guerre permanente ( amorcée au Moyen orient , mais qui vise , au delà , la Russie et l’ Asie ),glissant sur la pente fasciste ( la «  loi patriotique » a déjà donné à leur police vis à vis des étrangers – les « aliens » – des pouvoirs similaires à ceux dont la Gestapo avait été dotée ).

Les Etats européens , partenaires dans le système de l’ impérialisme collectif de la triade , accepteront-ils cette dérive qui les placeraient en position subalterne ? La thèse que j’ ai développée sur cette question place l’ accent non pas sur les conflits d’ intêrets du capital dominant , mais sur la différence qui sépare les cultures politiques de l’ Europe de celle qui caractérise la formation historique des Etats Unis et voit dans cette contradiction nouvelle l’ une des raisons majeures de l’ échec probable du projet des Etats Unis ( 16).

Notes

  1. voir :

    Samir Amin, Classe et nation dans l’histoire et la crise contemporaine , chap VI et VIII , Minuit 1979

    Samir Amin , L’ eurocentrisme , chap IV , Anthropos economica , 1988

    Samir Amin , Au delà du capitalisme sénile , pour un XXI ième siècle non américain , PUF 2001

  2. pour la critique du post modernisme et la thèse de Negri , voir :

    Samir Amin , Critique de l’ air du temps ,chap VI , Harmattan 1997

    Samir Amin , Le virus libéral , pp20 et suiv , Le temps des cerises , 2003

  3. Samir Amin , L’hégèmonisme des Etats Unis et l’effacement du projet européen , Harmattan , 2000
  4. Samir Amin et all , Les enjeux stratégiques en Méditerranée , première partie , Harmattan 1992
  5. Comme par exemple :

    Gérard Chaliand et Arnaud Blin , America is back , Bayard 2003

  6. Samir Amin , La faillite du développement , chap II , Harmattan 1989
  7. Samir Amin , Les défis de la mondialisation , chap VII, Harmattan 1996
  8. Salir Amin , L ‘ethnie à l’assaut des nations , Harmattan 1994
  9. Emmanuel Todd , Après l’ empire , Gallimard 2002
  10. The national security strategy of the United States 2002
  11. Cf note 2
  12. Samir Amin , Les défis de la mondialisation , op cit , chapIII
  13. Samir Amin , L’ empire du chaos , Harmattan 1991
  14. Samir Amin , Les défis de la mondialisation , op cit , chapI et II
  15. Samir Amin et Ali El Kenz , Le monde arabe , enjeux sociaux , perspectives méditérranéennes , Harmattan 2003
  16. Samir Amin , Le virus libéral , op cit , pp 20 et suiv

Samir Amin , L’idéologie américaine , publié en anglais ,in Ahram Weekly , mai 2003 , Le Caire

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