Guerre en Amérique Latine (II) – Recette pour embraser un continent

Guerre en Amérique Latine (1ère partie) – La nouvelle carte du Pentagone se profile ?

Un plan explicite et documenté vise à déclencher une conflagration en Amérique Latine autour du Venezuela et du bassin des Caraïbes. Maintenant, s’ajoute la décomposition de la Bolivie et sa transformation en un nouvel État assassin qui collabore avec la génération de la guerre. À l’horizon, un chaos durable et la subdivision politique du continent en unités plus petites.

« Les États-Unis, en vue de leur repli mondial, veulent réorganiser leur espace géopolitique (…) et plonger Notre Amérique dans un chaos sans fin de haines idéologiques implantées de l’extérieur« . Miguel Angel Barrios

« L’Amérique Latine est à nouveau le territoire de la dialectique géopolitique de la colonisation/décolonisation. Partout – en Bolivie, au Chili, en Argentine, au Brésil, au Venezuela, en Uruguay et ainsi de suite selon le même schéma : les libéraux pro-américains (+ les libéraux d’extrême droite) contre les forces de décolonisation majoritairement de gauche« . Alexander Dugin

Les pièces s’assemblent. Avec le démantèlement de l’UNASUR et des institutions multilatérales qui étaient à la base des projets de paix et d’intégration entre les nations sud-américaines, toutes les composantes vont dans le sens d’une guerre induite en Amérique Latine.

Au cours des dernières semaines, toutes les variables se sont accélérées.

Les principales hypothèses de conflit sont basées sur l’encerclement multidimensionnel qui entoure le Venezuela. Maintenant, les dangers d’une rwandisation de la Bolivie s’ajoutent, et sa transformation en un nouvel État assassin qui collabore à la préparation de la guerre, avec la Colombie, le Pérou, l’Équateur, le Brésil et la Guyane.

Les nations d’Amérique Latine n’ont pas de véritable raison historique d’entrer en guerre. Une guerre potentielle ne peut être générée artificiellement qu’à partir de faux positifs, d’attaques sous faux drapeaux ou de décisions gouvernementales qui immolent le continent sur l’autel d’une entéléchie d’origine étrangère, comme la « défense de la démocratie » au Venezuela ou la « lutte contre le terrorisme » menée actuellement par le régime usurpateur de La Paz.

Un plan détaillé visant à impliquer un groupe de nations latino-américaines dans un conflit de ce type a été mis au jour l’année dernière, et les premières étapes sont en vue.

Un manifestant tient un drapeau vénézuélien devant des policiers anti-émeutes lors d’une manifestation de l’opposition contre le gouvernement du président vénézuélien Nicolas Maduro, à Caracas, le 12 février 2014. Des agresseurs non identifiés à moto ont tiré sur une foule de manifestants antigouvernementaux, blessant au moins deux personnes. AFP PHOTO / JUAN BARRETO

L’agenda profond du « Coup de Maître »

Au début de 2018, un article de la journaliste argentine Stella Calloni a publié un document de 11 pages signé par l’amiral Kurt Walter Tidd, alors commandant en chef du Commandement Sud des États-Unis (SouthCom) : « Plan pour renverser la Dictature Vénézuélienne – Coup de Maître« . Il expose l’agenda profond de la guerre contre le Venezuela, qui, à son stade le plus avancé, prévoit une opération multinationale.

Le document demande que des mesures pratiques soient prises pour déstabiliser le gouvernement Maduro et forcer sa chute :

