Gaza, un an après : Vers la fin de l’âge d’or de la supériorité absolue militaire israélienne sur son voisinage (2-3)

Le dossier “Gaza, un an après”, en cinq volets est co-publié en partenariat avec l’École Populaire de Philosophie et des Sciences sociales (Alger)

https://ecolepopulairedephilosophie.com/

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L’attaque du 7 octobre 2023, un tournant dans le conflit.

Déluge Al Aqsa, l’incursion militaire palestinienne la plus profonde au cœur d’Israël depuis la proclamation unilatérale de l’Indépendance de l’Etat Hébreu, en 1948.

L’attaque des groupements islamistes palestiniens contre Israël

Cette attaque, sans précédent dans le conflit, a fait de la journée du 7 octobre 2023, la journée la plus meurtrière de l’histoire d’Israël depuis sa fondation en 1948 et marque un «tournant historique» par la nature et l’ampleur de son bilan humain.

Elle constitue en outre l’incursion militaire la plus profonde palestinienne au cœur d’Israël depuis la proclamation unilatérale de l’Indépendance de l’Etat Hébreu, en 1948. A ce titre, elle a été qualifiée de «l’incursion militaire la plus réussie du XXIème siècle», par William Scott Ritter, l’ancien inspecteur de la commission spéciale des Nations unies en Irak entre 1991 et 1998.

Il a fallu quatre mois à l’armée israélienne pour se frayer un chemin sur un territoire de 41 km de long et de 12 km de large. À titre de comparaison, un peu plus de cinq semaines ont suffi à la coalition dirigée par les États-Unis pour s’emparer de Bagdad en 2003. En quatre mois, Israël a utilisé autant de munitions que les États-Unis en sept ans en Irak. Exploit d’autant plus remarquable que l’enclave palestinienne est la portion du globe la plus surveillée de la planète tant par la surveillance aérienne que par l’espionnage électronique des transmissions de sa population, de surcroît soumise à un double blocus d’Israël et de l’Egypte, depuis 2007.

Quatorze ans de blocus ont conduit les dirigeants de Gaza à le contourner en aménageant des voies de ravitaillement tant pour leur survie que pour leur défense, empruntant au Hezbollah libanais la stratégie des tunnels.

Disposant d’une frontière de 72 kms, –59 Kms avec Israël et 13 kms avec l’Égypte– l’enclave de Gaza est traversée dans ses entrailles par 360 kms de tunnels, un poumon vital pour assurer son ravitaillement en armes et en nourritures. Dans sa guerre contre Israël, les actions de harcèlement du Hamas derrière les lignes israéliennes relèvent de cette même stratégie.

Lors de la Guerre de Juin 1967, Israël a conquis en six jours 690.000 kms 2, en 2023, l‘armée israélienne n’a pas atteint ses objectifs à Gaza, en dépit de plusieurs mois de bombardements massifs de l’enclave, l’usage de l’arme du phosphore et de la destruction de l’infrastructure hospitalière.

Pis, la Silicon Valley du Moyen Orient a été de peu de poids devant les techniques rudimentaires des combattants palestiniens de Gaza, alors que cette industrie de pointe, fondée par l’Unité 8.200 de génie de l’armée israélienne, constitue la source de fierté absolue de l’État Hébreu, génératrice de 18,1 pour cent de son PNB et de 48 pour cent de ses exportations.

Le Hamas

Le mouvement islamiste palestinien s’est réhabilité aux yeux de l’opinion arabe de sa déviance du début du printemps arabe, en ralliant, en 2011, la coalition islamo-atlantiste, contre ses frères d’armes de Syrie et du Hezbollah libanais.

En se posant en véritable défenseur de la Mosquée Al Aqsa, le mouvement islamiste palestinien est désormais perçu par une large fraction des Palestiniens, comme le représentant authentique du combat national palestinien, face à une Autorité Palestinienne déconsidérée. Il en est de même de la chaîne transfrontière arabophone du Qatar Al Jazeera, qui a payé un lourd tribut à la liberté d’information d’une guerre voulue par Israël comme devant se dérouler à huis clos.

