Gaza: de colonie à prison à ciel ouvert, à champ de la mort – deuxième partie

Ceci est la deuxième partie d’un article en deux parties. La première partie a été publiée le 2 novembre 2023.

En 1993, le nouveau Premier ministre travailliste israélien Yitzhak Rabin et Arafat ont signé les accords d’Oslo, promettant une «solution à deux États» dans laquelle Arafat et l’Autorité palestinienne garantiraient la sécurité d’Israël et présideraient un État divisé et non contigu, séparé mais contenu par Israël. Cela excluait toute possibilité d’un État souverain indépendant, sans parler même de démocratie ou d’amélioration des conditions sociales et économiques des Palestiniens.

Les arrangements économiques d’Oslo ont laissé à Israël le contrôle de la politique étrangère, de la défense, des colonies et des frontières et passages vers Israël. Ils ont donné à Israël la juridiction sur une union douanière avec l’AP qui exemptait les marchandises israéliennes des droits de douane et du contrôle de fait de l’eau palestinienne et d’autres ressources, tout en donnant aux Palestiniens le droit de travailler en Israël. Ils donnaient le contrôle des finances de l’Autorité palestinienne à Israël grâce à la perception, pour le compte de l’AP, des droits de douane et de la TVA – équivalant à environ 75 pour cent de toutes les recettes de l’Autorité palestinienne – et celui-ci retenait régulièrement les recettes fiscales.

Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et le président de l’OLP Yasser Arafat, le 13 septembre 1993.

Les groupes islamistes nouvellement formés, le Hamas et le Jihad islamique palestinien, ainsi que le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), rejetèrent les accords d’Oslo et intensifièrent leurs attaques contre Israël. Rabin y réagi en mettant en œuvre un régime de blocus, en fermant les frontières israéliennes, en établissant des points de contrôle et en restreignant l’entrée des Palestiniens en Israël pour le travail ou les affaires, rompant ainsi les accords d’Oslo. Gaza fut soumise à des confinements répétés. En 1994, alors même que les Accords étaient conclus, Israël commençait à construire une clôture périphérique autour de l’enclave.

Privés de main d’œuvre palestinienne, les patrons israéliens se sont tournés vers l’Asie pour trouver une main d’œuvre bon marché, le nombre de travailleurs immigrés atteignant 100 000 en 1996, bien plus que les 70 000 Palestiniens à leur apogée. Les Palestiniens avaient perdu leur utilité limitée pour les patrons israéliens, mais pas leurs terres, leurs ressources et leurs marchés.

L’expropriation des terres et la construction de colonies par Israël se sont poursuivis à un rythme soutenu. En 2000, le nombre de logements avait augmenté de 52 pour cent et trois nouvelles colonies avaient été officiellement créées, ainsi que plus de 42 colonies non officielles. Le nombre de colons est passé de 115 700 en 1993 à 176 973 à la mi-1999. L’extraction par Israël des ressources en eau palestiniennes s’est intensifiée, rendant l’eau de Gaza imbuvable et provoquant une grave crise de l’eau à Gaza en 2000.

Les accords d’Oslo ont légitimé le vol croissant des terres et des ressources palestiniennes, ainsi qu’un mouvement de marchandises à sens unique avec peu ou pas de mouvement de main-d’œuvre. Tandis qu’Israël prospérait pendant les années Oslo et obtenait largement la fin du boycott arabe, l’agriculture palestinienne et son économie s’effondraient, tandis que le chômage et la pauvreté augmentaient. Alors que le PIB par habitant d’Israël a augmenté de 14 pour cent au cours des années Oslo, celui des Palestiniens a chuté de 3,8 pour cent. La situation à Gaza était encore plus dramatique. Sa part dans l’économie palestinienne est passée d’environ 37 pour cent en 1994 à 31 pour cent en 2000.

La deuxième Intifada et la ghettoïsation des Palestiniens

L’assassinat de Rabin en 1995 par un fanatique religieux de droite a marqué le refus de l’élite dirigeante israélienne de faire des concessions significatives aux Palestiniens. Ceci et la fraude évidente du processus d’Oslo, qui n’avait apporté qu’une pauvreté et une dégradation effroyables aux travailleurs et aux paysans palestiniens, au milieu de la corruption généralisée et du copinage de la bourgeoisie palestinienne, ont donné naissance à la deuxième Intifada en septembre 2000. Il s’agissait plus d’un soulèvement contre les dirigeants de l’OLP qui avaient signé les accords d’Oslo que contre Israël, Mahmoud Abbas, l’un des négociateurs des accords d’Oslo, appelant à la fin de l’Intifada. Cela a ouvert la voie à la montée du Hamas en tant que force politique capable de combler le vide.

Il a fallu six ans de violence et de brutalité israéliennes massives pour écraser le soulèvement, laissant Arafat enfermé dans une prison virtuelle à l’intérieur du complexe de l’AP à Ramallah presque jusqu’à sa mort, encore inexpliquée, en 2004.

