Giulietto Chiesa : “Mon combat pour la démocratie en Europe”

Après l’épisode de Tallinn le mois dernier, Giulietto Chiesa raconte dans cette interview à La Voix de la Russie son récent voyage en Estonie, accompagné de l’opérateur de PandoraTV, Adalberto Gianuario, et de la sénatrice italienne Paola De Pin.

 

La Voix de la Russie : Quelles étaient les motivations qui vous ont poussé à retourner en Estonie ?

Giulietto Chiesa : Je suis revenu en Estonie parce que ce qui m’est arrivé en décembre est un épisode emblématique et sans précédent qui remet en cause les principes fondamentaux de l’Europe. Le problème ne regarde pas seulement ma petite personne et le fait que j’aie été arrêté, fouillé, jeté dans une cellule et finalement expulsé du pays ; ce qui est en jeu, c’est un principe valable pour tous les citoyens européens, qui doivent rester libres de se déplacer sans restrictions sur le territoire européen.

C’est le principe de la citoyenneté européenne, un principe fondamental des droits démocratiques avalisés par les traités européens. J’ai voulu que ce principe soit confirmé et j’ai donc décidé de retourner en Estonie, une fois que j’ai été juridiquement en conditions de le faire ; dans le même temps, j’ai décidé de vérifier s’ils allaient oser m’arrêter une deuxième fois et de m’expulser à nouveau ou pas…

Cela ne s’est pas produit, ce qui signifie simplement que j’avais raison. C’est ainsi que j’ai pu réaffirmer ce principe [de liberté de déplacement en Europe]. À partir de là, on peut continuer à discuter tranquillement des possibilités d’application de ces principes.

Mais il y a une deuxième partie sur laquelle j’entends bien me battre, c’est celle du Droit. J’exige que les décisions émises à mon égard soient annulées, puisqu’illégales, et je vais tout faire pour avoir gain de cause. J’ai d’ailleurs déposé un premier recours auprès du tribunal administratif de Tallinn pour demander l’annulation du décret de décembre. Je vais aussi en déposer un deuxième pour le préjudice que cela m’a causé.

Les accusations qui ont motivé une décision illégale sont, à leur tour, non seulement illégale, mais constituent une offense à ma personne et à ma profession. En particulier, on m’a accusé d’avoir soutenu et encouragé le génocide du peuple estonien, mais cette affirmation doit être démontrée. Personnellement, je considère que c’est de la diffamation parfaitement gratuite.

Pour ces raisons, j’intenterai des actions au plan légal contre le gouvernement estonien pour « calomnie et diffamation » et je le ferai devant un tribunal estonien, ce qui permettra aussi de vérifier jusqu’à quel point les institutions juridiques de ce pays travaillent en adéquation avec les critères démocratiques voulus par la Constitution européenne. La troisième étape qui parait inévitable, si d’aventure les institutions estoniennes restaient sur leur position, serait de déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, à travers un dossier rassemblant tous les éléments de cette histoire.

Je pense vraiment que c’est ce que je dois faire, car il s’agit d’une question qui ne me concerne pas personnellement – comme je l’ai déjà dit – mais qui concerne la citoyenneté européenne dans son ensemble. Et L’Europe, à travers la Cour européenne pour les Droits de l’Homme, doit nécessairement se prononcer. De cette façon, en suivant ce cheminement parfois bureaucratique, tout le monde pourra mesurer la « qualité » de la démocratie européenne.

LVR : D’après le porte-parole du ministère de l’Intérieur estonien, ton objectif était d’attirer l’attention et de rechercher la provocation, mais ce même ministère a déclaré dans un communiqué public et officiel qu’en renouvelant l’interdiction d’entrée (valide du 13 décembre 2014 au 13 janvier 2015) tu aurais eu alors la possibilité de le violer à nouveau [à noter qu’en décembre, Giulietto Chiesa n’avait aucunement été informé avant son arrivée de son interdiction d’entrée sur le territoire par le gouvernement estonien]. Et cela aurait causé à l’État estonien des torts plus importants que celui qu’ils ont subi en acceptant finalement que tu participes à cette conférence sur le thème « La Russie est-elle vraiment l’ennemie de l’Europe ? » Que penses-tu de ces déclarations ?

GC : Tout d’abord, cette dernière déclaration est une critique explicite des autorités qui m’ont empêché de donner cette conférence, puisqu’ils disent eux-mêmes que cela m’a donné une formidable occasion pour critiquer l’État estonien. Ce n’est pas moi qui ai signé ce décret, n’est-ce pas, donc c’est à eux de résoudre leurs problèmes entre eux. Personnellement, je considère que cette annonce constitue une autocritique de la part des institutions estoniennes. La déclaration du porte-parole du ministère de l’Intérieur en revanche, représente une accusation dont ces mêmes institutions devront répondre vis-à-vis de ma personne, car parler de « provocation » à propos d’une conférence signifie que cette conférence n’aurait pas dû se tenir. Il y a une contradiction dans tout cela.

