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Grandes manoeuvres Nouvelles du « Nouveau Moyen-Orient » : Condoleezza Rice et le « chaos créatif » sur plusieurs fronts
Par Klaus von Raussendorf
Mondialisation.ca, 03 novembre 2006
Berliner Umschau 3 novembre 2006
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Les « douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient » – voilà le nom que la secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères des USA avait trouvé pour les bombardements terroristes du Liban. Du 3 au 6 octobre Condoleezza Rice a fait un nouveau séjour dans la région. « Son unique souci est de reconformer la région et la scène palestinienne selon les intérêts de l’agenda américain et israélien » – tel a été le jugement porté par le Premier ministre palestinien Ismaël Haniyeh sur sa mission, diplomatique. Le nom de code de la stratégie usaméricaine visant à reconformer la région, c’est « chaos créatif ». Les différentes lignes de force de cette stratégie sont clairement apparues en relation avec le voyage de Rice, tout autant d’ailleurs que les réactions de ceux qui veulent affirmer leur identité nationale.

1 – Palestine : incitation à une guerre fratricide

.En Palestine les USA et Israël travaillent à renverser le gouvernement démocratiquement élu. Le gouvernement du Hamas est boycotté sous le prétexte qu’il se refuse à reconnaître l’État juif et à renoncer à toute résistance armée à l’occupation comme préalables à toute négociation avec Israël. Or l’armée israélienne, durant la guerre au Liban, a assassiné environ 200 Palestiniens et en a blessé 1000 autres. Elle a enlevé des élus et des parlementaires palestiniens par douzaines. En usant de pressions extérieures Israël, les USA et leurs alliés européens tentent d’exacerber les tensions entre le Hamas et le Fatah dans le but de paralyser le Hamas, puis de le mettre complètement hors circuit.

Dans ces conditions les régimes arabes « modérés »cherchent à jouer les « médiateurs » entre Palestiniens. Cependant, le 10 octobre, le ministre des Affaires étrangères du Qatar déclara que ses tentatives de médiation avaient pour l’instant échoué. Khaled Meshaal, l’un des dirigeants du Hamas, commenta en ces termes la rupture des efforts de médiation: « Voilà le sort de ceux qui posent la reconnaissance d’Israël comme condition préalable aux négociations. Ils n’ont rien obtenu.» Et il rejeta ce préalable posé par l’Occident en posant lui-même une question : « Depuis quand la non-reconnaissance d’un État empêche-t-elle le dialogue ? La Chine ne reconnaît pas Taïwan. Il arrive qu’un État n’en reconnaisse pas un autre sans pour autant interrompre ses relations avec lui. Si Israël voulait vraiment négocier la paix, la position du Hamas ne constituerait pas un obstacle. » Le parti de gouvernement palestinien s’est déjà déclaré prêt à une trêve de dix ans et à des négociations avec Israël. Négocier avec un État à l’échelon international implique pratiquement la reconnaissance de ce dernier, même si elle n’est pas explicitement formulée. Du point de vue du Hamas la tentative de médiation des régimes arabes « modérés » présentait une faille. Certes elle s’appuyait sur le Document d’entente nationale rédigé par des personnalités palestiniennes de premier plan détenues en Israël. Les points principaux en sont l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël et un armistice mettant fin à la violence dans les territoires occupés. Le Hamas avait accepté le document des prisonniers, mais avec une réserve : le texte se réfère également aux accords de paix de 2002, qui prévoyaient la reconnaissance d’Israël.

Il y a quatre ans encore le Fatah et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP ) qualifiaient ce document de « coup de poignard dans le dos » de la Résistance palestinienne. Il présentait une grande faiblesse. Aucun représentant palestinien n’avait participé directement à son élaboration. Car Israël n’avait pas autorisé le président Yasser Arafat, prisonnier dans son Q.G. de Ramallah, à se rendre à Beyrouth, ni même toléré qu’il fasse entendre sa voix, relayée par satellite, à la Conférence de la Ligue arabe. La proposition unanime des États arabes de reconnaître l’État juif et de reprendre les relations diplomatiques avec lui s’il acceptait de se retirer des territoires occupés depuis 1967 n’avait jamais été prise sérieusement en considération par les USA et Israël. Les Palestiniens avaient objecté que ce document n’aborde pas des questions importantes telles que le caractère de l’État palestinien, son statut militaire, les ressources en eau,

Jérusalem, les colonies juives, le contrôle aux frontières, les prisonniers politiques palestiniens. Ils jugeaient totalement inacceptable que le droit au retour des réfugiés palestiniens, un droit fondamental inaliénable et reconnu comme tel par l’ONU, soit soumis lors des négociations au bon vouloir d’Israël via une vague formule exigeant pour eux une « solution équitable ».

