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HAÏTI : L’université Henry Christophe est un acte réparatoire aux victimes du massacre de 1937
Par Joël Léon
Mondialisation.ca, 19 janvier 2012
19 janvier 2012
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L’inauguration du campus universitaire Henry Christophe dans la localité de Limonade, dans le département du nord, suscite beaucoup de controverses. Pour certains, il s’agit d’un acte humanitaire désintéressé de l’état Dominicain a celui d’Haïti qui se trouve en grandes difficultés après le séisme meurtrier qui  ravagea le pays en 2010, dont nous venons de commémorer les deux ans. Pour eux, cette action se situe dans la logique d’échange et de solidarité sud/sud qui, ces derniers temps est sur toutes les lèvres en Haïti. Pour d’autres, il s’agit tout simplement d’un acte d’humiliation de la part de la république Dominicaine, un pays qu’Haïti occupa pendant plus de 21 ans. Ils le qualifient « d’université de la honte ». En réalité, de quoi s’agit il ?

L’animosité de la république Dominicaine à l’endroit d’Haïti est largement documentée. Des livres sont publiés à ce propos, des documentaires sont montés, des centaines d’articles sont publiés et des centaines de reportages qui décrivent les relations dégradantes entre les deux pays. Personnellement, c’est un sujet qui m’a toujours fasciné. J’ai déjà produit plus de 4 papiers sur cette matière, sans compter les interventions publiques, radiophoniques et discussions sur le web. Donc, j’ai une certaine maîtrise en ce domaine.

        
D’abord il y a les rancoeurs historiques qui aveuglent l’élite intellectuelle Dominicaine. En 1822, Jean Pierre Boyer, le nouveau président d’Haïti  envahit et occupa la partie Est de l’Ile, sur la demande expresse des habitants de la partie de l’Est, jusqu’à son départ en 1843. A noter que cette occupation a eu lieu sans le tir d’un coup de feu, cela dit qu’un secteur dominant de la vie publique dominicaine voulait la présence haïtienne sur leur territoire. Pendant ces 21 ans, les universités en Dominicaine furent fermées et un climat de répression avait été entretenu dans le pays. Les intellectuels dominicains, toutes tendances confondues, ont unanimement qualifié ce règne comme obscurantiste et « années perdues ».  Aujourd’hui encore, beaucoup pensent que si ce n’était à cause de ces années-la, la Dominicaine aurait pu avoir un meilleur présent. Cette interprétation de l’histoire est répandue constamment dans les écoles dominicaines, à savoir que les haïtiens sont des obscurantistes. Cette haine implacable est transmise de génération en génération.

         
Rafael Léonidas Trujillo, l’ancien dictateur dominicain, se basa sur cette rancœur historique pour massacrer plus de 35.000 haïtiens en 1937. Beaucoup de compatriotes haïtiens pensent et, a juste titre, que la construction de ce centre universitaire est un acte de réparation et de justice a l’endroit des frères et sœurs assassinés lors de ce carnage. Et, ils croient fermement que l’université devrait porter un nom approprié aux victimes du génocide, surtout lorsqu’on considère que l’accord de réparation conclu entre les gouvernements haïtien et dominicain, sous l’œil bienveillant du président américain Franklin D. Roosevelt, pour que Trujillo verse 750.000 dollars aux parents des victimes n’a jamais été honore. Donc, la construction de l’université Henry Christophe n’est pas un acte humanitaire, mais une dette historique a l’endroit du peuple haïtien. 

        
Il y a un autre aspect dans le geste du président Leonel Fernandez qui mérite d’être pris en compte. On se souvient du débarquement des soldats français dans le nord du pays, particulièrement au Cap-Haïtien.  Cette ville martyre et de grande prouesse, qui poussa Rochambeau à répondre aux critiques de Napoléon, s’agissant de l’armée Indigène, qu’il était entrain de faire la guerre au groupe le plus supérieur de l’Afrique noire. En traversant « barrière bouteille » en 2004, l’armée française compte altérer l’histoire. Effacer la cinglante défaite qu’elle avait subie 200 ans de cela. Les Américains font de même à propos de la guerre contre le Vietnam. À travers des films cinématographiques comme Rambo etc. Ils veulent endiguer le spectre de la défaite qui traumatise toujours l’armée américaine. C’est ce que Pierre Bourdieu a qualifié de « violence symbolique ». Une disposition à faire passer l’arbitraire comme légitime, la laideur pour de la beauté.

