Guerre au terrorisme : La fusillade d’Ottawa et les mensonges du gouvernement Harper

Le gouvernement conservateur du Canada a proclamé que le Canada et la démocratie canadienne sont la cible d’attaques terroristes.

Ce n’est pas simplement une exagération ou du sensationnalisme: c’est un mensonge. Le gouvernement, aidé par les médias, déforme les faits pour justifier un tournant drastique à droite de la politique extérieure et intérieure du Canada.

Le gouvernement a deux objectifs immédiats: délégitimer et étouffer l’opposition à la nouvelle guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient pour que le Canada puisse s’y impliquer davantage; et légiférer rapidement afin de donner de nouveaux pouvoirs à l’appareil de sécurité nationale.

Les évènements de mercredi à Ottawa – le meurtre d’un soldat qui montait la garde au Monument commémoratif de guerre du Canada, suivi d’une fusillade dans le bâtiment principal du Parlement canadien – ont été commis par un individu désorienté, agissant seul. C’est le même type d’individu, un récent converti à l’islam radical, qui était impliqué dans le meurtre, deux jours plus tôt, d’un autre membre des Forces armées canadiennes, qui a été renversé par une voiture alors qu’il marchait dans le stationnement d’un centre d’achats à St-Jean-sur-Richelieu au Québec.

Aucun des agresseurs n’appartenait à «un groupe terroriste du terroir», sans parler d’Al-Qaïda, de l’État islamique (EI) ou d’une quelconque organisation terroriste basée à l’étranger. La police a conclu que les agresseurs ne se connaissaient pas et que les deux meurtres constituaient des évènements complètement séparés, même si ce n’est pas inconcevable que le meurtre de St-Jean-sur-Richelieu ait pu encourager le tireur d’Ottawa.

Malgré l’absence d’un complot terroriste, le premier ministre Stephen Harper et son gouvernement sont déterminés à présenter le Canada comme étant assiégé.

Suite au délit de fuite de lundi dernier à St-Jean-sur-Richelieu, Harper et le bureau du premier ministre se sont empressés d’occuper le devant de la scène. Rompant avec les normes canadiennes, c’est Harper, et non la police, qui a annoncé publiquement qu’il y avait eu une possible attaque «terroriste». Ce sont ses conseillers qui ont continué d’être la principale source d’information pour l’enquête de la police et des agences de renseignement.

Dans un discours télédiffusé mercredi soir partout au pays – bien après qu’il soit devenu évident que la fusillade du matin à Ottawa avait été commise par un individu agissant seul – Harper a tenté d’adopter un ton churchillien, affirmant que le Canada vaincrait les terroristes qui ont attaqué et menacé ses «valeurs» et la démocratie. Il a fait une référence gratuite à la guerre au Moyen-Orient. Harper a juré que le gouvernement «redoublerait» d’efforts pour mieux collaborer avec les partenaires militaires et stratégiques du Canada et pour priver les terroristes de «refuge» partout dans le monde.

Les tentatives de Harper de se présenter comme un défenseur de la démocratie seraient ridicules si les enjeux n’étaient pas aussi sérieux. Son gouvernement a aboli de facto le droit de grève des employés fédéraux et des travailleurs soumis aux règlements fédéraux et il a directement affirmé le droit de l’État d’espionner à volonté les communications électroniques des Canadiens. En décembre 2008, il a imposé ce qui revient à un coup constitutionnel. Il a eu le dernier mot devant la gouverneure générale, un poste non élu, afin d’utiliser les pouvoirs antidémocratiques de cette instance pour fermer le parlement et empêcher les députés de voter pour renverser ce gouvernement.

Le scénario qui s’est déroulé à Ottawa la semaine dernière est devenu trop familier. Une fois après l’autre depuis le 11 septembre 2001, les gouvernements ont utilisé des actes terroristes et des campagnes de peur pour mettre de l’avant un programme politique réactionnaire et prédéterminé.

Les attaques du 11 septembre sont devenues le prétexte de l’administration de George W. Bush pour lancer une guerre d’agression contre l’Afghanistan et l’Irak et attaquer les droits démocratiques des Américains. Le Canada a rapidement emboîté le pas: il a passé sa propre loi antiterroriste, s’est réarmé et a joué un rôle de premier plan dans l’invasion de l’Afghanistan.

L’offensive pour faire un tournant aussi, sinon plus abrupt, est déjà en cours.

Le gouvernement était censé dévoiler mercredi des amendements controversés à la Loi antiterroriste canadienne de 2001, qui donneraient de nouveaux pouvoirs aux agences de sécurité, y compris une plus grande intégration de leur surveillance des Canadiens avec la National Security Agency (NSA) des États-Unis et d’autres services de renseignement étrangers. Mais, cherchant maintenant à exploiter le climat de peur et de nationalisme qu’il a alimenté grâce aux attaques de cette semaine, le gouvernement a signalé qu’il va remettre à plus tard l’introduction des amendements pour pouvoir les réécrire et donner aux agences de sécurité encore plus de pouvoirs. Les amendements révisés vont apparemment comporter des pouvoirs accrus pour arrêter de présumés terroristes – ce qui veut dire, détenir des gens sans accusation sur l’unique base qu’ils pourraient commettre des gestes illégaux dans le futur.