Les régimes arabes avaient déclaré que les « accords de paix » étaient morts lors de la guerre du Liban. Ils attendirent en vain une initiative des USA pour la reprise du dialogue. La Secrétaire d’État aux Affaires Etrangères n’avait rien de tel dans ses bagages lors de sa visite (au Moyen-Orient.) Tout ce que Condoleezza Rice chercha à obtenir des Israéliens fut une réouverture, annulable à volonté, de la sortie Sud de Gaza permettant le passage en Égypte. En place de signaux venus de Washington et encourageant le dialogue israélo-palestinien, on perçut les indices d’une tentative des forces réactionnaires pour précipiter les Palestiniens dans une guerre fratricide. Selon un service d’information qui dit s’appyer sur des sources de services secrets (israéliens ?), Washington a commencé à apporter une aide militaire au Fatah dans sa lutte pour le pouvoir avec le Hamas. Un programme – auquel seraient affectés 26 millions de dollars – viserait à faire passer les effectifs de la vieille « Force 17 » de Yasser Arafat de 3500 à 6500 hommes armés et entraînés par les USA . Le général Keith Dayton serait chargé de la coordination. (DEBKAfile du 11 octobre 2006) En Irak, Dayton était responsable de l’Iraq Survey Group, une unité centrale des services secrets du Pentagone. Les interrogatoires à la prison d’Abou Ghraib relevaient de sa compétence.

2. : Les régimes arabes : alliance contre les forces de la Résistance

À l’image des autres régimes réactionnaires arabes inféodés aux USA, l’Arabie saoudite, qui est à l’origine de l’Initiative de paix arabe de 2002, a repris de l’importance aux yeux de Washington après la défaite israélienne au Liban. Washington considère ces régimes bien disposés à son égard comme un contrepoids à la Syrie , au Hezbollah, et autres forces de la résistance arabe. Les plans de « démocratisation » prévus pour l’Egypte et quelques autres pays fournisseurs de bons offices ont été provisoirement gelés. Washington aimerait qu’à l’avenir les alliés arabes « modérés » des USA constituent une nouvelle alliance. Le 3 octobre les six Etats du Conseil de coopération du Golfe (GCC) dont l’Arabie saoudite est membre, ainsi que l’Égypte et la Jordanie , ont tenu une conférence au Caire avec la Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères des USA. Elle essaya « de vendre l’idée séduisante mais irréaliste que Washington pourrait apporter aux« modérés » du monde arabe son aide contre les « extrémistes » , selon l’analyse de Rami G. Khouri, rédacteur en chef du Daily Star (Beyrouth). Mais, poursuit Khouri , une approche aussi naïve trahit son ignorance du courant de fond au Moyen-Orient, « où l’opinion publique et quelques directions politiques sont passées à la mobilisation active contre les projets des USA et d’Israël et défient les amis arabes et les hommes de paille des USA. »Toujours selon lui, une nouvelle « guerre froide » se prépare. Des dirigeants pro-occidentaux se dressent contre les forces qui s’opposent aux desseins de l’Occident, représenté dan dans la région par les USA et Israël. « La polarisation idéologique qui s’est établie au cours de ces dernières années » écrit Khouri, « est en partie, et peut-être en totalité, une conséquence de l’engagement militaire, diplomatique et économique de Washington en faveur de la stratégie israélienne. » De même l’ Economist du 7 octobre se voit obligé de reconnaître que le « bloc » de la Résistance , qui ,outre l’Iran , la Syrie et leurs clients, le Hamas et le Hezbollah, inclut dans une certaine mesure le régime rebelle soudanais, « est sorti très renforcé de la victoire électorale du Hamas, de l’entêtement iranien sur la question du nucléaire et des succès du Hezbollah contre l’armée bien supérieure d’Israël. » Des «modérés » – le président égyptien Moubarak , le roi de Jordanie Abdullah- sont désormais classés parmi les marionnettes des USA.Lors de leur rencontre avec Rice, les diplomates arabes auraient eu la plus grande peine à ne pas donner l’impression de forger une nouvelle coalition pro-américaine ou de cibler certaines composantes de la région.