        
Par l’octroi d’un centre universitaire, les dominicains entendent prendre leur revanche sur l’histoire. Ils veulent exhiber à la face du monde leurs supériorités de peuple et de race. Parce qu’il y a tant d’autres domaines que les dominicains pouvent aider, pourquoi un centre universitaire ?

       
Je pense que Jacques Stephen Alexis, l’auteur de « compère général soleil » serait d’accord avec moi dans ma tentative de déceler la signification du geste de l’état dominicain.

Ceux qui pensent que le don de l’université Henry Christophe à Haïti est un geste innocent doivent se rappeler d’une chose. Depuis la dernière tentative de Faustin Soulouque en 1858 de reprendre sous contrôle la partie Est de l’Ile, Haïti n’a jamais commis aucun acte d’hostilité vis-à-vis des dominicains. De leurs cotés, ils ne cessent de comploter contre les haïtiens.

A commencer le tracé frontalier de 1919, qui accorda les deux tiers de l’Ile aux dominicains au détriment des haïtiens. Les américains furent les artisans de ce traité soi-disant inspiré de celui de Ryswick de 1697. A cette époque les deux  états qui composent l’Ile subissaient l’occupation américaine. Donc, ce traité est invalide du fait de l’influence d’un corps étranger dans l’affaire, c’est-à-dire le président américain de l’epoque. L’Ile doit être séparée en deux moities égales, point barre!

       
En ce sens, si Leonel Fernandez veut inaugurer une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays, Il doit nécessairement poser des actions concrètes en ce sens :

1-      Entrer en négociation avec les autorités constituées de l’état haïtien pour un nouveau tracé frontalier, celle de 1919 ayant été défavorable à la partie haïtienne. Celle imposé par les Américains est injuste et ne reflète pas les intérêts des deux peuples.

2-      Déclarer la boucherie de 1937 un génocide et entreprendre le processus de réparation financière à raison de 1 million de dollars par victime, sous contrôle d’organisations liées aux intérêts des masses populaires.

3-      Mettre fin a la campagne raciste contre Haïti que les intellectuels et media dominicains agitent froidement en Dominicaine et du même coup dénoncer le livre de Joaquin Balaguer « l’île a l’envers » comme un instrument raciste d’incitation a la haine épidermique.

4-      Demander pardon au peuple haïtien. . De la même façon que l’église Catholique a imploré le pardon aux Africains pour sa participation dans la traite negriere et aux juifs a cause de leur silence complice pendant le génocide nazi durant la deuxième guerre mondiale. Ce sera justice rendue !

5-      Octroyer de la nationalité dominicaine aux haïtiens qui sont nés sur le territoire dominicain et qui désirent l’acquérir. Entreprendre une campagne d’éducation civique contre la xénophobie sur tout le territoire national pendant 3 ans tout en admettant leur culpabilité.

6-      Mettre fin a la politique de déstabilisation politique, économique et culturelle d’Haïti. Depuis 1986, l’état dominicain participe à tout mouvement réactionnaire, anty haïtien de déstabilisation mis en place par des « haitiens-etrangers » assoiffés de pouvoir. Comme illustration, on peut citer les deux coups d’état de 1991 et de 2004.

 

Aux nantis du pays qui préfèrent dépenser des millions de dollars envoyer leurs enfants étudier dans les grandes capitales occidentale, nous disons : honte a vous (« shame on you  »). C’est aussi le moment pour que les bourgeois haïtiens prennent conscience de leur mission historique de classe. C’est-à-dire, doter le pays des infrastructures adéquates assurant la haute valeur éducative et la dignité du « premier épître negre indépendant du monde ».

En termes de conclusion, le don de l’université Henry Christophe est une honte nationale, mais un outil utile a la nation !

Joël Léon

Notes :

Joaquin Balaguer, ancien président dominicain eut à écrire « l’île à l’envers », un livre très controversé mais illustrant clairement la haine nationale. Ce bouquin fut pendant longtemps « la Bible » d’une grande partie de l’intelligentsia dominicaine qui l’utilisa a des gains racistes et politiciens.

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