Guerre permanente contre les humains et la planète

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Image : Des Marines étasuniens hissent leur drapeau au sommet du mont Suribachi, Iwo Jima, 23 février 1945 (Source : latinamericanstudies.org)

La guerre est une horreur. La guerre permanente est une horreur permanente. Elle est une horreur pour l’être humain, mais aussi pour les autres espèces et la planète. Les armes utilisées nous détruisent, en plus de contaminer et détruire la nature.

Malgré notre connaissance générale des horreurs de la guerre et notre acceptation de la paix et de l’État de droit, la guerre est devenue une caractéristique permanente – destructrice, cruelle, déshumanisante et vindicative – en ce 21e siècle. Son message est le suivant : ceux qui tuent et détruisent le plus dominent. Dans un discours livré en 1933, le major général Smedley Butler a dit ceci : « La guerre est un racket ». Butler, qui s’était enrôlé dans les Marine Corps en 1898, avait prédit la Deuxième Guerre mondiale et les guerres permanentes qui ont succédé. Il a servi son pays pendant 34 ans, mais comprenait comment les guerres se passaient et quelles étaient nos limites pour y mettre fin (1).

Au cœur de la paranoïa guerrière qui caractérise ce début du 21e siècle, nous retrouvons l’OTAN et les USA. L’histoire des USA est ponctuée de violence, à commencer par sa propre guerre civile, environ un siècle après sa guerre d’indépendance de 1776, qui a tué entre 620 000 et 820 000 soldats.

« Selon le recensement de 1860, 8 % de tous les hommes blancs de 13 à 43 ans sont morts à la guerre, dont 6 % dans le Nord et 18 % dans le Sud (…) la guerre a détruit en bonne partie la richesse qui existait dans le Sud – obligations confédérées confisquées, faillite des banques et des compagnies de chemin de fer, chute des revenus à moins de 40 % de ceux du Nord, une situation qui perdurait encore au tournant du siècle. » (2)

Après l’offensive menée par l’administration de George HW. Bush contre l’invasion du Koweït par l’Irak en 1991, puis d’un certain nombre de frappes par l’administration Clinton (en 1993, 1996 et 1998 – opération Renard du désert), le monde est entré en état de guerre permanente en 2003, quand l’administration de George W. Bush et sa « coalition des pays volontaires » ont envahi l’Irak. C’est qu’il y avait un plan :

« Il (GW Bush) a réitéré sa doctrine de préemption lors de son discours de West Point en juin.

“Si nous attendons que les menaces se matérialisent, nous aurons attendu trop longtemps (…). Nous devons amener la bataille à l’ennemi, déranger ses plans et devancer les pires menaces avant même qu’elles ne soient mises à jour.”

Ce qui a été moins rapporté, c’est que dans ce même discours, Bush a réaffirmé le thème central du plan. Il a déclaré que les États-Unis empêcheraient l’émergence d’une puissance rivale en comptant maintenir “des forces militaires sans rivales.” Le président a ainsi adopté une stratégie que l’administration de son père avait élaborée dix ans plus tôt pour s’assurer que les États-Unis demeurent la puissance proéminente du monde. Pendant que les manchettes titraient « préemption », personne n’a remarqué la stratégie de domination annoncée. »(3)

L’administration Bush a obtenu l’assentiment du Congrès pour son attaque en sachant fort bien que l’ONU n’autoriserait pas de résolution en faveur d’une telle attaque. Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU d’alors, l’a qualifié « d’acte de guerre illégal », mais n’y a pas mis fin. En autorisant l’attaque, le Congrès des USA a établi de facto une guerre permanente, dont les coûts ne sont pas examinés ou sont sous‑estimés. La population n’est pas mise au courant des coûts réels de la guerre, qui comprend non seulement nos morts et nos blessés, mais aussi les morts et les blessés civils chez nos ennemis, la mort d’autres espèces et la destruction économique et environnementale due à la guerre. De plus, le danger constant que la guerre dégénère en conflit mondial est ignoré ou rejeté. En faisant ressortir tout cela, il est à espérer que les gens seront plus sensibles aux risques, pour que des points de vue plus rationnels et moraux prennent le pas et permettent d’éviter un holocauste de toute forme de vie.

