Guerre « froide » au pôle Nord

L’été 2007 aura en fait été marqué par un réchauffement politique marqué de l’Arctique.

A la différence de l’Antarctique, vaste continent recouvert de glace, l’Arctique est un océan froid, gelé presque partout et presque tout le temps , entouré de terres. L’océan arctique est une sorte de Méditerranée – mer au milieu des terres – froide qui compte certes beaucoup moins d’habitants sur ses rives inhospitalières et moins de nations riveraines. Mais ces quelques nations pèsent lourd dans la géopolitique mondiale. Qu’on en juge : la Russie a la plus grande longueur de côtes sur cet Océan, le Canada est le second avec une côte très découpée et un myriade d’îles de toutes tailles, les Etats-Unis y sont présents grâce à l’Alaska. Viennent ensuite le Danemark, grâce à la région autonome du Groenland, la Norvège et l’Islande

Du temps de la guerre froide l’espace arctique était une espace stratégique puisque le plus court chemin pour un bombardier un missile ou une fusée balistique entre l’URSS et les Etats-Unis aurait été celui du pôle Nord. Il n’a jamais été emprunté mais cette éventualité a justifié la mise en place d’une sorte de fortification de l’espace aérien arctique avec radars et autres systèmes de surveillance. Pas de surveillance navale la banquise empêchant le déploiement d’une flotte de guerre classique mais les sous-marins nucléaires des deux camps prirent bientôt l’habitude de circuler sous les glaces et chacun dût renforcer ses grandes oreilles sous-marines.

Militairement l’espace était divisé en deux camps : l’URSS d’un côté, l’OTAN (USA – CANADA – DANEMARK – NORVEGE – ISLANDE) de l’autre et il l’est resté. En pratique le Canada et les Etats-Unis avaient unifié leur système de surveillance face à l’Arctique au sein d’un commandement intégré : le NORAD dont le Poste de commandement est aux Etats-Unis.

Ce dispositif n’a pas été modifié après la chute de l’URSS puisque la Russie s’est trouvée seule héritière de l’espace arctique soviétique et qu’il n’y avait là aucune République socialiste à faire basculer dans le camp occidental. La vigilance des protagonistes avait sans doute baissé d’un cran mais il n’était pas question de démanteler un dispositif à fort contenu technique et ne mobilisant pas des centaines de milliers de soldats.

Ce calme apparent, cette détente sur le front arctique n’aura pas duré bien longtemps. Pour au moins deux raisons:

– le réchauffement climatique en cours entraîne une régression de la banquise et petit à petit il devient possible d’envisager une circulation, régulière si ce n’est permanente, de navires civils ou militaires à la périphérie des rives. Le passage le plus intéressant, le passage Nord-Ouest, permet de rallier l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique en suivant les côtés Nord du Canada et en traversant le détroit de Behring. A l’image des vols aériens circumpolaires, ce trajet pourrait permettre par exemple de réduire considérablement la longueur des voyages des navires de commerce allant d’Europe ou de la côte Est des Etats-Unis au Japon.


Le passage du « Nord Ouest » est figuré par la ligne bleue au Nord du canada

– le progrès des techniques d’exploration et d’exploitation des fonds sous-marins rend possible, la mise en valeur des fonds arctiques et ils sont prometteurs en particulier en matière de pétrole et de gaz car les géologues savent que les riches gisements du Nord sibérien comme ceux du nord canadien se prolongent sous l’Océan Arctique.

De telles perspectives excitent les appétits mais s’il est recouvert de glace il s’agit d’un océan et donc d’un espace où les rapports entre nations riveraines est régi par le droit international.

Le texte fondateur du droit international d’usage des mers est la Convention Internationale sur le droit de la mer signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994 après ratification par un nombre suffisant d’Etats.

Cette convention dispose que les Etats riverains sont souverains sur leurs eaux territoriales qui les bordent et qui peuvent s’étendre jusqu’à douze mille marins d’une ligne côtière théorique dite ligne de base. Impossible en effet de suivre les tours et détours du rivage réel avec ses criques, ses baies etc. , les cartographes tirent donc des traits droits entre les principaux caps et tracent une parallèle douze milles plus loin. Des difficultés peuvent surgir entre deux pays voisins quand les deux perpendiculaires à leur côte théorique respective se recoupent. Dans ce cas il faut recourir à un arbitrage international qui propose une solution qui doit être validée par les deux Etats concernés.

Elle crée la catégorie de ZONE ECONOMIQUE EXCLUSIVE (ZEE), zone située au-delà des eaux territoriales et dans la quelle l’Etat riverain a le monopole des activités économiques donc en pratique de la pêche et de l’exploitation des richesses des fonds sous-marins. Cette zone s’étend jusqu’à 200 miles marins de la ligne de base. Au-delà les eaux sont internationales. La délimitation de la ZEE d’un Etat n’est pas automatique, il doit la déclarer et trouver un accord de partage avec les autres Etats dont la ZEE viendrait empiéter sur la sienne.

Ainsi par exemple la ZEE des deux petites îles françaises de Saint Pierre et Miquelon rencontre-t-elle la ZEE du Canada. Un accord est intervenu entre les deux Etats pour fixer une limite reconnue par les deux qui a nécessité un compromis pour fixer les deux ZEE en deçà de la limite des 200 miles.

