Haïti-Crises Électorales : Non, les mobilisations n’ont rien à voir avec Jovenel !

Une fois de plus, Haïti semble plongé dans une crise post-électorale avec une sortie de plus en plus incertaine. L’an dernier, le conseil électoral provisoire a déclaré Jovenel Moise, dauphin de l’ancien président Michel Martelly, en première position dans les résultats définitifs et au deuxième tour des présidentielles avec Jude Célestin. Suite à des demandes pour une vérification approfondie du scrutin qui n’ont pas été satisfaites, les parties contestataires et une bonne majorité du peuple ont empêché un deuxième tour jusqu’à ce qu’une commission présidentielle ait recommandé l’annulation du scrutin pour cause de fraudes massives. En novembre 2016, une semaine après la reprise des élections, le conseil électoral a déclaré cette fois-ci Jovenel Moise vainqueur dès le premier tour avec plus de la moitié des votes, malgré un taux de participation de seulement 21%. Suite à ces résultats, une fois de plus, à travers un combat politico-juridique acharné, le peuple a exprimé son rejet du processus qu’il juge être teinté de fraudes et d’irrégularités graves. Face cette situation, beaucoup croient que les contestataires et les manifestants ont un problème avec Jovenel, l’individu, et feront tout pour l’empêcher d’accéder à la magistrature suprême ; d’autres les voient comme des mauvais perdants déçus et prêts à tout faire pour punir un « outsider » à cause de son origine modeste. De ce fait, nombreux sont ceux qui ont éprouvé une certaine sympathie pour Jovenel et qui voient en lui un petit « David », victime d’un système politique particulièrement bizarre. Mais, ce que beaucoup de ces gens ne comprennent pas c’est que ce combat et les manifestations de rue qui en dérivent n’ont rien à voir avec Jovenel !
Plutôt que contre un individu en particulier, cette lutte est contre un système qui, pendant ces dernières années, n’a prêté aucune attention au sort de la classe moyenne et des masses défavorisées. Dans les rues, la classe populaire se révolte contre une société hautement inégalitaire dans laquelle les pauvres deviennent de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Leur colère n’est pas contre une personne quelconque, mais plutôt contre une oligarchie ignoble qui ne s’intéresse qu’à maximiser la valeur de leur rente et refuse de comprendre qu’un partage des richesses est indispensable pour l’équilibre social. En effet, le combat pour la libération et l’émancipation des masses en Haïti va plus loin qu’un simple individu ou un parti politique. Les revendications des masses populaires remontent à de nombreuses décennies. Alors que plusieurs ont eu l’opportunité de s’enrichir aux fils des ans, les fils des esclaves noirs Africains, qui se sont battus avec bravoure pour l’Independence, n’ont rien reçu. De plus, durant ces trois dernières décennies, alors même que la qualité de la vie s’est améliorée dans plusieurs pays de l’Amérique latine, l’haïtien moyen n’a vu aucune amélioration de ses conditions de vie.
À en juger par l’entourage de Jovenel, les gens craignent, avec juste raison, que ce n’est qu’une continuité des dérives de l’ancien régime masquées par des projets de développement touristiques au profit du capital étranger, et des promesses vides et non détaillées. En effet, durant les cinq dernières années, les progrès économiques et sociaux ont été minimes ; plusieurs indicateurs montrent que les choses ont même empiré. Avec des milliards de dollars et un plan pour la refondation d’Haïti en main, aucun avancement majeur n’a été remarqué et la grande majorité a bénéficié de peu. Il n’y a pas eu de scolarisation gratuite et universelle comme cela avait été promis, ni de grands projets de développement, ni de réduction significative du chômage ou de la pauvreté. Face à une dépréciation accélérée de la monnaie nationale par rapport au dollar américain, il a été de plus en plus difficile pour l’haïtien moyen de faire face à ses besoins quotidiens. En conséquence, le coût de la vie a augmenté, beaucoup de jeunes professionnels ont quitté le pays par tous les moyens, les ONGs se sont précipités, et l’assistanat est devenu la norme. Donc, si pour certains ces manifestations sont des cris fous de quelques mauvais perdants qui refusent d’accepter les règles du jeu, pour la majorité défavorisée, elles représentent une lutte constante pour une société haïtienne plus prospère et plus juste.
En somme, ce combat et les manifestations qui en découlent n’ont rien à voir avec Jovenel, son parti politique, ou encore moins son humble origine. À travers les rues, les masses défavorisées revendiquent une meilleure redistribution des richesses, un système plus équitable où le chemin vers un avenir certain n’est plus qu’à travers les jungles de l’Amérique du Sud. Comme tout le monde, les haïtiens ne veulent rien qu’une éducation décente pour leurs enfants, l’accès aux services de santé de base, un emploi stable, et l’opportunité de forger leur propre avenir. Certainement, un système où chacun a des chances équitables de réussir facilitera l’émergence d’autres entrepreneurs comme Jovenel à travers tout le pays, et enfin l’haïtien moyen aura une chance de prospérer et de déterminer son propre destin.
Boaz Anglade