La guerre : du racket à la destruction permanente

Smedley Buttler a dit que la guerre est un racket faisant la fortune des uns, tandis que la grande majorité des autres paient de leur vie:

« C’est peut-être la plus ancienne, la plus profitable et certainement, la plus vicieuse forme de racket. Elle est d’envergure internationale. C’est la seule qui compte les profits en dollars et les pertes en vie humaine. Un racket est (…) quelque chose qui n’est pas ce que la majorité des gens pensent. Seul un petit groupe d’initié sait de quoi il retourne. La guerre est menée pour le bénéfice de peu aux dépens d’un grand nombre. En dehors des guerres, peu de gens font de grandes fortunes. De la Première Guerre mondiale seule une poignée de gens a recueilli les profits du conflit. Aux États-Unis, cette guerre a produit au moins 21 000 millionnaires et milliardaires. Combien de ces millionnaires de guerre ont porté une arme? Combien d’entre eux ont creusé une tranchée? Combien d’entre eux ont vécu le fait d’être affamé dans leur tranchée infestée de rats? Combien d’entre eux ont passé sans dormir des nuits effrayantes, recroquevillés sous les éclats d’obus et des balles de mitrailleuses?(…)

Le public endosse la facture. » (1)

En décembre 2015, lors d’un discours livré à la base aérienne de Tampa (Floride), Barack Obama (le président des USA d’alors) a expliqué que la guerre permanente n’avait jamais été autorisée :

« Comme vous le savez trop bien, votre mission – et le cours de l’histoire – a changé après les attentats du 11 septembre. Quand j’ai pris mes fonctions, les USA étaient en guerre depuis sept ans. Pendant les huit années que j’ai été au pouvoir, il n’y a pas eu un seul jour sans qu’une organisation terroriste ou qu’une personne radicalisée ne complotait pour tuer des Étasuniens. Le 20 janvier, je deviendrai le premier président des USA à avoir servi deux mandats complets en temps de guerre. (…) En ce moment même, nous menons une guerre en vertu de pouvoirs conférés par le Congrès il y a 15 ans – 15 ans! Je n’avais pas de cheveux gris il y a 15 ans. Il y a deux ans, j’ai demandé au Congrès, mettons à jour l’autorisation, donnons-nous une nouvelle autorisation pour la guerre livrée à Daech (État islamique en Irak et au Levant), plus conforme à la nature changeante des menaces, en tenant compte des leçons que nous avons tirées pendant la dernière décennie. Mais le Congrès a refusé de voter une résolution en ce sens jusqu’ici. Les démocraties ne devraient pas être en état de guerre autorisée en permanence. Ce n’est pas bon pour nos militaires. Ce n’est pas bon pour notre démocratie. » (4)

L’administration Trump ne semble cependant pas s’en soucier et continue de mener des guerres fondées sur l’autorisation conférée à Bush par le Congrès en 2001. Ashton Carter, le secrétaire à la Défense de Trump, a dit clairement qu’il ne se sent pas concerné, qu’il croit en fait que la coalition doit rester militairement active, même après l’expulsion de Daech de Mossoul et Raqqa. À Washington, les responsables semblent fondamentalement d’accord avec la poursuite de la guerre contre le terrorisme. Edward Hunt s’interroge à propos des promesses répétées de mettre fin à la guerre et en faveur de la paix, pendant que l’état de guerre permanente se poursuit. Pour changer les choses selon Hunt, il faut un engagement politique. Les USA ont profondément changé et revenir à ce qu’il en était auparavant exige des efforts. Le président Trump reste indifférent à l’état de guerre permanente. Trump a augmenté le budget militaire des USA de 5 % pour 2017, en disant à ce moment-là que « combattre, c’est magnifique ». (5)