Faris Odeh, un garçon de 14 ans qui a été tué début novembre 2000, pendant la deuxième Intifada, lance une pierre sur un char des Forces de défense israéliennes dans la bande de Gaza. Cette photo fut prise le 29 octobre 2000 et Odeh a été abattu dix jours plus tard, le 8 novembre, alors qu’il jetait à nouveau des pierres sur les troupes israéliennes. [Photo: Associated Press/Laurent Rebours)]

Face à l’accentuation du «problème démographique», tous les partis sionistes cherchèrent à étendre leur contrôle sur la Cisjordanie, à intensifier la construction de colonies et à promouvoir les transferts de population et le nettoyage ethnique.

Le gouvernement d’Ariel Sharon se lança dans une politique visant à séparer Israël des Palestiniens des territoires occupés et les Palestiniens de Cisjordanie de ceux de la bande de Gaza. Cela comprenait l’imposition d’un blocus sur Gaza, l’érection d’un haut mur autour de la bande de Gaza, le bombardement du nouvel aéroport international de Gaza trois ans seulement après son ouverture en 1998 et l’étouffement de l’industrie de la pêche du territoire en l’encerclant, supposément pour arrêter la contrebande d’armes.

Avec l’annonce en 2003 qu’Israël se «désengagerait» de Gaza, Sharon a fermé les colonies et retiré les troupes qui gardaient les actifs israéliens dans la bande de Gaza, après avoir obtenu le feu vert de Washington pour une expansion et consolidation bien plus importantes des colonies en Cisjordanie. Il a ordonné la construction du tristement célèbre mur de séparation, s’emparant de 18 kilomètres supplémentaires de terres à l’intérieur de la Cisjordanie, soit 9 pour cent du territoire.

Le président américain George W. Bush (au centre) discute du Moyen-Orient avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon (à gauche) et le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas. [Photo: US gov]

En occupant la présidence de l’Autorité palestinienne en 2005, Abbas a fidèlement imposé les diktats d’Israël. Après que le Hamas eut remporté une victoire surprise aux élections palestiniennes de janvier 2006 contre l’OLP dominée par le Fatah, largement considérée comme le représentant corrompu d’une poignée de multi-millionnaires et la force de sécurité par procuration d’Israël, Abbas, avec le soutien d’Israël, a mené une guerre civile infructueuse pour renverser le Hamas dans son bastion de Gaza. La lutte fratricide a marqué la fin définitive de la «solution à deux États» d’Oslo et, plus fondamentalement, de la perspective nationaliste sur laquelle les Palestiniens avaient fondé leur lutte contre Israël.

Après la déroute du Fatah, Israël a imposé un blocus économique à grande échelle de Gaza, avec le soutien de l’Autorité palestinienne, de l’Égypte, des régimes arabes et des puissances impérialistes. Israël a autorisé seulement 259 camions commerciaux à quitter Gaza au cours des trois premières années, ce qui a stoppé les exportations de Gaza, y compris les produits agricoles. En un an, l’emploi dans les industries manufacturières de Gaza est tombé de 35 000 à seulement 860. En 2010, le Premier ministre britannique David Cameron, qui n’est pas un ami des Palestiniens, a qualifié Gaza de «prison à ciel ouvert».

Le sort de Gaza a été aggravé par les attaques répétées d’Israël qui ont détruit une grande partie de ses infrastructures publiques et sociales ainsi que de ses bâtiments d’habitation et commerciaux. Sa part dans l’économie palestinienne est tombée à 22 pour cent en 2008 et à 18 pour cent en 2018. Son PIB par habitant de seulement 1 500 dollars est désormais la moitié de celui du milieu des années 1990. Même avant le début de la guerre, le taux de pauvreté dépassait les 50 pour cent, avec un chômage à un niveau similaire, laissant 80 pour cent des 2,3 millions d’habitants de Gaza dépendants de l’aide internationale.

L’échec du nationalisme palestinien et la voie à suivre pour les travailleurs palestiniens et juifs

Les souffrances infligées aux Palestiniens, tout comme l’échec du projet sioniste visant à garantir un «refuge sûr pour les Juifs», découlent de l’impossibilité de garantir les droits démocratiques et les revendications socio-économiques sur la base d’une perspective nationaliste. La perspective du Fatah d’établir un État laïc et démocratique au moyen de la lutte armée ne pouvait jamais fournir la base de l’unification des travailleurs juifs et palestiniens, qui est nécessaire au démantèlement de l’État sioniste. La bourgeoisie israélienne étant soutenue jusqu’au bout par les régimes arabes et les puissances impérialistes, en particulier par les États-Unis dont elle sert les intérêts, le renversement de l’État sioniste nécessiterait le renversement des régimes arabes.