  • Sur le plan économique, accroître l’instabilité interne, en intensifiant la décapitalisation du pays, la fuite des capitaux étrangers et la détérioration de la monnaie nationale, par l’application de mesures inflationnistes qui accentuent cette détérioration. Obstruer toutes les importations et décourager les investisseurs étrangers. Saboter l’industrie pétrolière. Généraliser le manque de nourriture, de médicaments et de biens de première nécessité. Contribuer à rendre la situation de la population plus critique et à favoriser le mécontentement. Toutes les calamités vécues par la population seront exploitées pour « blâmer le gouvernement ».
  • Sur le plan social, faire appel aux alliés internes et aux agents extérieurs établis dans le pays, pour provoquer des protestations et des actes de violence, générer l’insécurité et le pillage. Promouvoir le vol de bateaux pour quitter le pays. Structurer un plan pour réaliser la désertion des professionnels les plus qualifiés du pays. Favoriser la lassitude des membres du parti au pouvoir et de ses partisans.
  • Dans les médias, ridiculiser la figure de Maduro, le faire tomber dans l’incontinence verbale et les erreurs pour provoquer la méfiance envers sa figure. Le harceler, le ridiculiser et le présenter comme un exemple de maladresse et d’incompétence. Minimiser son importance internationale. Exposez-le comme une marionnette de Cuba. Exacerber les différences entre les membres du groupe au pouvoir.
  • Sur le plan militaire, déclencher un coup d’État, poursuivre les tirs incessants à la frontière avec la Colombie, multiplier les trafics de carburant et autres marchandises, les mouvements des paramilitaires, les incursions armées et le trafic de drogue. Provoquer des incidents armés avec les forces de sécurité des frontières. Recruter également des paramilitaires, principalement dans les camps de réfugiés de Cúcuta, Guajira et Norte de Santander.

Au premier niveau de lecture, le plan est une déclaration explicite de guerre et d’ingérence débridée, ce qui explique en grande partie la souffrance du Venezuela aujourd’hui.

Au deuxième niveau de lecture, le document peut être interprété comme un manuel de harcèlement et de contrôle de la population des colonies. Cet ensemble de stratégies est appliqué dans d’autres scénarios, contre d’autres peuples.

Sur un troisième niveau, il s’agit d’une instruction idéologique pour les centres de production de nouvelles. Les stéréotypes et les constructions de discours que le document propose pour discréditer le « leader ennemi » imprègnent transversalement la couverture médiatique du Venezuela actuel.

Préparation d’une coalition internationale

Outre le fait qu’il favorise l’instabilité interne, le plan est élaboré pour obtenir la coopération des autorités alliées des « pays amis » : Brésil, Argentine, Colombie, Panama et Guyana.

  • Le ravitaillement des troupes et le soutien logistique et médical seront assurés à partir du Panama. Les installations de surveillance électronique et de signaux intelligents, les hôpitaux et les équipements déployés à Darien (jungle panaméenne), les équipements de drones du Plan Colombie, ainsi que les terrains des anciennes bases militaires de Howard et Albroock (Panama) et ceux appartenant à Rio Hato seront utilisés.
  • En outre, le Centre humanitaire régional des Nations Unies, conçu pour les catastrophes humanitaires et les situations d’urgence, sera utilisé. Il dispose d’un terrain d’atterrissage aérien et de ses propres entrepôts.
  • L’opération militaire sera menée sous drapeau international, parrainée par la Conférence des Armées Latino-américaines, sous la protection de l’OEA et la supervision, « dans le contexte juridique et médiatique, du Secrétaire Général de l’OEA, Luis Almagro » (SIC).
  • Une opération multilatérale est prévue avec des contributions d’États, d’organismes non étatiques et d’organismes internationaux, sécurisant notamment les points les plus précieux à Aruba, Puerto Carreño, Inirida, Maicao, Barranquilla et Sincelejo en Colombie, et Roraima, Manaos et Boavista au Brésil.
  • Se joindront le Brésil, l’Argentine, la Colombie et Panama pour fournir plus de troupes, avec la présence d’unités de combat des États-Unis et de ces pays, sous le commandement général de l’état-major interarmées dirigé par les États-Unis.
Le siège du Venezuela : les principaux points militaires prévus. Infographie : Edilberto Carmona / Cubadebate

Ce plan, dit Stella Calloni, rend compréhensibles les récentes manœuvres militaires des États-Unis dans cette région à la frontière entre le Brésil et le Venezuela (Brésil, Pérou, Colombie), dans l’Atlantique Sud (États-Unis, Chili, Grande-Bretagne, Argentine), dans le cas de l’Argentine, sans l’autorisation du Congrès national.