Militarisme et contamination de l’environnement chez nous et partout ailleurs

Nombreux sont ceux qui feignent d’ignorer comment le militarisme contamine l’environnement, en faisant comme si « l’éléphant blanc » assis dans leur salon n’était pas là. L’empreinte écologique des militaires aux USA est indéniable et immense. Elle constitue un problème même sur les 19 millions d’acres de terrain où se trouvent leurs 4 127 installations militaires. C’est un fait qu’a même reconnu en 2014 Maureen Sullivan, qui dirige le département des programmes écologiques au Pentagone, quand elle a dit qu’elle s’occupait de 39 000 sites contaminés dont le coût estimé s’élève à 27 mille milliards de dollars US. John D. Dingell, un membre du Congrès du Michigan ayant servi pendant la Deuxième Guerre mondiale, a affirmé que pratiquement tous les sites militaires des USA étaient sérieusement contaminés.

Échouage à King Island, Tasmanie, en 2009. Des scientifiques croient qu’il pourrait être lié aux sonars navals utilisés par la marine australienne et étasunienne. (Source : Champions for Cetaceans)

En outre, les militaires étasuniens sont les plus gros consommateurs de pétrole et les troisièmes pollueurs en importance des cours d’eau aux USA. Ils utilisent une énergie nucléaire extrêmement polluante, qui sert à la fabrication de bombes. Le gouvernement des USA a également passé sous silence les accidents nucléaires survenus ces 50 dernières années, en versant une compensation à 33 000 travailleurs de l’industrie de l’armement (aujourd’hui décédés) pour dommages à la santé. Le Pentagone est l’un des principaux émetteurs de gaz à effets de serre du monde et le département de la Défense fait brûler des contaminants dans des fosses à ciel ouvert, polluant ainsi l’atmosphère. Nous savons que les sonars militaires tuent les baleines et les dauphins, que les armes chimiques et l’uranium appauvri qu’utilisent les militaires détruisent la santé humaine et les écosystèmes, et que les bases militaires étasuniennes sont les endroits les plus toxiques des USA, pour ce qui est du perchlorate et du trichloréthylène s’étant infiltré dans les aquifères, le sol et l’eau potable. Les essais nucléaires effectués au sud-est des USA (et sur des îles du Pacifique Sud) ont radiocontaminé des millions d’hectares de terrain et d’eau, l’uranium a pollué des terres dans la réserve des Navajos et « des milliers de barils de produits chimiques et de solvants, auxquels s’ajoutent des millions de munitions, ont été criminellement abandonnés par le Pentagone dans des bases partout dans le monde. » (6)

Au Canada, le Réseau d’alerte avancé (réseau DEW), conçu par des scientifiques du MIT pour détecter les bombardiers soviétiques provenant du pôle Nord, est un exemple probant de contamination militaire. Il a fallu beaucoup de matériaux, d’argent et d’effort pour le mettre en place : 460 000 tonnes de matériaux, 45 000 vols commerciaux effectués pour en assurer le transport, 75 millions de gallons de produits pétroliers consommés, 22 000 tonnes de nourriture dans un million de conteneurs expédiés, et 20 000 personnes embauchées pour mener à bien l’installation du réseau en 1958. Sauf que l’arrivée des missiles balistiques intercontinentaux et d’autres technologies naissantes en 1963 a rendu la moitié du réseau désuet. En 1993, toutes les stations du réseau étaient fermées. Heureusement, en 1996, le ministère de la Défense nationale du Canada a entrepris l’une des plus grandes opérations d’assainissement de l’environnement en Amérique du Nord en nettoyant la zone, dont le coût s’élevait à 575 millions de dollars canadiens (dont 92 millions de dollars provenaient des USA). On a ainsi incinéré environ 40 millions de kilogrammes de sol contaminé par des polychlorobiphényles (PCB) et du plomb, enterré sur place dans de nouveaux lieux d’enfouissement techniques 283 000 mètres cubes de sol moins contaminé, et mis à labourer plus de 200 000 mètres cubes de sol contaminé par du diesel jusqu’à ce que les hydrocarbures s’évaporent à des niveaux acceptables. Il y avait aussi des milliers de mètres cubes de détritus dans 83 décharges de déchets non toxiques recouvertes de gravier. (7)