Le Fatah, dominé par la bourgeoisie palestinienne, n’a jamais pu résoudre ce problème. Son objectif était de parvenir à un règlement négocié avec l’impérialisme qui garantirait un État servant les intérêts de l’élite palestinienne au Moyen-Orient. Il s’est engagé à «coopérer avec tous les États arabes». Comme tous les mouvements nationalistes, il a donné la priorité à la lutte nationale plutôt qu’à la lutte des classes, rendant impossible le développement d’un mouvement anti-impérialiste de classe qui transcenderait les divisions ethniques, religieuses et nationales, que ce soit en Jordanie, au Liban ou en Syrie, mais surtout en Israël. Au lieu de quoi il a manœuvré entre l’un ou l’autre des régimes bourgeois arabes, qui à leur tour ont isolé et abandonné l’OLP et le peuple palestinien.

L’action du 7 octobre, lancée par le Hamas pour obtenir la libération des prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et la fin du blocus et ce contre des forces largement supérieures, équivalait à une mission suicide, 1 500 Palestiniens ayant perdu la vie dans l’attaque. Mais sa résistance légitime à des décennies d’oppression et de siège, les plus longues de l’histoire moderne, ne peut mettre fin aux terribles souffrances du peuple palestinien ni arrêter les plans d’Israël et de l’impérialisme américain pour une guerre plus large dans la région.

Des Palestiniens recherchent des survivants après une frappe aérienne israélienne dans le camp de réfugiés de Nusseirat, dans la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. [AP Photo/Doaa AlBaz]

L’administration Biden a déployé des navires de guerre et des troupes américaines en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient et a lancé des attaques contre des cibles soutenues par l’Iran en Syrie, tandis qu’Israël, en plus de ses attaques répétées contre la Syrie, échange des tirs avec le Hezbollah à la frontière entre Israël, le Liban et la Syrie.

La guerre génocidaire qui déferle actuellement sur Gaza est tout autant une tragédie pour la classe ouvrière israélienne. La perspective du nationalisme s’est révélée tout aussi désastreuse pour les Juifs que pour leurs homologues palestiniens. Israël s’est développé comme un État d’apartheid, qui discrimina les non-juifs et fut responsable sur des décennies de brutalités contre les Palestiniens des territoires occupés et contre les pays voisins. L’élite dirigeante d’Israël, ayant adopté le fascisme, n’a d’autre perspective politique que la dictature intérieure, le génocide et le nettoyage ethnique, et les guerres brutales à l’extérieur. Les travailleurs israéliens seront sacrifiés au service de l’élite dirigeante israélienne et de ses soutiens impérialistes.

Tout au long du mouvement de protestation de neuf mois contre le gouvernement fasciste de Netanyahou, le World Socialist Web Site a averti que la seule façon de combattre la menace qui pèse sur les droits démocratiques et de mettre un terme au danger de guerre était de rompre avec toutes les factions de la bourgeoisie sioniste et de mener une lutte pour unir la classe ouvrière palestinienne et juive. Nous mettions en garde que «les dirigeants de l’opposition ne sont pas moins attachés à l’expansion des frontières d’Israël aux dépens des Palestiniens», une déclaration confirmée par la précipitation des dirigeants de l’opposition, Benny Gantz et Gadi Eisenkot, à rejoindre le cabinet de guerre de Netanyahou.

Des manifestants bloquent la circulation sur une autoroute traversant la ville de Tel Aviv lors d’une manifestation contre les mesures dictatoriales de Netanyahou visant le système judiciaire, le lundi 24 juillet 2023. [AP Photo/ Oded Balilty]

Un État fondé sur la «répression continue des Palestiniens a toujours été incapable de développer une société véritablement démocratique. Son évolution en tant qu’État-garnison pour l’impérialisme américain, en guerre répétée avec ses voisins arabes et en guerre perpétuelle avec les Palestiniens; poursuivant une politique expansionniste du «Grand Israël» ; s’appuyant de plus en plus fermement sur la population des colons de droite dans les territoires occupés et sur les subventions militaires américaines pour compenser l’impact déstabilisateur d’inégalités sociales parmi les plus massives au monde, est ce qui a ouvert la voie au gouvernement-Frankenstein de Netanyahou».

Pour sortir de cette impasse sanglante, il faut adopter une position déterminée contre la bande fasciste des bellicistes de Netanyahou et ses efforts pour attiser la haine contre les Palestiniens, et lancer un appel de classe au-delà des divisions nationales pour gagner l’ensemble de la classe ouvrière – juive et palestinienne – à une lutte socialiste unifiée contre l’impérialisme et ses agents bourgeois des élites arabes et israéliennes.

La guerre suscite une opposition massive à travers le monde. Des signes d’opposition émergent en Israël. Mais cette opposition doit être mobilisée dans le cadre d’un mouvement international anti-guerre contre le capitalisme et pour le socialisme. La tâche cruciale à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes est la construction de partis révolutionnaires, de sections du Comité international de la Quatrième Internationale, y compris en Israël/Palestine, pour fournir la direction politique nécessaire pour renverser l’État sioniste et les régimes bourgeois arabes et pour construire des États socialistes unifiés du Moyen-Orient.

Fin

Jean Shaoul

 

Article paru en anglais, WSWS, le 4 novembre 2023



Articles Par : Jean Shaoul

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