L’Arabie saoudite avait réagi avec une violence inhabituelle à la capture des deux soldats israéliens par le Hezbollah, le 12 juillet dernier. Lors de la séance extraordinaire de la Ligue arabe, le 15 juillet, le ministre saoudien des Affaires étrangères avait stigmatisé « une action inattendue, inappropriée et irresponsable. » La plupart des régimes arabes firent chorus. Les seules exceptions furent l’Algérie, la Syrie , le Liban et le Yémen. Mais les Saoudiens durent rapidement cesser de critiquer le Hezbollah, du moins publiquement. Les masses arabes apportèrent un soutien enthousiaste à la résistance libanaise. D’un autre côté la monarchie saoudienne avait d’autres raisons, et fort concrètes, de se sentir frustrée. Les Saoudiens avaient davantage investi au Liban que la totalité des autres pays arabes (595 millions de dollars US pour la seule année 2003.) Les investissements de la monarchie pétrolière avaient conforté l’ex-Premier Ministre Rafic Hariri, un citoyen saoudien. Et par là renforcé le rôle stabilisateur de la Syrie au Liban. Hariri, en bons termes avec la Syrie , servait d’agent de liaison entre la Syrie et l’Arabie saoudite. Son assassinat rendait inévitable le retrait des forces syriennes du Liban en avril 2005. « La guerre du Liban n’a pas seulement mis en péril 15 ans d’investissements saoudiens au Liban », constate Mahan Abedin, un spécialiste des mouvements et idéologies islamiques . « Elle a également révélé les limites de la politique étrangère du Royaume.» Les « oulémas officiels du wahhabisme sont de plus en plus discrédités. » Ceci aura de lourdes conséquences pour la « sécurité du régime.» (Asia Times du 2 septembre 2006.) Pour se tirer d’embarras l’Arabie Saoudite exhuma de ses tiroirs sa bonne vieille « Initiative de paix » de 2002. Mais ni Washington ni Israël ne bougèrent le petit doigt pour redonner ne fût-ce qu’un semblant de vie à ce poussiéreux document. Et le Hamas persista fermement dans l’_expression de son attiude nationale.

3. Israël : Préparatifs de guerre contre la Syrie et l’Iran

Le 10 octobre, Israël déclara une nouvelle fois qu’il ne négocierait pas avec la Syrie tant que Damas soutiendrait des « groupes activistes.» Il répondait ainsi à une interview du président syrien Bachir Al Assad à la BBC , où celui-ci avait déclaré que son pays était prêt à entamer des négociations de paix. Analysant objectivement la situation après la guerre du Liban et la visite de Rice, Assad avait ajouté qu’on pouvait toutefois douter de la capacité du Premier ministre Ehud Olmert à faire un pas en direction de la paix. Le lendemain de l’entrée en vigueur de l’armistice au Liban, le 15 août, Assad avait profité de l’occasion pour faire un discours où il affrimait ses principes et définissait plus nettement sa stratégie face à le nouvelle situation : La paix , pour la Syrie , était une « option stratégique » mais pas « la seule option. » Washington ayant déclaré une « guerre sans limites », les faucons sionistes israéliens peuvent être sûrs que les USA les couvriront dans leur politique agressive. La visite de Madame Rice à Tel Aviv visait apparemment au premier chef à en donner confirmation.