Le « Coup de Maître » visait à accélérer les événements avant les élections de mai 2018. Il n’a pas atteint ses objectifs dans les délais annoncés. L’amiral Kidd a été démis de ses fonctions quelques mois après les révélations médiatiques.

Mais le plan continue d’aller de l’avant.

Derniers développements sur le front vénézuélien

Sur le plan interne, le Venezuela vit tous les ingrédients du plan envisagé dans le Coup de Maître : au boycott de l’économie s’ajoute une série d’actions déstabilisatrices. En 2019, cinq conspirations violentes de l’aile droite vénézuélienne ont réussi à être désamorcées. Le dernier incident s’est produit le 23 décembre, lorsqu’un groupe armé a attaqué le bataillon 513 dans l’État frontalier de Bolivar, au sud du pays, où un membre des Forces Armées Bolivariennes a été tué. Le gouvernement vénézuélien a signalé le vol d’armes de guerre, prétendument dans le but de mener une action sous faux drapeau visant à favoriser une intervention militaire US contre le Venezuela.

Les gouvernements de la région, loin d’entraver la propagation de la violence, montrent une convergence avec les lignes d’action prévues dans le plan du Commandement Sud. Le Ministre de l’Information du Venezuela, Jorge Rodríguez, a déclaré que la Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Brésil ont facilité les mouvements du groupe armé responsable de l’attaque du bataillon 513.

Le Président Maduro a exigé que le Brésil capture les militaires responsables, qui ont néanmoins été reçus sur le territoire brésilien dans le cadre de « l’Opération Welcome ». Le Ministère brésilien des Affaires Étrangères a annoncé que les transfuges avaient demandé l’asile, et que celui-ci leur avait été accordé.

Cela signifie que d’une part, il y a un encouragement à l’émigration, un accueil « amical », même s’il s’agit d’éléments violents. Et que d’autre part, l’exode des Vénézuéliens est utilisé comme motif « d’alarme internationale ». Le 11 septembre 2019, 11 pays des Amériques (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, République Dominicaine, El Salvador, Guatemala, Haïti, Honduras, Paraguay, États-Unis) ont décidé de convoquer une réunion du TIAR (Traité Interaméricain d’Assistance Réciproque), en faisant valoir que la situation actuelle au Venezuela a un « impact déstabilisateur » et constitue une « menace pour la paix et la sécurité dans l’Hémisphère« .

Cette réunion peut être le prélude à une opération militaire conjointe.

Le navire-hôpital de la Marine US le USNS Comfort doit être déployé dans les Caraïbes, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud sous le prétexte de « mener des missions d’assistance médicale humanitaire en réponse aux répercussions régionales des crises politiques et économiques au Venezuela ».

Les veines ouvertes de l’Amérique Latine

La guerre a commencé il y a de nombreuses années, avec la Colombie comme épicentre. La patrie de Gabriel García Márquez saigne depuis plus d’un demi-siècle, l’État étant absent dans de nombreuses zones rurales, désormais aux mains des trafiquants de drogue et des paramilitaires. Au cours des dernières décennies, la Colombie a enregistré au moins 260 000 morts, 60 000 personnes disparues et plus de 7 millions de personnes déplacées. Depuis la signature des accords de paix en 2016, 620 leaders sociaux ont été assassinés.

Dans ce climat, il est à craindre que le Président Ivan Duque s’aventure dans une guerre contre son voisin, le Venezuela. Duque a rejoint la campagne contre la patrie bolivarienne au début de l’année avec l’opération « aide humanitaire » à Cúcuta, et en septembre avec un spectacle pitoyable à l’ONU où il a dénoncé le Venezuela pour avoir protégé les guérillas de l’Armée de Libération Nationale (ELN). Mais Duque a présenté de fausses photos comme « preuves » et a été ridiculisé lorsque l’Agence France-Presse l’a exposé.