Même si les conservateurs n’ont pas fait de nouvelles annonces sur le rôle du Canada dans la nouvelle guerre au Moyen-Orient, l’armée canadienne et les médias de la grande entreprise ont encouragé fortement le gouvernement à «parler franchement» aux Canadiens et à leur annoncer que la mission de combat du Canada durera plus longtemps que les six mois prévus. Ils ont aussi appelé le gouvernement à augmenter de façon significative les dépenses militaires, de pair avec son discours belliqueux contre la Russie, l’Iran et d’autres États.

Rejeter l’affirmation fausse et politiquement motivée que le Canada est sous un siège terroriste ne revient pas à dire que le phénomène de terrorisme du «terroir» est complètement fabriqué. Mais, dans la mesure où, pour les Canadiens ou des gens aux États-Unis, en Europe et en Australie, des individus désorientés et influencés par la propagande djihadiste de l’EI, d’Al-Qaïda ou de leurs filiales posent un plus grand danger, la responsabilité repose sur les épaules des classes dirigeantes des puissances impérialistes – y compris le Canada.

Les puissances impérialistes ont amené la destruction et la dévastation sociale partout au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie centrale, des régions à majorité musulmane, avec leurs guerres, leurs frappes par drones, leur appui à des dictatures militaires et à des monarques, et les plans d’ «ajustement structurel» du FMI.

Pour défendre leurs intérêts de prédateurs, elles ont renforcé, utilisé et manipulé pendant des décennies les éléments islamistes. Parfois, comme c’est le cas pour l’Irak et la Syrie aujourd’hui, ces éléments ont servi de prétexte pour lancer de nouvelles guerres dont l’objectif est de défendre les intérêts géostratégiques américains. Plus souvent, ils ont été utilisés comme des agents en sous-main pour le compte de l’impérialisme.

Les Talibans et Al-Qaïda ont émergé suite à l’organisation et à l’armement par Washington des fondamentalistes islamistes pour combattre le gouvernement appuyé par les soviétiques en Afghanistan. L’État islamique (EI) est un produit de l’invasion américano-britannique de 2003 et de l’occupation de l’Irak. Cela a mené à plus d’un million de morts, à l’alimentation par les États-Unis des tensions sectaires en Irak dans le cadre de leur stratégie de diviser pour mieux régner, et à l’utilisation de forces islamistes sectaires comme armées en sous-main dans leurs guerres pour changer les régimes en Libye et en Syrie.

Le vice-président américain, Joe Biden, a récemment laissé échapper que les alliés fidèles de Washington, la Turquie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, ont versé de l’argent et des armes à l’EI dans le cadre du conflit sectaire sunnite avec l’Iran.

Le Canada, aussi bien sous les Libéraux que sous les conservateurs, a été complice de ces crimes. Il a joué un rôle majeur dans les guerres en Afghanistan et en Libye; il a appuyé loyalement Israël, y compris lors de sa récente agression contre les Palestiniens à Gaza; il a défendu la dictature de Moubarak et le retour de l’armée au pouvoir en Égypte en 2013; il a fourni des armes à l’Arabie Saoudite… la liste est sans fin.

Même les médias de la grande entreprise ont dit que les bombes canadiennes pourraient bientôt tomber en Irak sur les mêmes combattants islamistes avec qui les Forces armées canadiennes ont coordonné la campagne de bombardement en Libye en 2011 et qu’Ottawa a présentés comme des «combattants pour la liberté» autant en Libye qu’en Syrie.

La hausse des crimes impérialistes à l’étranger va de pair avec la promotion du militarisme, la destruction des droits démocratiques et l’implantation d’un programme social de droite au pays. Le Canada, comme toutes les puissances impérialistes, a vu une croissance massive des inégalités sociales et de l’insécurité économique dans le dernier quart de siècle. Depuis 2008, l’assaut sur les services publics, les retraites, les prestations de chômage et d’autres droits sociaux s’est intensifié.

Dans un tel environnement de réaction, ce n’est pas surprenant que des idéologies politiques perverses puissent trouver un écho, particulièrement chez les marginalisés et les désorientés.

Le tireur d’Ottawa, Michael Zehaf-Bibeau, avait lutté contre la dépendance à la drogue pendant des années et avait eu, à cause de cette dépendance, plusieurs accrochages avec la loi. Il vivait dans un refuge pour sans-abris dans les derniers jours de sa vie. Son père, un entrepreneur libyen-canadien, a apparemment été actif dans une milice djihadiste qui a participé en 2011 à une insurrection contre le régime de Kadhafi.

Parce que leur programme de guerre et d’austérité va à l’encontre des intérêts de la vaste majorité de la population, les dirigeants au Canada, comme leurs homologues de classe aux États-Unis et dans les autres pays impérialistes, ramènent au pays les méthodes violentes et autoritaires qu’ils ont toujours employées en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

Keith Jones



Articles Par : Keith Jones

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