Barry Sanders, chercheur en chef de l’association Fulbright, sélectionné à deux reprises pour un prix Pulitzer, est d’avis que la guerre contre le terrorisme est en réalité une guerre contre notre planète : « Si (…) les États-Unis ont envahi l’Irak pour assurer l’approvisionnement en pétrole (…) en essayant d’atteindre cet objectif, les États-Unis en ont consommé, détruit et brûlé une quantité phénoménale. »

En fuyant le Koweït, l’armée irakienne a mis le feu à plus de 600 puits de pétrole, réduisant ainsi en fumée l’équivalent de 5 ou 6 millions de barils de pétrole et de 70 à 100 millions de mètres cubes de gaz naturel. Les nuages de fumée étaient immenses, bloquant le soleil sur une superficie de 10 000 milles carrés. L’inhalation de cette fumée âcre a tué environ mille personnes. À cela s’ajoute l’équivalent de 60 millions de barils de pétrole infiltré dans le sol qui a empoisonné environ 40 % de l’eau souterraine, et l’équivalent de six millions de barils de pétrole infiltré dans la mer, qui a formé une immense marée noire recensée qui a tué les poissons, les oiseaux et les mammifères locaux et mis fin à la pêche aux crevettes. M. Sanders estime que les forces armées des USA consomment un million de barils de pétrole par jour (20 millions de gallons). Selon l’Agence pour la protection de l’environnement des USA, chaque gallon d’essence produit 19 livres de CO2. Or, les forces armées émettent 400 millions de livres (200 000 tonnes) de gaz à effet de serre dans l’atmosphère chaque jour. Pour M. Sanders, l’atteinte la plus grave à l’environnement provient des forces armées des USA et elle doit cesser. (8)

Pour sa part, le département de la Défense des USA produit plus de déchet que les cinq plus grandes société chimiques étasuniennes, qui comprend de l’uranium appauvri, du pétrole, des pesticides, des défoliants, du plomb et des radiations engendrés par la fabrication, la mise à l’essai et l’utilisation d’armes. Par exemple, des milliers de kilos de microparticules radioactives hautement toxiques contaminent le Moyen-Orient, l’Asie centrale et les Balkans. Des mines et des bombes à fragmentation sont dispersées sur de vastes territoires, même une fois la guerre terminée. La guerre du Vietnam a pris fin il y a 34 ans, mais la contamination par la dioxine demeure de 300 à 400 fois plus élevée que la normale, ce qui cause des anomalies congénitales graves et des cancers à la troisième génération de personnes affectées. À cause de la guerre, l’Irak est devenu un exportateur d’aliments, le pays important maintenant 80 % de ses produits alimentaires. La guerre et les politiques militaires depuis la guerre entraînent aussi la désertification. (8)

Les dommages à l’environnement peuvent être temporaires, mais la plupart ne le sont pas. D’après le World Watch Institute, 35 % du bois franc des forêts du Vietnam du Sud a été aspergé d’agent orange au moins une fois. Des endroits près des rivières et des chemins, comme la piste Hô Chi Minh, ont été aspergés jusqu’à six fois. Les zones aspergées ont perdu de 10 à 80 % de leurs arbres, tout dépendant du nombre de fois qu’elles ont été aspergées. En tout, 14 % des forêts du Vietnam ont été détruites. Les arbres ne réagissent pourtant pas tous de la même façon. Certaines espèces comme les mangroves, dont les racines aquatiques filtrent le sel de l’eau, sont plus sensibles à l’agent orange qui nuit à leur mécanisme de filtration et les tue toutes. Elles ne sont pas réapparues des années après avoir été aspergées. Dans les années 1980, une étude menée dans les forêts du Vietnam a dénombré 24 espèces d’oiseaux et 5 de mammifères dans les forêts ayant été aspergées, comparativement à entre 140 et 170 espèces d’oiseaux, et entre 30 et 55 espèces de mammifères dans celles étant demeurées intactes, démontrant ainsi les effets de l’agent orange sur la faune. (6)