Auparavant Benjamin Netanyahou, chef de l’extrême-droite israélienne s’était rendu à Washington le 5 septembre. Après avoir rencontré 15 sénateurs, il avait déclaré à la presse qu’une option militaire contre l’Iran était « était un niveau d’action nécessaire pour compléter les sanctions . »Alors il y aurait «de grandes chances qu’il ne faille pas en arriver là. » Netanyahou s’était tout particulièrement entretenu avec Dick Cheney, le vice-président des USA et personnage-clé des « néocons ». « Israël se prépare à l’éventualité d’une guerre aussi bien avec l’Iran qu’avec la Syrie », écrivait le London Times du 3 septembre 2006, qui se réclamait de sources politiques et militaires israéliennes. Il ajoutait : «Le défi que constituent la Syrie et l’Iran se place maintenant tout en haut de l’agenda de la défense ( !) israélienne. »

Mais en Israël , si l’on en croit Daniel Lévy, qui a autrefois conduit des négociations de paix secrètes, certains doutent que « l’actuelle politique américaine serve les intérêts nationaux et la sécurité d’Israël. » Durant la guerre au Liban il s’est avéré que les USA « n’étaient pas en ligne directe avec les acteurs-clés » et ne disposaient pas de « possibilités d’intervention. » (Forward du 25.08.06) . Le 25 septembre un groupe de 68 personnes, écrivains de renom, universitaires et généraux en retraite appela Olmert à engager des pourparlers de paix avec le Hamas palestinien , la Syrie et le Liban. Mais il semble que le message de Washington, transmis à Olmert par Condoleezza Rice, ait été le suivant : « Bush est opposé à un retrait du plateau du Golan et à la reprise des négociations avec la Syrie. » C’est en tout cas ce que prétend un article, cité par IsraelNN le 5 octobre, du quotidien le plus lu en Israël, Yediot Aheronot, qui rapporte que Bush aurait déclaré au cours de ses entretiens avec les dirigeants de l’UE : « Il n’y a aucune raison de discuter maintenant avec les Syriens. Le président Assad sait parfaitement ce qu’il a à faire s’il veut jouer un rôle positif. »

4 . l’Irak : partition du pays en trois régions

Cinq jours après le départ de Condoleezza Rice, le 11 octobre, le Parlement irakien vota une loi sur le « fédéralisme.» C’était un pas de plus en direction de la partition du pays. Dans l’actuel gouvernement -fantoche- irakien, c’est le parti chiite majoritaire , le « Conseil supérieur de la révolution islamique » (SCIRI) qui pousse à la sécession du Sud irakien. Le SCIRI avait proposé le 7 septembre une loi sur le « fédéralisme. » Il s’en était suivi des scènes tumultueuses au Parlement. Le chef du SCIRI, l’ayatollah Abdel Aziz Hakim avait déclaré que les neuf provinces du Sud, peuplées essentiellement de chiites – et où se trouvent plus de la moitié de la population irakienne ainsi que 60% de l’industrie pétrolière -devaient suivre l’exemple des provinces kurdes au Nord et constituer une région autonome. Le « porte-parole » du Parlement , le Sunnite Mahmoud Al Mashhadani, avait prononcé cette mise en garde : « L’application effective de la loi sur le fédéralisme conduirait à une sécession du Sud (chiite) et à la formation d’un État islamiste extrémiste dans le centre (sunnite) du pays. » Le Parlement devait trouver un accord sur le principe et remettre l’affaire sur le tapis dans quatre ans. Dès le 12 septembre, la loi sur le fédéralisme avait été abandonnée. Mais c’était avant la visite de Rice. Le 5 octobre, encore dans l’avion qui l’emmenait à Bagdad, elle proclamait son intention de bien faire comprendre aux dirigeants politiques irakiens qu’ils n’avaient pas l’éternité devant eux pour régler leurs problèmes. Le 6 octobre elle reprit son voyage, cette fois en direction d’Erbil, où elle se montra très explicite dans une conférence avec Massoud Barzani,le Premier ministre de la région kurde. Celui-ci avait menacé d’une sécession de sa province moins de quinze jours auparavant. Menace appuyée symboliquement par l’interdiction de hisser le drapeau irakien dans la province kurde sous peine de sanctions pénales. Dans une émission de la BBC (du 20 septembre 2006) on avait vu pour la première fois des soldats kurdes entraînés par des Israéliens. Peu auparavant Jalal Talabani, autre leader séparatiste kurde, avait réclamé une présence permanente de bases militaires US en territoire kurde. Talabani avait été reçu par Bush à Washington avec le titre de « président de l’État irakien. » Selon Madame Rice elle-même, s’exprimant sur le site du Département d’État, « le but de sa visite à Barzani était de lever toutes les craintes kurdes liées à la création d’un État fédéral composé de régions essentiellement peuplées d’Arabes au Sud comme au centre. »Le sens de ces paroles énigmatiques se dévoila deux jours après la visite de Rice. Le Sunday Times cita « une source bien informée selon laquelle un panel indépendant constitué par le Congrès avec l’accord de Bush réfléchissait à une option déjà envisagée : diviser l’Irak en trois régions autonomes, la première chiite, la seconde sunnite et la troisième kurde. » (Al Jazeera du 9 octobre 2006). Selon certains organes de presse Barzani a chargé une agence de relations publiques de « vendre » son domaine personnel à l’Occident sous le nom de « l’autre Irak ».