Les pays riverains de l’océan arctique ne s’étaient guère préoccupés jusqu’à ces dernières années de délimiter leur ZEE respectives. La Russie, signataire de la Convention de 1982 a délimité sa ZEE suivant la ligne rouge figurant sur la partie haute de la carte qui suit ce qui lui donne la liberté d’exploitation d’une importante fraction de l’Océan Arctique sans que ses voisins aient à en redire, les problèmes « frontaliers » ayant été réglé par accord avec la Norvège et du temps de l’URSS avec les Etats-Unis par un accord fixant en 1977 la ligne de séparation dans la zone sensible du détroit de Behring où les deux pays ne sont séparés que par une soixantaine de kilomètres.


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Mais la Convention internationale sur le droit de la mer a également établi qu’un Etat pouvait étendre sa ZEE jusqu’à 350 miles marins à condition que le plateau continental s’étende jusque là ( voir schéma ci-dessous)

La question a été posée officiellement par la Russie en Décembre 2001 devant la commission de délimitation des fonds marins de l’ONU qui instruit ce genre de demandes et propose après examen une recommandation. Or, depuis cette date la question n’a pas été tranchée. L’expertise géologique des fonds de L’Arctique pour délimiter le plateau continental sous la calotte glaciaire n’est pas une mince affaire et n’avait pas donné lieu à de gros travaux. Premier problème. Mais bien avant que les géologues ne se soient exprimés les Etats-Unis l’avaient fait en exprimant une vigoureuse opposition à cette demande sous la forme d’une lettre adressée par leur ambassadeur à l’ONU du moment : JOHN NEGROPONTE aujourd’hui n°2 du département d’Etat. Si le ton de la lettre était catégorique, on sait que les Etats-Unis considèrent que l’ONU n’est respectable que si elle leur obéit, la position juridique des Etats-Unis était faible car ils n’ont pas signé la Convention Internationale sur le droit de la mer et ne peuvent pas jouir de la possibilité d’étendre leur ZEE à 350 miles au départ de l’Alaska ce qui amènerait à une confrontation directe avec la Russie et à une remise en cause de l’accord de 1977.

Ils sont donc aujourd’hui victimes sur ce dossier de leur rejet systématique de toute contrainte juridique internationale. Au point qu’un des membres influents du Sénat sur les questions internationales, le sénateur LUGAR, vient d’appeler le gouvernement US à ratifier sans tarder cette convention. Cette hâte parait d’autant plus justifiée que selon les propres estimations du service géologique national, les fonds arctiques renfermeraient 25 % des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel. On ne peut pas exclure que ce chiffre colossal soit une estimation optimiste destinée à alerter sur le danger d’une domination russe sans partage sur ce trésor mais il indique assez bien que la question des richesses de l’Océan Arctique va prendre une place importante dans les rapports difficiles entre la Russie et les USA.

Ceci explique l’écho qu’a eu l’opération russe du mois de Juillet qui a consisté à amener un brise-glace au dessus du pôle Nord, à faire un trou dans la glace et à y faire plonger deux bathyscaphes qui sont descendus à – 4000 mètres pour ramasser des échantillons de roche destinés, on l’aura compris, à faire la preuve géologique que le plateau continental russe s’étend bien jusqu’à ce point. Pour la beauté du geste et pour mettre un peu plus en transe la « communauté internationale » les deux bathyscaphes ont planté un drapeau russe en titane sur le fond sous-marin.

Les autres riverains sont tout aussi attentifs à cette question, en particulier le Canada. Il dispose lui aussi d’un très long rivage sur l’Océan arctique, exportateur de pétrole et de gaz vers les Etats-Unis il peut comme la Russie s’intéresser à la mise en exploitation de nouveaux gisements lui assurant durablement une position forte sur le marché énergétique régional et il est signataire de la Convention sur le droit de la mer. Il va être intéressant d’observer son positionnement dans le débat qui s’ouvre entre la Russie et les Etats-Unis En effet, autant le gouvernement HARPER s’aligne sur la politique BUSH sur tous les grands dossiers de politique internationale : Afghanistan, Irak autant le Canada est traditionnellement sourcilleux sur le respect par son grand voisin de ses frontières terrestres et maritimes. Les diplomates canadiens se souviennent d’un long conflit ayant opposé les deux pays sur la délimitation de leur frontière maritime sur la façade atlantique (affaire dite du GOLFE DU MAINE) qui ne fut résolu que par un arrêt de la Cour Internationale de Justice de la Haye en 1984. En cette matière les Etats-Unis qui se sont opposés (avec Israël et la Turquie, comme on se retrouve) à la Convention sur le droit de la mer considèrent jusqu’à nouvel ordre que le « droit » applicable est celui énoncé par TRUMAN en 1945 lequel a proclamé la juridiction exclusive sur les pêches et les ressources du plateau continental et que, comme de coutume, le « droit » des Etats-Unis c’est la force.

La question de l’Arctique est donc devenue un nouveau foyer de tension entre la Russie et les Etats-Unis. Si la Russie parvient à prendre le contrôle d’une partie des réserves pétrolières et gazières de l’Arctique elle le fera en application du droit international existant et sans tirer un coup de fusil. Pour l’appropriation des réserves pétrolières de l’Irak par les Etats-Unis, on sait ce qu’il en est et le monde entier sait ce qu’il en est sauf le petit groupe d’hommes qui gouverne à Washington et qui, aveuglé par le spectacle de sa puissance ancienne qu’il a lui-même mise en scène et propagée sur tous les écrans de la planète, est devenu sourd à la rumeur du monde.

Sur le même sujet: L’Arctique, un espace convoité: la militarisation du Nord canadien. 



Articles Par : Comaguer

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