Guerre en Ukraine : « Frapper le territoire russe », la nouvelle escalade voulue par l’OTAN

Analyses:

Ces derniers jours, une nouvelle litanie est apparue dans le discours politico-médiatique occidental : frapper le territoire russe. Le recul de l’armée atlantico-ukrainienne sur le front ukrainien oblige les Atlantistes à aller toujours de plus en plus loin, d’autant plus qu’ils sont persuadés que la Russie ne répondra pas autrement que par une escalade verbale, comme ce fut le cas jusqu’à présent.

Le Président ukrainien Zelensky en parle depuis longtemps : il faut frapper la Russie. Les Chancelleries occidentales font semblant de l’interdire ou d’affirmer que l’Ukraine choisit ses cibles « pour se défendre ». Que de toute manière, le « territoire russe » n’est pas touché. Belgorod, par exemple, n’est donc pas la Russie et la démultiplication des cibles civiles doit cacher, mais vraiment bien cacher, les cibles militaires …

Le premier problème, qui se pose dans ce conflit, est le flou politique de la frontière. L’Occident ne reconnaît aucun changement de frontière après 1992, mais cela ne compte que pour l’Ukraine … Donc, en tirant sur le Donbass, sur la Crimée, sur les régions de Kherson ou de Zaporojie, ils considèrent hypocritement ne pas tirer sur la Russie. Et comme la Russie ne veut pas – encore – d’une confrontation directe et formelle avec l’OTAN, ce qui devrait logiquement suivre la reconnaissance des frappes systématiques par les pays de l’OTAN du territoire russe, les autorités russes s’accommodent assez bien en réalité de cette hypocrisie.

Les réponses sont finalement principalement médiatiques, mais assez faibles. Certains « tirs de vengeance », comme si sans cela, l’armée russe n’aurait, ni cibles militaires légitimes, ni stratégie … L’on organise des exercices, pour faire une démonstration blanche de force, jouant selon les règles de la comm occidentale. Quant à la comm directe, elle ne peut toucher que l’espace maîtrisé, ce qui exclut en grande partie la zone occidentale et l’opinion publique de ces pays. Quant à l’opinion publique russe, elle attend autre chose que des paroles.

Lors de sa visite en Ukraine il y a une semaine, Blinken a déjà ouvert la voie à l’escalade :

« Nous n’avons pas encouragé ni permis des frappes en dehors de l’Ukraine, mais en fin de compte, l’Ukraine doit prendre elle-même les décisions sur la manière dont elle va mener cette guerre », a déclaré Blinken, ouvrant la possibilité que du matériel militaire occidental soit utilisé contre des unités russes situées au-delà des frontières territoire ukrainiennes.

Puis, il y a trois jours, les médias anglo-saxons lancent l’offensive – en faveur de frappes en profondeur sur le territoire russe. Stoltenberg, le Secrétaire général de l’OTAN, en fait le plaidoyer dans une interview à The Economist. Je cite :

« Le moment est venu pour les alliés de réfléchir à la question de savoir s’ils doivent lever certaines des restrictions qu’ils ont imposées sur l’utilisation des armes qu’ils ont données à l’Ukraine », a déclaré M. Stoltenberg. « Surtout maintenant, alors que de nombreux combats se déroulent à Kharkov, près de la frontière, le fait de refuser à l’Ukraine la possibilité d’utiliser ces armes contre des cibles militaires légitimes sur le territoire russe rend très difficile pour elle de se défendre. »

Parallèlement, le NYT est largement repris par les médias occidentaux, quand il publie un article insistant sur le changement en cours de la position de l’Administration Biden sur le sujet et une interview de Zelensky appelant les Atlantistes à faire le grand saut. Et l’on voit le très géopolitique 20 minutes, nous gratifier d’une véritable oeuvre de propagande pseudo-analytique, qui fait froid dans le dos.

La position défendue est assez simple : si les pays de l’OTAN ne tirent pas trop fort et pas trop loin en Russie, celle-ci ne bougera pas. Puisqu’elle n’a pas réellement bougé pour Belgorod, pourquoi devrait-elle réagir, surtout si l’on reste près de la frontière (reconnue en Occident) et que l’on vise aussi des cibles militaires ?

Jusqu’ici, « l’utilisation d’armes d’origine occidentale contre des cibles en territoire russe était considérée comme sortant du cadre de la légitime défense de l’Ukraine » mais « rien, en droit international, n’interdit de frapper des cibles militaires sur le territoire de l’envahisseur qui vous place en état de légitime défense », note Cyrille Bret, chercheur à l’Institut Jacques-Delors.

Ces déclarations sont en fait une tentative de légitimer ce qui se passe déjà. Car l’armée atlantico-ukrainienne vise déjà le sol russe. C’est l’avancée de l’armée russe sur l’ensemble du front, et surtout dans la zone de Kharkov, qui inquiète. Il leur est nécessaire de faire quelque chose. Dans l’arsenal des possibilités, avant de s’engager personnellement et physiquement sur le terrain contre la Russie, il y a encore la possibilité d’une frappe, avec leurs armes, du territoire russe non-contesté. En comptant sur le fait, que la Russie continuera à ne pas répondre.

S’il est « difficile de savoir comment la Russie réagira », la réponse de Moscou « dépendra beaucoup des cibles que les Ukrainiens viseront avec ces armes-là. S’ils continuent à frapper les régions frontalières comme Belgorod, ça n’aura peut-être pas de répercussion dramatique », souligne Carole Grimaud.

L’échelle du possible dépend beaucoup de la capacité de l’autre de vous faire croire à une véritable réponse. Ici, la Russie a objectivement échoué. L’Occident est plutôt persuadé d’une absence de réponse réelle, car les autorités russes semblent avoir surestimé le plan de la communication, au détriment du réel. Une réponse purement communicationnelle peut faire peur – une fois. Ensuite, le destinataire comprend, que la réaction s’arrête à cela.

Comme le laisse entendre Carole Grimaud, il y aura certainement une réponse, mais ce ne sera pas la déclaration de guerre contre les pays de l’OTAN. Donc, rien de dramatique. De toute manière ce n’est l’Ukraine qui paie la facture …

Et la machine est en train de s’enclencher. Le Premier ministre suédoisa déjà déclaré son soutien et ce ne sera pas le dernier :

Le ministre suédois de la Défense, Pal Jonson, estime que le droit à l’autodéfense de l’Ukraine implique le droit de frapper le territoire de la Russie.

Si la Russie ne veut pas entrer en confrontation directe avec les pays de l’OTAN, ce qui semble réellement être sa position actuellement (ce qui, par ailleurs ne signifie pas que cette position soit éternelle), elle doit impérativement trouver dans ce cas un moyen de contraindre les Atlantistes à réfléchir, avant qu’ils ne s’engagent plus avant dans le conflit. Et le seul moyen de les faire réfléchir est de les mettre réellement en danger – politiquement, militairement. Qu’ils sentent un danger existentiel, pour leur pouvoir. Quelques publications sur Telegram ne peuvent remplacer une stratégie politique et une véritable réponse étatique.

Karine Bechet-Golovko



Articles Par : Karine Bechet-Golovko

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