Genève un accord de principe sur des principes russes

Ainsi que l’a annoncé en début de soirée de ce 30 juin Kofi Annan, les États réunis à Genève dans le cadre du Groupe d’action sur la Syrie sont parvenus finalement à un accord sur les principes d’un processus de transition politique « dirigé par les Syriens » et qui passerait par la constitution d’un gouvernement d’union nationale, réunissant des représentants de l’actuel gouvernement et des membres de l’opposition. Le sort de Bachar al-Assad dans ce cadre n’a pas été précisé par Kofi Annan.

Un accord sur des fondamentaux sino-russes

L’émissaire de l’ONU et auteur, ou promoteur, du projet de gouvernement de transition débattu à Genève se retranche derrière une pétition de principe, vague et consensuelle : « C’est au peuple de parvenir à un accord politique« . Mais il ajoute que « le temps presse« . Annan a quand même annoncé que les différents camps en présence allaient lui envoyer des représentants pour entamer des discussions. Car, insiste Kofi Annan, « le dialogue doit être résolu par un dialogue et des négociations pacifiques« . Au passage tout de même le groupe d’action sur la Syrie demande des réformes constitutionnelles et des élections « libres et justes » : un désaveu implicite des réformes, pourtant historiques dans leur principe, initiées par Bachar al-Assad, et aussi des législatives tenues en mai, malgré le début d’ouverture pluraliste qui les a malgré tout caractérisées.

Que penser alors de cet accord, où la Russie et la Chine se sont donc entendus avec leurs adversaires occidentaux ? Qu’il porte sur des principes, et des principes pas nouveaux, qui étaient déjà contenus dans les différents « plans » concoctés par la Ligue arabe fin 2011 et début 2012. Et auxquels s’étaient opposés, au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine. Alors quelles différences entre ces plans là et l’accord de Genève ?

-Début 2012 la Ligue arabe avait, entre autres, proposé le retrait de Bachar, le gouvernement devant être symboliquement assumé par son vice-président, chargé de conduire des négociations avec l’opposition en vue d’un gouvernement de transition. Le départ du président était alors réclamé sur tous les tons par les Clinton, Juppé, Hague.

-La Ligue arabe et les Occidentaux avaient longtemps fait porter la responsabilité des violences sur le seul gouvernement syrien et ses forces de l’ordre.

-Les Occidentaux parlaient d’intervention militaire, de « couloirs humanitaires« . Ils instituaient une structure radicale, à domnation islamiste, le CNS, repré »sentant légitime et quasi-exclusif du peuple syrien.

Les Russes, entraînant les Chinois, se sont constamment opposés à ces lectures de la crise syrienne, à ces revendications d’ingérence, à ces pressions, économiques, diplomatiques et militaires. Ils ont imposé à l’ONU et aux membres occidentaux du Conseil de sécurité la reconnaissance de responsabilités partagées dans le climat de violence. Ils ont tout récemment mis en cause les bandes armées et les nations étrangères qui les arment, les financent et les hébergent.

Surtout ils ont imposé, rejoints par de  nombreux pays, et l’accord de Genève le reflète, le principe fondamental de l’autodétermination du peuple syrien et de la souveraineté de la nation et de l’État syriens. Et le refus donc de l’ingérence, des pressions, directes et indirectes  en vue d’un renversement du gouvernement de Damas.

Ils ont patiemment « tricoté » – qu’on excuse la trivialité de notre métaphore – un nouveau cadre politique et même psychologique das lequel ils ont objectivement « emmailloté » les Occidentaux : ce sont leurs principes et fondamentaux, beaucoup plus que ceux des Américains, des Britanniques, des Français qui ont inspiré cette conférence de Genève. Et d’ailleurs ils inspiraient largement les six points du plan de paix Annan présenté au printemps. Et le Qatar, présent à Genève, qui défendait ouvertement l’armement des bandes rebelles, et une révolution sanglante, a été désavoué de fait.

Bachar, incarnation incontournable du principe de réalité

Voilà pour les principes – qui sont globalement, répétons-le, des principes de non ingérence et de dialogue national défendus inlassablement par les diplomaties russe et chinoise. Et quid de leur application concrète, de leur traduction en faits politiques syriens ? Nous ne sommes pas des diplomates de arrière, mais voilà ce que nous pensons.