5. L’Irak : Pressions sur un gouvernement fantoche

L’opposition au « fédéralisme » made in USA est assez vive en Irak. On peut raisonnablement espérer que les Irakiens défendront avec succès leur unité nationale. Les partis sunnites font bloc, ou à peu près, contre la fédéralisation.

L’alliance chiite, elle, est divisée. L’ayatollah chiite Moqtada Al Sadr, dont le groupe détient 30 sièges au Parlement et des postes au gouvernement, est résolument opposé aux menées sécessionnistes du SCIRI, que pour sa part la Dawa , le parti du « Premier ministre » Nuri Kamal Al Maliki, ne soutient pas sans réserves. Le parti Fadhila est également opposé à une grande région chiitte au Sud. Ce parti n’est que le quatrième par ordre d’importance chez les chiites. Mais il est prépondérant dans la province pétrolière de Bassorah, où il dispose de milices armées et participe activement à la corruption dans le secteur pétrolier. Les opposants au fédéralisme n’ont pas pris part au vote. Il est douteux que le quorum (138 sur 275) ait été atteint. Le « Parlement a siégé à huis clos ( !).

Avant et après la visite de Rice Washington a donné des signes nets de son mécontentement envers la coalition chiite dirigée par Maliki, au pouvoir depuis le mois de mai. Les projets « fédéralistes » de Washington ne constituent pas le seul point de friction entre la puissance occupante et la coalition de ses affidés chiites. La confrontation entre Téhéran et Washington place elle aussi les valets chiites irakiens des USA dans une situation délicate. Maliki s’efforce d’intensifier les relations entre l’Irak et l’Iran, très précisément dans le domaine de la sécurité et du renseignement. Le 15 octobre son gouvernement annonçait qu’à l’issue d’entretiens menés par leurs conseillers de sécurité respectifs les deux pays avaient constitué un groupe de travail dans cette optique. Et ceci peu après la profession de foi publique de l’ambassadeur US en Irak, Zalmay Khalilzad, conforme à la ligne stratégique générale des USA et d’Israël dans la région : « Deux pays jouent un rôle négatif : les régimes syrien et iranien. »

Les affirmations répétées des USA selon lesquelles les Iraniens auraient partie liée avec la violence en Irak ont été contredites dès juillet dernier par un conseiller en sécurité irakien, Mutwaffaq Al Rubaie, dans une interview sur CNN , où il décrivait ainsi le rôle des Iraniens en Irak : « Ils ont une influence politique. Ils sont présents dans les médias. Parfois même ils prennent part aux activités irakiennes dans les domaines de la sécurité et du renseignement. »