La Guerre d’Octobre 1973

Marquée par la destruction de la Ligne Bar Lev, premier exploit militaire arabe de l’histoire contemporaine, la guerre d’Octobre a duré 18 jours, soit le triple de celle de juin 1967, faisant 2.691 tués du côté israélien et 2.135 blessés. Israël n’a dû son salut qu’au pont aérien américain ordonné en faveur de son allié israélien par le président Richard Nixon en plein scandale du Watergate.

Mais si, en 1973, Les États-Unis se sont contentés d’assurer un pont aérien pour ravitailler l’armée israélienne, en 2023, cinquante ans plus tard, l’Amérique a dû dépêcher deux porte-avions et une dizaine de bâtiments d‘escorte et 16.000 marins, une task force de 2.000 soldats pour protéger les sites névralgiques israéliens (Dimona et Ourim), en sus d’un détachement d’officiers du Central Command américain pour participer aux réunions du PC commun israélo-américain.

A cela s’ajoute un pont aérien et maritime matérialisé par 500 avions et 117 cargos américains, à la date du 28 Août 2024, soit 50.000 tonnes d’armes, dont plus de 15 000 bombes, dont celles d’une tonne, et 50 000 projectiles d’artillerie. L’administration Biden a donné à Israël plus de 14 milliards de dollars pour acheter d’autres armes des États Unis.

Cela signifie que le gros des 70 000 tonnes de bombes qui ont rasé au sol les quartiers d’habitation à Gaza, en massacrant des civils palestiniens, a été fourni à Israël par les États-Unis. Ils lui ont même fourni les bulldozers Caterpillar, lesquels, dotés de blindage, avancent en même temps que les chars d’assaut en démolissant sous leur poids de 64 tonnes tout ce qu’ils rencontrent.

Avec en perspective une nouvelle livraison d’un escadron de 25 chasseurs F 15 I 3 et un escadron d’hélicoptères Apache. En dehors des États-Unis, Israël possède la plus grande flotte de F-16 au monde. L’Armée de l’air israélienne compterait 362 F-16 en plus de 106 F-15.

En contre point, au 24 août 2024, 172 journalistes avaient trouvé la mort lors de la guerre de Gaza, faisant de ce conflit le plus meurtrier pour les journalistes au XXIe siècle, surpassant le nombre cumulé des journalistes tués lors de la 2me Guerre Mondiale et de la guerre du Vietnam, selon un décompte effectué par le bureau des médias du gouvernement de Gaza.

Pour rappel, au total, 69 journalistes ont été tués pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a duré six ans (1939-1945) et 63 pendant la guerre du Vietnam, qui a duré 10 ans (1965-1975).

Dans ce contexte, «Génocide Joe», le qualificatif dont le président américain a été gratifié pour son soutien inconditionnel à Israël, pourrait ne pas être usurpé, en raison de son hostilité résolue à tout cessez le feu à Gaza, malgré les pertes humaines et les considérables destructions et la décision du président américain d’abonder l’armée de l’air israélienne d’une cinquantaine d’appareils complémentaires.

La “surprise d’octobre” a fait de Joe Biden la première victime collatérale de ce conflit, propulsant d’ores et déjà hors de la scène politique l’octogénaire président démocrate, sanction de sa trop grande complaisance envers la boucherie de Gaza. Du côté israélien, le général Aharon Haliva, chef de l’Aman, le service de renseignement militaire, a démissionné le 22 avril, ainsi que deux officiers de l’équipe du porte-parole militaire Daniel Hagari: le commandant en second de l’équipe, Moran Katz, et le général Richard Heshit.

La guerre de juillet 2006

Première confrontation d’ampleur entre l’Etat Hébreu et le Hezbollah libanais, cette guerre asymétrique a duré 33 Jours.  Elle se soldera par un échec israélien compte tenu de l’objectif déclaré d’Israël «l’éradication du Hezbollah libanais», la formation chiite mettant en œuvre à cette occasion, grâce à ses tunnels, un conflit mobile dans un circuit fermé, une novation stratégique majeure de la polémologie contemporaine, dont le Hamas s’en est inspiré à Gaza.