Les nombreux coûts de la guerre

La guerre est qualifiée de « mal nécessaire ». C’est un mal certes, mais pas nécessaire. Le Watson Institute for International and Public Affairs (Brown University) aux USA procède à des estimations détaillées des coûts humains de la guerre contre le terrorisme, qui illustrent l’ampleur du crime qui est commis. Ces estimations englobent les soldats étasuniens qui ont perdu la vie sous le feu ennemi, les sous-traitants et les alliés, leurs opposants et les civils qui sont tués directement ou indirectement. Dans le cas de la « guerre contre le terrorisme », des études englobant l’Afghanistan, l’Irak et le Pakistan estiment que 6 900 soldats étasuniens ont été tués pendant les hostilités (la moitié sous le feu ennemi et les autres par électrocution, par un engin explosif ou à la suite d’une insolation). Parmi les sous‑traitants, on compte environ 7 000 morts, un chiffre probablement en deçà de la réalité, car les sous‑traitants ont tendance à sous-estimer le nombre de décès dans leurs rangs. Parmi les alliés (personnel pakistanais, afghan et irakien), qui comprennent les policiers, on dénombre environ six morts par soldat étasunien tué, pour une estimation se chiffrant à 50 000 morts. Il y a aussi les morts parmi les opposants (qui sont les militants ennemis), estimés à 110 000. Enfin, une multitude de civils habitant dans les zones de guerre perdent la vie dans les marchés, chez eux ou dans la rue, le nombre de morts directes dans la population civile étant estimé à 217 000. À cela, s’ajoutent les morts indirectes dans la population civile causées par la faim, la maladie ou les blessures dues à la destruction de l’infrastructure (manque de nourriture, d’eau, d’hôpitaux). On estime qu’il y a quatre morts indirectes pour chaque mort directe, ce qui fait un total de 870 000 morts. En calculant le nombre de victimes de la guerre pour 2016, on arrive à un total de 1 261 000 personnes, dont la grande majorité sont des civils, par opposition à 14 000 soldats et sous-traitants. (9)

Les coûts financiers de la guerre vont au delà coûts humains. Ils comprennent les traitements médicaux des soldats de retour aux USA après avoir quitté le front avec des blessures physiques, émotionnelles et psychologiques nécessitant une aide ponctuelle ou prolongée. Ces coûts de la guerre sont moins faciles à calculer. Nous savons combien de soldats nous avons perdus, sans toutefois connaître l’ampleur des maladies, des traumatismes et des pertes de capacités tant que les soldats de retour au pays n’ont pas rempli de demandes s’y rapportant. Par exemple, au 31 mars 2014, 970 000 demandes relatives à des pertes de capacités avaient été enregistrées. (9)

Des millions de personnes ont été déplacées indéfiniment et vivent dans des conditions très précaires. Le nombre de réfugiés afghans, irakiens et pakistanais se chiffre à plus de 7,6 millions. Les libertés et les droits civils ont été gravement affectés par la guerre. L’argent destiné à la reconstruction a été détourné pour armer les militaires et la police des pays touchés par la guerre, notamment en Irak et en Afghanistan. Une grande partie de l’argent destiné à l’aide humanitaire et à la reconstruction de la société civile a été perdu, volé, détourné ou utilisé frauduleusement pour des projets inatteignables. (9)

L’Irak avant et après « la démocratie » dix ans après l’invasion étasunienne du pays. (Source : Another Me / Pinterest)

En Afghanistan, la faune et les écosystèmes ont disparu aussi. Au cours des 30 dernières années, le pays s’est retrouvé sans arbres, plus du tiers des forêts ayant disparu entre 1990 et 2007. Le sol souffre de la désertification, des espèces n’existent plus et 85 % des oiseaux migrateurs ne reviennent plus. En Irak, l’infrastructure du pays a été dévastée, y compris les systèmes de santé et d’éducation. En Afghanistan, les politiciens étasuniens ont promis que leur invasion apporterait la démocratie dans la région, mais aujourd’hui, le pouvoir appartient aux seigneurs de la guerre. La société continue de subir une ségrégation fondée sur le sexe et l’ethnicité, tandis que Daech est libre de prendre des territoires et des vies. (9)