La frontière entre la Colombie et le Venezuela est une zone de friction permanente. Depuis le mois de juin, à Cúcuta et Maicao, villes situées à la frontière avec le Venezuela, il y a un contingent de « Casques Blancs » du Ministère argentin des Affaires Étrangères. En Syrie et dans d’autres scénarios, les Casques Blancs ont été responsables d’opérations sous faux drapeau et de diffusion de fausses nouvelles. La mission, plus qu’une action d’assistance sanitaire, s’inscrit dans le cadre de la pression contre le Venezuela et peut provoquer des épisodes qui servent de prétexte au démarrage des opérations.

Un classique de la fausse nouvelle : un journaliste syrien a prouvé que les images d’une jeune Syrienne que les Casques blancs prétendaient avoir sauvée étaient fausses.

L’Amérique Centrale est une autre zone de tension. Cuba et le Nicaragua ont été avertis une fois de plus qu’ils sont une cible militaire du Pentagone. La force militaire de l’île ne semble pas avoir diminué, mais le Nicaragua a montré des signes qu’il a été infiltré par la guerre hybride d’avril 2018. Le NED et l’USAID ont apporté un soutien explicite aux étudiants/paramilitaires nicaraguayens qui ont mobilisé l’année dernière de violentes protestations qui ont fait des centaines de morts et de blessés.

La Bolivie est un autre obstacle à la paix régionale. La mauvaise gouvernance de facto de Jeanine Añez commence à jouer le rôle du « chien fou », à la manière d’Israël au Moyen-Orient. Il y a quelques semaines, l’armée bolivienne a fait une incursion illégale en territoire argentin. Maintenant, on annonce l’invasion potentielle de l’ambassade du Mexique à La Paz et l’expulsion de l’ambassadeur du Mexique et des diplomates espagnols. Cet incident suit la matrice de la crise des ambassades vénézuéliennes, et le discrédit créé par la reconnaissance dans certains États des faux représentants diplomatiques de Guaidó.

La politique de la Bolivie aujourd’hui est fonctionnelle à la détérioration de l’institutionnalité de la région, une ligne d’action persistante du pentagone. Il s’agit de bafouer l’ordre juridique des pays de la zone « non intégrée », d’introniser des dirigeants factices, d’ignorer les règles élémentaires de la coexistence entre les nations et de tromper la population avec de faux débats.

Conclusions : les pyromanes qui se jettent dans le feu

Un programme de guerre de longue durée, inventé par le pentagone, a des stratégies bien définies pour déclencher une guerre en Amérique Latine. La nouvelle carte du Pentagone prend forme avec des préparatifs sur le terrain, des conditions sociales largement éprouvées et un récit qui justifie le tout dans les médias. C’est une myriade d’éléments très dynamiques, avec différents acteurs pouvant entrer ou sortir de la scène selon le déroulement des événements.

Le programme de guerre du Pentagone prévoyait, il y a 15 ans, qu’une grande partie de l’Amérique Latine allait agrandir la zone du monde en guerre et dans le chaos.

Cette recette pour embraser le continent ne fera pas de vainqueurs parmi les nations d’Amérique Latine. La conception de la guerre vise la ruine généralisée, l’imposition d’un chaos à long terme, la facilitation de la reconfiguration de la région et la subdivision politique du continent en unités plus petites (la sécession de Santa Cruz, la balkanisation du Venezuela et le démembrement de l’Argentine sont à l’ordre du jour des mondialistes).

C’est ainsi que Stella Calloni le voit : « Les États-Unis mettent en place un scénario de guerre en Amérique Latine, qui menacera ensuite tous les pays de la région, y compris ceux qui se prêtent aujourd’hui aux plans contre le Venezuela« .

Une bataille décisive se livrera à Caracas. Comme l’a dit Atilio Borón, le Venezuela est le nouveau Stalingrad.

Claudio Fabián Guevara

 

 

Article original en espagnol : Guerra en América Latina (II): Receta para incendiar un continente, Diario de Vallarta, le 31 décembre 2019.

Texte traduit par Réseau International



Articles Par : Claudio Fabián Guevara

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]