Préfiguration de la destruction de l’enclave de Gaza, en 2023, trente-trois jours de bombardements aériens du sud Liban et de Beyrouth, n’auront pas eu raison de la résistance du Hezbollah, en dépit de la connivence du premier ministre sunnite libanais de l’époque Fouad Siniora, l’ancien comptable de son patron le milliardaire libano saoudien Rafic Hariri, et du leadership maronite, roue dentée de toutes les équipées occidentale dans la zone.

Depuis le 7 octobre 2023 Israël subit une véritable guerre d’usure de la part du Hezbollah, le contraignant à mobiliser le tiers des effectifs de son armée pour contenir les harcèlements de la formation paramilitaire chiite libanaise.

Indice patent de l’échec de la stratégie menée par Israël lors de la guerre de Syrie (2011-2021), qui s’est livré contre ce pays à une guerre en solitaire, “une guerre dans la guerre”, selon la terminologie israélienne, en superposition à la guerre de la coalition internationale.

Depuis la guerre de Syrie, Israël a attaqué 400 fois la Syrie, dont 180 fois depuis le lancement de l’opération “Déluge al Aqsa”, le 7 octobre 2023, sans pour autant réussir à déloger le Hezbollah de ce pays qui constitue la jonction stratégique du ravitaillement de l’Iran à la formation paramilitaire chiite libanaise…Sans pour autant réussir à affaiblir le Hezbollah comme en témoigne la vigueur et la précision  de ces attaques, qui ont contraint la population à évacuer le nord d’Israël.

Le point culminant de cette guerre d’usure a été atteint le 25 Août 2024 avec la riposte massive balistique du Hezbollah à l’assassinat de son chef mlitaire Fouad Chokr, ciblant la base de Galilot, siège de l’AMAM, les reseignenemts militaires israéliens et surtout de l’Unité 8.200, le centre des réperages électroniques de la zone, à 1,5 kms de Tel Aviv.

L’Axe de la Résistance, la concrétisation d’une synchronisation opérationnelle sur le terrain générant un débordement du champ de bataille traditionnel

En vingt cinq ans (1979-2023), –du traité de paix égypto-israélien en 1979 et le dégagement du plus pays arabe du champ de bataille,  au “déluge Al Aqsa”, en 2023–, la stratégie atlantiste a consisté à anéantir le “Front Oriental”, afin de neutraliser toute menace des pays arabes limitrophes d’Israël;  Une stratégie matérialisée par la guerre civile du Liban (1975-2000), qui a débouché sur l’éradication de l’OLP de son sanctuaire libanais; l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et la destruction des camps palestiniens de ce pays; La guerre de Syrie (2011-2021) et la destruction du camp palestinien de Yarmouk par les groupements islamistes. Avec en parallèle, la normalisation collective des pétromonarchies arabes avec Israël (Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Maroc) en sus du Soudan et de la Jordanie.

Nonobstant cette stratégie, pour la première fois dans l’histoire du conflit israélo-arabe, la confrontation a débordé le champ de bataille traditionnel, avec l’implication des Houthistes du Yémen qui se sont distingués par des tirs de missiles et de drones contre Eilat, dont le nom arabe est «Um al-Rashrash», avant son hébraïsation; Du Hashd Al Shaabi en Irak contre les bases américaines dans le Nord Est syrien et en Irak, y compris l’antenne du Mossad et la base aérienne américaine d’Erbil, dans le Kurdistan irakien; Enfin, contre les positions du Parti Islamiste du Turkestan (les Ouighours), dans le Nord Est de la Syrie; Enfin, naturellement le Hezbollah libanais contre le Nord d’Israël.