Destruction économique

Le mythe voulant que la guerre soit bonne pour l’économie est faux. Paul Krugman (prix Nobel de l’économie) soutient que la guerre ne paie jamais : « Pour un pays moderne et riche (…) la guerre ne paie pas, même en cas de victoire facile. C’est un fait depuis très longtemps. »

D’après le journaliste britannique Norman Angell,

« Dans un monde interdépendant (comme le nôtre), la guerre aurait invariablement des conséquences graves sur le plan économique, même pour le vainqueur. De plus, il est très difficile de faire de l’argent sur le dos des économies avancées sans tuer la poule aux œufs d’or. »

La guerre moderne, ajoute Krugman, est également très coûteuse. Par exemple, la guerre en Irak pourrait coûter plus de mille milliards de dollars (plus de détails ci-dessous). (10)

L’économiste récipiendaire d’un prix Nobel Joseph Stiglitz convient aussi que la guerre est mauvaise pour l’économie. Il souligne que même si la Deuxième Guerre mondiale a été souvent perçue comme ayant sorti le monde de la crise économique, nous savons maintenant que ce n’est pas le cas. Le boom des années 1990, explique-t-il, a démontré que la paix est économiquement bien meilleure que la guerre. L’économiste Dean Baker signale que la plupart des modèles économiques montrent que les dépenses militaires détournent les ressources utilisées à des fins plus productives (comme la consommation et l’investissement), et finissent par ralentir la croissance économique et par réduire le nombre d’emplois. Joshua Goldstein montre que la guerre récurrente draine la richesse, perturbe les marchés et nuit à la croissance économique. La guerre empêche le développement économique et mine la prospérité. (10)

Mike Lofgren soutient que même si par le passé les dépenses militaires créaient des emplois (lorsque les armes étaient compatibles avec les chaînes de production civiles converties), cette époque est révolue. Aujourd’hui, chaque dollar consacré à la construction de routes, aux soins de santé ou à l’éducation va créer plus d’emplois qu’un dollar fourni au Pentagone pour acheter des armes. La guerre entraîne l’austérité, limite les investissements et les dépenses destinés à la population et à ses besoins et engendre de l’inflation (la guerre se finance elle-même par l’inflation en la créant, puis en l’augmentant). La guerre entraîne des inégalités, affaiblit l’économie et crée des niveaux d’endettement énormes. James Galbraith a écrit en 2004 qu’en temps de guerre, les prix et les profits augmentent, tandis que les salaires et le pouvoir d’achat baissent :

« Les bandits, les profiteurs et ceux qui sont bien pistonnés s’enrichissent. Les travailleurs et les pauvres essaient de s’en sortir tant bien que mal. L’épargne s’effrite en raison de la ponction invisible exercée par l’inflation sur les encaisses : le gouvernement accuse un lourd déficit en valeur nominale, qui diminue lorsque l’inflation est prise en compte. » (10)

Au Canada aussi les dépenses militaires ont augmenté. Cela a commencé en 1999, soit bien avant les attentats du 11 septembre aux USA, mais la participation canadienne à la « guerre mondiale contre le terrorisme » qui a suivi a été le moteur de l’augmentation. En 2010‑2011, le budget militaire du Canada était le plus élevé depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le Canada vient au 13e rang dans le monde au chapitre des dépenses militaires. En 2016‑2017, son budget militaire s’élevait à 18,9 milliards de dollars canadiens. À titre de membre de l’OTAN, le Canada s’est engagé à consacrer 2 % de son PIB à ses dépenses militaires, comparativement à 1,2 % à l’heure actuelle. Sous la force des pressions exercées récemment, le gouvernement Trudeau a accepté de porter les dépenses à 32 milliards de dollars canadiens d’ici 2026-2027, ce qui représente environ 1,4 % du PIB du Canada. (12, 13)

L’historien économique Julian Adorney fait remarquer ceci : « Le programme de réarmement d’Hitler était du keynésianisme militaire à grande échelle. »