La visite du Premier ministre Maliki à Téhéran renforce à elle seule l’impression que l’Iran prend plus d’intérêt à la stabilité politique et territoriale de son voisin que la puissance occupante usaméricaine. Le Président Ahmadinejad ne se gêna pas pour dire à l’occasion de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies du 20 septembre : « En dépit de la présence en Irak d’un gouvernement et d’un Parlement légalement élus (sic !), certains dans ce pays s’efforcent d’accroître l’insécurité, d’accentuer et d’aiguiser les disparités internes de la population irakienne et d’attiser les tensions. Rien ne montre que les occupants aient la volonté politique nécessaire pour tarir les sources de l’insécurité. Beaucoup de terroristes ont été arrêtés par le gouvernement irakien pour être ensuite relâchés par les occupants sous divers prétextes. Il semble que l’intensification des violences et du terrorisme serve d’alibi au maintien des forces d’occupation étrangères en Irak. » Ahmadinejad fut encore plus clair dans sa conférence de presse devant le Council of Foreign Relations (Conseil des Affaires étrangères) : « Il y a quelques mois le Premier ministre irakien a déclaré que de nombreuses attaques terroristes étaient l’œuvre des forces armées usaméricaines. » Mais d’un autre côté le régime de Téhéran tient à garder ouverte la possibilité d’un arrangement avec les USA, aussi bien dans la question du nucléaire que dans celle de l’Irak. « Nous sommes intéressés » a déclaré Ahmadinejad lors de sa conférence de presse à New-York, « par tout projet permettant de renforcer le gouvernement populaire irakien et de faire progresser la situation dans ce pays . Nous l’avons déjà répété plusieurs fois. »

Une rébellion se fait jour parmi les collabos irakiens de la puissance tutélaire usaméricaine. C’est ainsi que le Premier ministre Maliki a déclaré dans une interview accordée à US Today du 19 octobre : « Même si le fédéralisme est acquis sur le plan légal, je pense qu’il sera moins nécessaire si nous réussissons à rétablir la sécurité ainsi que le pouvoir politique et économique du gouvernement national. Et si fédéralisme il faut, ce devrait être un fédéralisme politique et non de nature ethnico-religieuse ou sectaire. » Et plus loin : « Nous émettons des réserves sur une unité fédérale de base englobant respectivement tout le centre et tout le Sud du pays. Cela pourrait provoquer de nouvelles scissions et engendrer de nouveaux problèmes. Nous pensons qu’il vaudrait mieux plusieurs unités de base au centre et au Sud si l’on veut éviter un éclatement du pays. On pourrait envisager si les conditions étaient réunies de créer au centre et au Sud plusieurs unités fédérales. »

6. Irak : écrasement de l’armée du Mahdi et escalade dans la confrontation avec l’Iran

La classe supérieure chiite collaborationniste , représentée par Maliki, s’est enrichie sous l’occupation. Une partie d’entre elle rêve de transformer le Sud de l’Irak en un État pétrolier appliquant la charia. Les masses chiites appauvries de Bagdad et du Sud, elles, ont tendance à résister à l’armée US. L’alliance chiite est en voie de désagrégation. Il y a déjà eu des combats sanglants entre les Brigades de Badr, appartenant au SCIRI, et des unités du de l’Armée du Mahdi. L’ayatollah Al Sadr est l’idole des pauvres. Il a ravi la faveur des masses chiites à l’ayatollah Ali Sistani, suprême chef religieux chiite en Irak . Si Sadr collabore avec le régime chiite fantoche, diverses unités de l’armée chiite du Mahdi agissent en son nom, même s’il ne les contrôle pas directement, et se montrent ouvertement hostiles à l’occupant.

Pour les USA l’écrasement du potentiel de résistance nationaliste chez les chiites est une condition décisive pour faire éclater l’État unitaire irakien.

Paradoxalement le sort de la puissance occupante en Irak est maintenant suspendu de façon décisive au soutien que l’Iran choisira ou non d’apporter à la résistance irakienne avec autant de pugnacité que Washington le lui reproche. Mais maintenant l’exemple du Hezbollah libanais donne des ailes aux Irakiens aussi. Le 4 août 100 000 Irakiens manifestaient dans les rues de Bagdad et d’autres villes du pays leur soutien à l’État-frère du Liban et à leurs coreligionnaires chiites.

