Gaza: La Ligue a cautionné toutes les interventions américaines

La Ligue arabe a continuellement fait office de principal relais des menées des puissances coloniales dans la zone.

Azzedine Belferagla d’Algérie News s’entretient avec René Naba, journaliste-écrivain et ancien conseiller du Directeur général de RMC-Moyen-Orient.  Il nous livre sa lecture des attaques israélienne sur Gaza. 

Algerie News : La Ligue arabe est-elle morte ?

René Naba : La Ligue arabe n’est pas morte et ne mourra pas de sitôt, non qu’elle soit éternelle et son œuvre immortelle, mais plus simplement parce qu’elle fait œuvre utile pour le Monde occidental. La Ligue arabe vivra aussi longtemps qu’elle pourra rendre service à ses créateurs, qu’elle servira de caution à la politique hégémonique occidentale contre le Monde arabe. N’oubliez pas qu’elle a été créée par les Anglais pour canaliser le mécontentement arabe dans un sens conforme aux intérêts britanniques après l’indépendance formelle que le Royaume-Uni a octroyé aux pays arabes après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).

Par une aberration de l’esprit ,révélatrice de la servilité arabe à leur égard, les Anglais qui sont pourtant à l’origine directe de la création d’Israël avec la promesse Balfour (1917) continuent de bénéficier de facilités militaires dans les pays arabes et substantiels dépôts bancaires arabes. Il en est de même des États- Unis, le partenaire stratégique émérite de l’État Hébreu.

L’Égypte de Farouk, la Jordanie Hachémite, l’Arabie wahhabite, sans compter l’Irak, les pétromonarchies du Golfe, et le trône chérifien au Maghreb, constituent des piliers inamovibles du Monde occidental en terre arabe. Leurs successeurs de même. A l’exception d’une courte parenthèse, le sursaut nationaliste de trente ans illustré par l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, l’Algérien Houari Boumediene et le Syrien Hafez al Assad, la Ligue arabe a continuellement fait office de principal relais des menées des puissances coloniales dans la zone, les Français et les Anglais dans un premier temps, les Américains, désormais.

Israël ne se serait jamais permis de se livrer à une telle boucherie sans la complicité passive des États arabes, sans la démission des pays occidentaux face à leurs propres valeurs qu’ils ont érigées en valeurs universelles.

L’expédition punitive de Ghaza (317morts selon un dernier bilan ) constitue, au premier chef, une opération de surenchère électorale entre le travailliste Ehud Barak, ministre de la Défense, la centriste Tzipi Livni, chef du parti Kadima et ministre des Affaires étrangères, en vue de barrer la voie à leur concurrent le plus sérieux Benjamin Natanyahou (chef du Likoud), à six semaines des élections législatives israéliennes. Elle permet d’une manière subséquente à Israël de reléguer au deuxième plan les interrogations qui commencent à se faire jour aux États-Unis sur la prépondérance du lobby juif américain dans la détermination de la diplomatie américaine et sur la vie économique américaine, après les faillites de deux établissements proches du lobby pro-israélien aux États-Unis, la banque Lehman Brother’s et le fonds spéculatif Bernard Madoff.

L’Égypte aura-t-elle signé son divorce avec la Ligue arabe ?

La Ligue arabe constitue une rente de situation pour l’Égypte qui n’en divorcera pas. Elle en a été exclue après la normalisation solitaire de Sadate avec Israël, en 1979, mais depuis sa réintégration, en 1984, lors, elle n’a eu de cesse d’y jouer un rôle prépondérant à l’effet de faire contrepoids à la diplomatie parallèle menée, pour le compte de l’Arabie saoudite, par l’Organisation de la Conférence islamique.

Depuis près de vingt ans, la Ligue arabe a cautionné toutes les interventions militaires américaines dans la zone, que cela soit lors de la première guerre de la coalition occidentale anti-irakienne, scellée au sommet arabe du Caire en août 1990, ou l’invasion américaine de l’Irak en 2003. L’Égypte, qui bénéficie d’une rente stratégique matérialisée par une aide américaine de trois milliards de dollars par an, fait office ,depuis près de vingt ans, de « passeurs de plat » de la diplomatie américaine dans la zone.

Ce n’est pas un hasard si le secrétariat général de l’organisation panarabe a été confié à Amr Moussa, l’ancien ministre des Affaires étrangères, allié par alliance à la famille du président Nasser, au nationalisme moins flageolant que les autres candidats, mais dont la désignation à un poste de consensus a éloigné de la compétition pour la succession présidentielle en Égypte. Un exil doré en somme.

L’Égypte a beaucoup perdu de son prestige du fait de son alignement inconditionnel sur les États-Unis et Israël et son hostilité résolue aux forces contestataires arabes. Les déboires américains en Irak, et israéliens au Liban et en Palestine, y ont grandement contribué aussi. Circonstance aggravante : Malgré tous les abus israéliens, malgré ce déchaînement de violence, la guerre destructrice israélienne contre le Liban, en 2006, le bain de sang contre le peuple palestinien à Ghaza, en Décembre 2008, l’Égypte n’a jamais renoncé à prêter main-forte à Israël, à pourvoir à ses besoins énergétiques à un prix avantageux, en deçà du prix du marché, maintenir fermé le passage de Rafah vers Gaza. Une sorte de complicité dans l’agression en somme. Le comble de l’ignominie pour un pays qui fut longtemps à l’avant-garde du combat de libération arabe.

L’Égypte invoque des prétextes fallacieux pour justifier son atonie. En 2006, l’Égypte tout comme l’Arabie saoudite dont elle n’est plus que l’ombre portée, avaient déploré que le Hezbollah ait mis en péril la « sécurité nationale arabe par un acte unilatéral (la capture de deux soldats israéliens). Aujourd’hui, ils reprochent au Hamas d’avoir rompu la trêve, oubliant que Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem- Est, le Golan sont occupés depuis quarante ans, que la colonisation rampante de la Palestine et la judaïsation de la Ville Sainte de même que le quadrillage de l’espace palestinien se poursuivent sans ménagement et qu’enfin le Hamas a été le vainqueur démocratique des dernières élections législatives, vainqueur incontestable pourtant arbitrairement contesté par les Occidentaux et leurs alliés arabes.

Il n’appartient pas au peuple palestinien de payer, par délégation, pour les atrocités commises à l’encontre des Juifs dans le Monde occidental, notamment en Europe. Tant qu’Israël bénéficiera d’une impunité totale, il est à craindre que des tragédies comme celle de Gaza ne se reproduisent. Il est à parier que le Monde gagnera en stabilité et en sécurité et les pays occidentaux en respectabilité et en crédibilité, le jour où Israël cessera de bénéficier d’une immunité totale et absolue en toute circonstance et en tout lieu.

Mardi 30 décembre 2008.

Entretien réalisé par Azzedine Belferag.



Articles Par : René Naba

A propos :

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de “L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres” (Golias), “Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français” (Harmattan), “Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), “Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David” (Bachari), “Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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