Herman Goering, qui était l’administrateur économique d’Hitler, a injecté toutes les ressources disponibles à la fabrication d’avions, de chars et de fusils, dans l’espoir d’engendrer un effet multiplicateur qui relancerait l’économie allemande qui battait de l’aile. Mais ce n’est pas arrivé. Les dépenses militaires sont passées de 750 millions de reichsmarks en 1933 à 17 milliards de reichsmarks en 1938, 21 % du PIB étant consacré aux dépenses militaires. Les dépenses totales du gouvernement correspondaient à 35 % du PIB de l’Allemagne, 60 % du budget étant consacré aux militaires. Le réarmement a créé de la richesse parmi les militaires, mais les simples citoyens allemands souffraient de la faim. (11)

Il n’en demeure pas moins que la machine de guerre d’Hitler n’aurait jamais pu être mise en place sans les fonds britanniques et étasuniens versés secrètement par l’entremise de la Banque des règlements internationaux (BRI). L’objectif initial de la BRI était de faciliter les paiements de réparation imposés à l’Allemagne en vertu du Traité de Versailles après la Première Guerre mondiale, objectif qu’elle a largement dépassé depuis. Fondée en 1930 à Bâle, en Suisse, en vertu d’ententes internationales regroupant une dizaine de pays, la BRI est devenue aujourd’hui la banque centrale des banques centrales, constituant pour l’essentiel un État souverain qui ne paie pas d’impôt, qui possède ses propres terrains et bureaux, qui tient des assemblées annuelles secrètes et dont le personnel bénéficie d’une immunité diplomatique. Le gouverneur de la Banque du Canada (BDC), Gerald Bouey, s’est soumis aux diktats de la BRI en 1974. Depuis, la BDC a perdu son indépendance. (16).

Aux USA, le budget militaire tient le haut du pavé. Dans le budget Obama de 2017, 63 % des fonds étaient consacrés aux dépenses militaires et le reste (37 %) à toutes les autres dépenses, sauf que la moitié de ce budget discrétionnaire a servi aussi à éponger des dépenses militaires. Les prévisions budgétaires de Trump pour 2018 consacrent 68 % des fonds aux dépenses militaires et 32 % aux autres dépenses. Une part énorme du pourcentage du budget des USA est consacrée aux militaires et à la guerre. (14)

Quand la guerre coûte des milliers de milliards de dollars

Dans une estimation prudente se rapportant aux guerres menées en Irak et en Afghanistan, la professeure Neta Crawford explique que ces guerres ont coûté et coûteront plus de 4,79 mille milliards de dollars US. Dans son estimation, elle englobe les soins qui seront prodigués aux anciens combattants ainsi que la demande concernant les opérations d’urgence à l’étranger pour l’exercice 2017, mais pas tous les paiements d’intérêts futurs sur la dette associée aux guerres. Pour reprendre ses termes : « cela s’élèvera probablement à plusieurs milliers de milliards de dollars. »

Son estimation ne comprend pas tous les coûts de la guerre pour lesquels il est difficile de parvenir à une évaluation raisonnable, ainsi que ceux qui sont peu élevés et répartis dans divers budgets de l’administration fédérale et des États.

« Par exemple, je n’ai pas mis les divers coûts associés aux soins des anciens combattants qui relèvent des États et des administrations locales, ou d’autres coûts acquittés par les familles des militaires et les Étasuniens en général. Je n’ai pas évalué non plus les conséquences macroéconomiques des guerres. »

La professeure Crawford estime que les coûts actuels et à venir de la guerre dépassent largement les estimations précédentes, dont certaines remontaient à avant la guerre, qui étaient pour la plupart optimistes. À son avis :

« l’estimation la plus détaillée des coûts budgétaires à long terme des deux guerres, y compris les dépenses directes et indirectes et les autres effets économiques, on la trouve dans The Three Trillion Dollar War, par Joseph E. Stiglit et Linda J. Bilmes. »

Elle soutient aussi que les coûts de la guerre dépassent même les estimations les plus prudentes. Son estimation rend les guerres menées après les attentats du 11 septembre extrêmement coûteuses, soit plus de 4,79 mille milliards de dollars US en dollars courants (voir le tableau ci-dessous). Elle englobe aussi le montant cumulé des intérêts sur d’anciens crédits d’ici 2053 s’établissant à 7,9 mille milliards de dollars US, pour un coût total de 12,69 mille milliards de dollars US.