C’est pourquoi la question la plus brûlante posée à Maliki était : pourquoi ne s’affrontait-il pas maintenant à l’armée du Mahdi ? Les troupes d’occupation ont lancé le 7 août l’opération « Forward Together ». Les divers quartiers de Bagdad sont passés l’un après l’autre au peigne fin par le biais de razzias brutales, voire sanglantes. L’armée et la police irakiennes y prennent également part. Elles sont plus ou moins en cheville avec les milices des partis chiites, en particulier les brigades Badr, d’obédience SCIRI. En outre des unités spéciales irakiennes opèrent sous le commandement direct des USA. Au total ce sont près de 30 services de sécurité différents qui opèrent dans le pays. C’est pourquoi, dans les quartiers à majorité sunnite, les razzias se déroulèrent « au début de façon relativement simple », selon « Today in the Military » du 6 octobre. Mais, écrit la revue militaire US, les difficultés s’accrurent lorsque les opérations se rapprochèrent du bastion de l’armée du Mahdi à Sadr-Ville. Nous livrons « une bataille pour la capitale qui s’est d’ores et déjà avérée beaucoup plus meurtrière [que prévu] pour l’armée usaméricaine et qui pèsera très lourd sur l’avenir du pays. » Maliki avait critiqué publiquement une offensive précédente des troupes d’occupation contre l’armée du Mahdi. Cette fois sa réaction fut à nouveau évasive : » le commandement militaire a décidé d’accepter la confrontation avec ceux qui ont pris les armes illégalement. » Il cita comme exemples l’armée du Mahdi, celle d’Omar et l’Armée Islamique d’Irak. Ainsi il sera clair, ajouta-t-il pour se justifier, « qu’après avoir combattu l’armée du Mahdi à Diwanyah, Kerbala, Bassorah et Nasiryah, nous ne pourrons plus être taxés par personne de favoritisme (pro-chiite). »

Tout ceci indique qu’après les élections US de mi-mandat Washington exigera de la part de ses « collabos » chiites plus de vigueur et de brutalité envers la résistance patriotique des leurs coreligionnaires hostiles à l’occupation et qu’il fait pression sur eux en les menaçant d’installer à leur place de nouveaux fantoches, sunnites cette fois. La confrontation avec l’Iran au sujet du nucléaire, jointe à un déploiement militaire maritime dans le Golfe et en Méditerranée orientale vise également à dissuader Téhéran d’apporter un soutien massif aux forces de la résistance irakienne, en particulier aux chiites.

« La guerre du Liban a effectivement fait éclore un nouveau Moyen-Orient » avait dit le président syrien Bachir Al Assad dans sa déclaration de principe du 15 août, déjà citée. « Mais », avait-il poursuivi, « ce n’est pas vraiment celui pour lequel Israël et les USA ont si longtemps combattu.Les Arabes parlent sans ambages – et c’est la première fois au cours de leur histoire récente – d’une réelle victoire militaire. Bien sûr ni Israël ni les USA ne sont prêts à accepter cet événement. Sans aucun doute c’est une bataille décisive pour un Nouveau Moyen-Orient qui se livre au Liban. La question c’est : qui le définira et à quel prix ? » Dans ce Nouveau Moyen-Orient de résistance et d’affirmation des identités nationales le parti baasiste, laïc et mi-socialiste acquiert une position-clé.

Berliner Umschau
Photo de l’auteur www.arbeiterfotografie.com

Klaus von Raussendorff est un journaliste au passé tumulteux qui anime la publication Anti-Imperialistische Korrespondenz.  Devenu communiste pendant ses années d’études à l’Université libre de Berlin-ouest, il est recruté en 1957 par les services de renseignement de la République démocratique allemande, dirigés par le célèbre Marcus Wolff, pour le compte desquels il entre au ministère fédéral des Affaires étrangères. Sa carrière de diplomate ouest-allemand et de lieutenant-colonel du ministère de la Sécurité d’État est-allemand prend fin en 1990 lorsque son officier traitant le dénonce. Condamné à 6 ans de prison en 1991, il est libéré en 1994 et intègre l’Université de Trêves. Il prend sa retraite en 1999, une retraite fort active qui l’a vu s’engager dans de nombreuses causes, notamment la défense de Slobodan Milosevic. Il collabore à la presse communiste allemande, notamment au quotidien Berliner Umschau.

Traduit de l’allemand pour Tlaxcala par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour al diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial elle est libre de reproduction à condtion d’en rspecter l »’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

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