Si l’on pense qu’une conférence est une provocation, alors on doit décider et rendre public le fait qu’une opinion est une provocation. Pour ma part, je ne suis, et je n’étais pas à l’époque, en mesure de renverser l’ordre constitutionnel de l’Estonie par cette conférence, et donc tout cela signifie simplement que le droit d’un citoyen européen à exprimer publiquement son point de vue a été remis en cause sur son propre sol, car selon les principes juridiques de l’Europe, l’Estonie c’est « chez moi », comme l’Italie, la France, ou n’importe quel recoin de cette nouvelle configuration étatique que nous appelons Europe. C’est pour cela que si ne peux même plus dire ce que je pense chez moi, alors il faut décider de qui a le droit de s’exprimer et de qui ne l’a pas. Tout cela ressemble beaucoup à une situation orwellienne.

LVR : Comment se fait-il que la conférence de vendredi dernier ait eu lieu à Maardu et non à Tallinn, comme cela était initialement prévu par l’Association Culturelle Impressum qui t’a invité ?

GC : Les deux conférences – du même nom – auraient dû se dérouler à Tallinn. La première a été interdite en décembre. La seconde n’a pas été interdite, bien qu’il y ait eu, je pense, pas mal de pressions et de tentatives d’intimidations (plus ou moins directes) à l’égard des structures qui devaient l’accueillir. Au point que deux des plus importants hôtels de Tallinn – le Radisson Blu Olympia (appartenant à la chaîne Radisson) ainsi que l’hôtel Meriton et Viru – ont refusé de nous mettre à disposition une salle de conférence, et même de nous louer des chambres, ce qui finalement m’a permis de résider dans un magnifique hôtel 5 étoiles dans le centre historique de Tallinn !

Il n’en reste pas moins que ces hôtels et ces institutions politiques nous ont refusé la salle parce qu’elles craignaient des répercussions politiques, des émeutes ou que sais-je…La chose importante à retenir est que cette difficulté à trouver des établissements acceptant de nous héberger ne me concerne pas moi uniquement, mais également mes accompagnateurs, Adalberto Gianurio, opérateur pour Pandora TV, et Paola De Pin, sénatrice au parlement italien, et donc représentante des institutions italiennes. Voilà pourquoi la conférence s’est déroulée à Maardu, ville située à une vingtaine de kilomètres de Tallinn, dans une salle où il n’y avait ni police ni contestataires, mais un public nombreux et très intéressé à découvrir mon point de vue.

LVR : Une question concernant l’actualité politique : que penses-tu de la victoire de Tsipras aux élections grecques d’hier ?

GC : Je considère cette victoire comme incroyable. Il s’agit d’un événement majeur puisque pour la première fois, un pays Européen se retrouve dans la situation d’avoir un gouvernement qui refuse ouvertement la ligne politique de l’Union européenne et qui demande de la modifier. Pour la première fois, Bruxelles et la Troïka vont trouver face à elles un véritable obstacle à leur agression contre les populations européennes.

Cela constitue un changement extrêmement important et radical qui transforme la perspective des années à venir. Il va désormais falloir voir comment l’Europe de Bruxelles va réagir à cette situation, comment Tsipras va réussir à emporter l’adhésion de l’opinion grecque, comment les autres pays d’Europe vont réagir, parce que cette victoire de Syrisa est une victoire électorale qui risque d’avoir des répercussions également sur une partie de l’opinion publique européenne.

Tout cela reste à voir, parce que je suis certain que Tsipras va être soumis à une pression énorme afin de l’empêcher d’obtenir un quelconque résultat ou alors très limité, et de faire en sorte qu’ainsi une partie de l’opinion publique se retourne contre lui, y compris ceux qui ont voté pour lui.

Je pense donc que les années à venir ne vont pas être faciles pour Tsipras ; mais je crois que c’est un tournant majeur qui va avoir des conséquences importantes.

Cela dit, j’ai lu beaucoup de commentaires à la suite de ma déclaration sur ma page Facebook concernant la victoire de Tsipras et j’ai découvert avec stupeur combien de personnes ne comprennent quasiment rien à la politique ; il y a comme une sorte de rejet et de suspicion à l’égard de Tsipras lui-même et de ce qui s’est passé durant ces élections.

Ce que je constate, c’est d’une part qu’il y a une immense illusion de la part des Européens qui ne comprennent pas ce qui est en train de se passer, et d’autre part, que c’est le début des attaques contre Tsipras. Dans les commentaires en question, on voit déjà poindre une campagne de dénigrement visant à couvrir d’insultes et de suspicion tout ce que fait Tsipras. Ce n’est que le début des attaques.

Je sais parfaitement que Tsipras va subir des attaques systématiques de toutes parts pour le démolir. Imaginez un peu ce qui doit se dire et se faire au coeur du pouvoir mondial, à Washington, à la City de Londres, chez les Goldmans Sachs et autres institutions dominantes ;  les chantages, les menaces et les croche-pieds vont bientôt poindre à l’horizon.

C’est la raison pour laquelle actuellement, je suis du côté de Tsipras sans aucune hésitation.

 

Source : La Voix de la Russie, le lundi 26 janvier 2015, 18 h 19

Traduction : France Dtf et Christophe pour ilFattoQuotidiano.fr



Articles Par : Giuletto Chiesa

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