Sommaire des coûts de la guerre en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie ainsi qu’au niveau de la sécurité intérieure aux USA (2001 à 2016)

Pour résumer, les coûts réels de la guerre sont difficiles à exprimer en chiffres. Ceux qui sont calculés par les experts sont également tellement immenses, qu’il devient difficile pour le commun des mortels de les assimiler, car ils atteignent des milliers de milliards de dollars dans le cas des USA, où les coûts réels sont bien documentés et où une bonne partie des dépenses militaires sont effectuées. Bien des éléments ne sont toutefois pas documentés, dont les dépenses payées par les alliés des USA, ainsi que les dépenses qui sont difficiles à chiffrer, comme les coûts liés à la destruction de l’économie et de l’infrastructure, ceux liés aux pertes de vie, aux incapacités et à la souffrance humaine des autres personnes impliquées et des victimes, ceux liés aux violations des droits de la personne et ceux liés à la destruction écologique. En outre, la guerre perpétuelle risque de précipiter notre planète dans un conflit mondial entraînant le recours aux armes nucléaires, ce qui pourrait entraîner la destruction finale des espèces vivantes et de leur habitat. Se focaliser sur la guerre est à première vue pessimiste, mais le plus important, c’est de faire ressortir la seule alternative saine possible qu’est la paix. Nous savons déjà que la paix est bonne pour l’économie, pour la population, pour les autres espèces et pour notre planète. Nous savons aussi que la guerre est source de ruine, de douleur et de destruction, dont seul un petit nombre tire des avantages financiers. Butler l’avait dit en 1933 et plus de 80 ans plus tard, nous sommes toujours incapables de faire en sorte que la guerre soit chose du passé. Nous permettons à la guerre d’augmenter le risque d’un holocauste d’une ampleur mondiale. Nous sommes les seuls à pouvoir mettre fin à cette folie.

Nora Fernandez

Permanent War Against Humans and the Planet, publié le 2 juillet 2017

 

Traduit par Daniel, pour Mondialisation.ca

 

Notes

  1. War is A Racket” (Major général Smedley Butler, 1933) https://ratical.org/ratville/CAH/warisaracket.pdf. Traduction de la citation : L’argent du sang : ces entreprises et ces personnes qui font des milliards des guerres
  2. “American Civil War,” https://en.wikipedia.org/wiki/American_Civil_War
  3. “Dick Cheney Plan For Global Dominance.” (Aldeilis, David Armstrong, 19, nov. 2006) http://aldeilis.net/english/dick-cheney-plan-for-global-dominance/; traduction du discours de Bush, le Monde diplomatique
  4. “Remarks by the President on the Administration´s Approach to Counterterrorism.” The White House, Office of the Press Secretary, Mac Dill Air Force Base, Tampa, Florida, 6 décembre 2016. https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/12/06/remarks-president-administrations-approach-counterterrorism
  5. “The United States of Permanent War.” (Edward Hunt, Counterpunch, 24 février 2017). http://www.counterpunch.org/2017/02/24/the-united-states-of-permanent-war/
  6. “Environmentalists are Ignoring the Elephant in the Room: U.S. Military is the World´s Largest Polluter.” (Global Research, Washington’s Blog, 23 mai 2017). http://www.globalresearch.ca/environmentalists-are-ignoring-the-elephant-in-the-room-u-s-military-is-the-worlds-largest-polluter/5591596
  7. “DEW Line: Canada is cleaning up pollution caused by Cold War radar stations in the Artic.” (Sandro Contenta, The Star, 4 août 2012). thestar.com/news/insight/2012/08/04/dew_line_canada_is_cleaning_up_pollution_caused_by_cold_
    war_radar_stations_in_the_arctic.html
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  16. Beyond Banksters. Resisting the New Feudalism.” (Joyce Nelson, Watershed Sentinel Books (2016).


Articles Par : Nora Fernandez

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