L’engagement de la formation chiite dans la guerre d’usure a contraint Israël à immobiliser dans la région frontalière libano-israélienne «le tiers des effectifs logistiques de l’armée israélienne, y compris des troupes d’élite, la moitié de ses forces navales, alors que 50 pour cent de sa force balistique, le forçant à évacuer la population de 45 agglomérations urbaines».

Mieux: Les tirs balistiques iraniens contre Israël, -le 13 avril 2024, en représailles au raid de l’aviation iranienne contre le consulat iranien à Damas,- ont fait l’effet d’un séisme et promu l’Iran, au rang des “ pays du champ de bataille ”. Au vu du nombre des émissaires occidentaux qui se sont succédé à Beyrouth pour mettre en garde le Hezbollah, Hassan Nasrallah s’est révélé être «l’Homme qui tétanise Israël et rend insomniaque les Occidentaux.

La nouvelle mouture de la guerre de Gaza le confirme : Aux extrémités du monde arabe, les Houthistes, ces combattants furtifs des plateaux du Yémen, dans la zone du Golfe, et les combattants du Hezbollah, en Mer Méditerranée, par leur implication, se posent désormais en équation incontournable du pouvoir décisionnaire régional; indice patent de l’amorce de la désoccidentalisation de la Planète.

L’arme atomique, une option ? Vraiment ?

Le ministre ultra nationaliste israélien du Patrimoine, Amichai Eliyahu, a considéré qu’une attaque à la bombe atomique sur Gaza était une «option», suscitant un tollé tant en Israël que partout ailleurs dans le Monde. Cette déclaration faite le 5 novembre 2023, soit près d’un mois après le début des représailles israéliennes contre l’enclave, révélait le désarroi de la classe politique israélienne face à la combativité du Hamas, mais desservait l’image de l’État Hébreu au sein de ses alliés occidentaux.

Fait plus grave pour la stratégie atlantiste, l’hypothèse d’une option atomique israélienne confirme indirectement la détention par Israël de l’arme atomique en contradiction du sacro-saint principe de la non-prolifération nucléaire que les Occidentaux brandissent pour empêcher l’Iran d’accéder au rang de «puissance du seuil nucléaire».

Le gaz, véritable enjeu de la guerre de Gaza

Sauf à être nourri du complexe de Samson, –démolisseur des colonnes du temple de Dagon, acteur et victime de sa propre passion, retournée contre lui-même– le ministre ultranationaliste israélien ignore-t-il qu’en raison de la contiguïté et de l’exiguïté des territoires israélien et palestinien, l’usage du feu nucléaire israélien sur Gaza aura immanquablement des retombées atomiques sur le territoire israélien.

Au-delà de la neutralisation du Hamas et l’éradication de la question palestinienne,  objectifs officiels de la guerre israélienne, le gaz est en fait le véritable enjeu sous-jacent de la bataille de Gaza.

Israël craint en effet que les gisements gaziers découverts en 2000 au large des côtes de Gaza ne soient exploités, au double sens du terme, par le Hamas pour l’aider, sinon à construire un État palestinien indépendant, au moins à financer ses attaques contre l’État hébreu.

Pour aller plus loin sur ces thèmes, cf ces liens :

  1.   Israël et la fin de la pureté des armes
    https://www.renenaba.com/israel-et-la-fin-de-la-purete-des-armes/
  2.   Du Bon usage des bains de sang
    https://www.palestine-studies.org/en/node/1642720
  3. De l’utilité de certaines rumeurs en temps de guerre
    https://www.madaniya.info/2018/10/04/de-l-utilite-de-certaines-rumeurs-en-temps-de-guerre/

4- Le film sur les souffrances de Gaza d’Aymeric Caron, député français membre de la France Insoumise (LFI)

https://www.cinemutins.com/gaza-apres-le-7-octobre/watch/2034

ILLUSTRATION

Middle East Eye : https://www.middleeasteye.net/news/satellite-images-show-israel-paving-new-road-philadelphi-corridor



Articles Par : René Naba

A propos :

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de “L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres” (Golias), “Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français” (Harmattan), “Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), “Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David” (Bachari), “Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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