Haïti : Ce qu’on doit comprendre à propos de la lutte d’aujourd’hui.

Les événements actuels, indispensables à l’avènement de la modernité en Haïti!

«Hier était trop tôt, demain sera trop tard, c’est aujourd’hui qu’il faut procéder».

Ce qu’on doit comprendre à propos de la lutte d’aujourd’hui. D’abord, c’est un passage obligé, un pont conduisant à l’Haïti moderne et prospère dont nous rêvons depuis le 17 octobre 1806. Nous sommes à la dernière phase de sa matérialisation.

Le 7 février 1986 fut la première étape, le balayage de l’hérédité dans notre système politique. Cela entraîna un apprentissage douloureux des concepts rudimentaires de la démocratie, une tradition que nous n’avions pas. Une longue «transition qui n’en finit pas», certes, mais au cours de laquelle le peuple et ses dirigeants avisés ont pu atteindre l’intelligence et le niveau de maturité indispensables à l’accouchement de cette nouvelle Haïti. C’est-à-dire «Une société où chaque haïtien se sent à l’aise chez lui sur le plan politique, économique, social et culturel.»  

Ce qui a davantage compliqué le processus de changement, c’est qu’il y a un groupe de personnes_ ayant profité de l’instabilité, « trop gâtées » par l’argent facile et la jouissance effrénée des dividendes de la corruption_ refusent de lâcher prise. Ces individus deviennent les nouveaux boucliers du statu quo ante; ils ignorent que cette réalité était éphémère, et ils veulent l’instituer en un nouveau système d’état.    

Le pire, c’est que ces nouveaux millionnaires de l’interminable transition n’ont pas d’allégeance ni d’idéologie. Comme des prostitués ou des mercenaires, ils sont là où il y a de l’argent. Ils étaient à Caracas (Venezuela) ; ils traînaient leurs bosses à Hanoï (Vietnam), ils séjournaient à Taipei (Taïwan)…sans oublier Washington. Il s’agit d’un mélange scandaleusement hétéroclite. On trouve côte à côte d’anciens duvaliéristes, des lavalassiens, des «gauchistes» et Martellystes, avec l’objectif unique d’amasser des fortunes même dans le black-out.

En dernier essor, le peuple avait fini par comprendre que Joseph Martelly faisait, lui aussi, partie du problème de la transition. Maintenant il doit partir.

«La transition qui n’en finit pas», bien qu’elle ait été  péniblement supportable,  avait permis de dégager au niveau de l’oligarchie de potentiels alliés qui, curieusement, véhiculent les mêmes discours avec le «Camp National», la modernité d’Haïti. Une incursion importante pour la suite du combat sur le plan économique, financier et technologique.

Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour historique où le dernier bouclier du monde ancien doit tomber pour que naisse la nouvelle société. Le peuple se rend compte, jusque dans sa subconscience, de sa responsabilité historique de «faiseur d’histoire»; il est convaincu que c’est tout le système qu’il faut changer. Après 33 ans de rapiéçage, il en a marre. La modernité s’impose.

Les rendez-vous historiques manqués avec Anténor Firmin au 19ème siècle, Dumarsais Estimé et Lesly Manigat au 20ème siècle qui, par refus obscurantiste des élites, ou ambition politique dégénérée, ou la peur de l’oligarchie et de la classe politique, n’avaient pas eu la chance d’implémenter les principes de la modernité dans nos mœurs politiques, économiques et sociales.

Le caractère unique des protestations de ces derniers jours, comme me disait un ami hier, a une allure économique et non-politique. Le peuple perçoit l’appareil gouvernemental  seulement comme un moyen appréciable dans le processus de changement mais pas la finalité.  Ses revendications et son engagement sont profondément économiques et sociales depuis le prolongement du règne de Martelly sans Martelly.  J’insiste sur l’après-Martelly, car Jovenel Moise n’existe pas politiquement. Il y a eu de nombreux morts, notamment des jeunes, les plus souciés pour l’avenir, des adolescents et même des femmes; des casses ont été enregistrées aussi contre des compagnies, des voitures furent brûlées… Tout ceci fait malheureusement partie des dommages collatéraux de la lutte populaire, mais pas en vain. Cet engagement est l’expression d’une décision consciente et résolue à tout changer irréversiblement. 

Désormais, aucun dirigeant n’a un chèque en blanc. Le changement doit être matérialisé dans la poche et l’assiette du peuple, sinon il n’y aura pas de rémission. Ce qui constitue un segment essentiel qui dépasse les limites de la première étape du combat, datée du 7 février 1986, qui fut de mettre fin à cette forme d’atavisme dans nos traditions politiques.  

«Hier était trop tôt, demain sera trop tard, c’est aujourd’hui qu’il faut procéder.»  Le peuple intelligent d’Haïti l’a si bien compris qu’il accepte déjà le sacrifice ultime de jeter les bases d’une meilleure vie pour les générations à venir. Quel exemple d’humilité et de sacrifice de soi pour la rédemption et le sauvetage de tout un peuple!

Joël Léon

10 février 2019



Articles Par : Joël Léon

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