Le CNS refusera toujours de s’asseoir à une table de négociations avec l’actuel gouvernement, à cause de sa radicalité même, et du fossé sanglant qu’il a grande partie creusé. Et si certains éléments s’engageaient malgré tout, cédant aux pressions de leurs appuis occidentaux, dans des ébauches de discussion, ils seraient désavoués par les plus radicaux. Et ce qui est vrai d’une bande de politiciens comme les hommes du CNS, l’est évidemment encore plus des fanatiques à Kalashnikov et RPG présents sur le terrain, et presque tous dans une logique de guerre sainte contre le pouvoir et les minorités religieuses. Et tout le monde est bien conscient de cela,en tous cas l’administration russe.

Celle-ci parie à notre avis sur l’incapacité profonde du CNS à représenter un interlocuteur valable dans un processus de dialogue inter-syrien. Et parie encore, comme Bachar après tout, sur un « détachement » des modérés de cette opposition exilée.

-Certains amis d’Infosyrie, un peu « nerveux » (on les comprend) s’inquiètent déjà d’un lâchage des Russes, ou craignent qu’ils se soient fait embobiner par Hillary Clinton et Kofi Annan. Allons donc ! Croit-on que Poutine et Lavrov aient oublié en 24 heures leurs analyses et prises de position de ces derniers mois ? Moscou n’entend pas lâcher la Syrie, c’est-à-dire, concrètement, Bachar al-Assad et le pouvoir politique qu’il représente. Pas tant pour la base de Tartous ou les ventes d’hélicoptères ou de Migs que pour stopper la subversion atlantiste et son grignotage du monde arabe, que pour défendre l’Iran ami. Pour défendre aussi son rôle de géant renaissant, dont la crédibilrté, bafouée de quelle façon par l’OTAN en Libye, se joue aujourd’hui en Syrie. Et puis aussi, la Russie a pris, de fait, dans cette affaire, la tête d’une nouvelle croisade des non alignés, elle a fédéré les opposants au Nouvel Ordre mondial occidental.

-Le lâchage de Bachar ? ll n’en est tout simplement pas été question à Genève même si évidemment une Hillary Clinton n’a pas renoncé à ce rêve géostratégique. Voici quelques jours Sergueï Lavrov, le vrai maître du jeu à Genève, avec son homologue chinois, le disait ouvertement : le départ de Bachar est « impossible« . Impossible politiquement, géopolitiquement, éthiquement aussi, le gouvernement de la Syrie ne se décidant pas à Washington, Bruxelles ou Doha. Et en appuyant le principe d’un gouvernement d’union, les Russes consacrent internationalement, d’une certaine façon, la légitimité politique du gouvernement en place.

Bref Russes et Chinois, qui n’ont cessé, contrairement aux Occidentaux, de soutenir le plan Annan, sont dans leur logique quand ils approuvent un accord qui, au niveau des principes, reflètent leurs prises de positions de toujours sur le dossier syrien. Ils ont lié les Occidentaux dans cette logique de négociation et de respect de la souveraineté populaire et nationale. L’accord ne demande pas le départ de Bachar, lequel départ ne pourra, selon l’esprit et la lettre du plan Annan, se faire que si une majorité de Syriens, par le jeu d’élections, le demandaient. On est très loin de cette éventualité.

Les modalités d’applications de cet accord sur un gouvernement de transition sont, nous osons le dire, toujours aussi utopiques, irréalisables politiquement. Nous pensons que Lavrov et Poutine le savent très bien. Il leur importait d’imposer à leurs adversaires leurs principes et leurs calendrier – un  calendrier qui reste, et pour cause, très flou. Ils ont obligé les Américains et leurs suiveurs à renoncer officiellement à leur préalable de départ de Bachar. Celui-ci, quoiqu’il arrive, va continuer à incarner la légitimité internationale de son pays. Un pays qu’il devra purger des bandes responsables de 80 ou 90% des malheurs de la Syrie. Mais ceci est une autre histoire.

Hillary Clinton, qui doit quand même s’efforcer de sauver la face de l’administration Obama, a estimé que cet accord ouvrait « la voie à l’ère post-Assad« . La secrétaire d’État US prend, ou feint de prendre, ses désirs pour des réalités. C’est plutôt, à notre humble avis, une ère « post-atlantique » qui s’ouvre, pour la Syrie et le reste du monde. Et de même que nous avions prédit naguère que Bachar survivrait à Sarkozy, nous disons qu’il survivra à Obama, ou même à Mitt Romney.



Articles Par : Louis Denghien

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