Haïti, la perle noire des Caraïbes
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous pourrions appeler la République d’Haïti et l’île qu’elle partage avec la République Dominicaine la perle noire des Caraïbes. Bien que toutes deux fassent partie d’une formation orographique très particulière et soient issus des mêmes antécédents de la conquête espagnole, leurs destins ont connu des vicissitudes qualitativement différentes.
Haïti est un joyau précieux mais abandonné à un destin imprévisible malgré que son profil soit proche de celui de son voisin. Il n’y a pas de limites géographiques définies entre les deux, mais seulement une frontière imaginaire de près de 300 km de long. Haïti n’occupe qu’environ 27 mille km2 de l’île, qui, dans sa totalité, a une superficie d’un peu plus de 78 mille km2, et est le troisième plus grand pays des Antilles ainsi que le troisième plus densément peuplé avec environ 300 habitants / km2.
La majorité de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 2 dollars par jour selon l’Indice de Développement Humain des Nations Unies de l’année 2017, un indicateur qui, contrairement au précédent qui ne mesurait que le développement économique des pays, prend désormais en compte la santé, l’éducation et le revenu. On estime également que les 20% des ménages les plus riches ont 64% du revenu total du pays et que les 20% les plus pauvres n’ont que 1%. D’autre part, plus de 80 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté vivent en milieu rural et dépendent pour l’essentiel de l’agriculture et de la pêche traditionnellement organisées dans de petites exploitations de subsistance.
Le territoire haïtien, cependant, n’a pas toujours été stérile et improductif. Sa surface a été systématiquement dévastée par une exploitation permanente et intensive qui a réduit sa superficie forestière de 60% au début du siècle dernier à 2% aujourd’hui. Sa détérioration a été aggravée par les tempêtes tropicales répétées, l’ouragan Matthew en octobre 2016 et, sur le plan géologique, le tremblement de terre qui a détruit une grande partie de son infrastructure urbaine précaire en janvier 2010 et a également gravement affecté ses communications, son secteur industriel précaire et ses services.
La situation s’aggrave aussi à cause des ravages causés par l’épidémie de choléra introduite par un contingent de Casques Bleus de l’ONU qui a fait des milliers de morts et des centaines de milliers d’affectés, comme il a été admis par les Nations Unies pour la première fois, en septembre 2016. L’instabilité politique et plus particulièrement l’inefficacité et le manque d’engagement de ses gouvernants à l’égard du pays et de sa population, régulièrement impliqués dans des événements conflictuels et pas du tout transparents, ont contribué à configurer un panorama difficile, bien qu’impérieusement en besoin de transformation, car on estime que sa population sera condamnée, à moins de changements, à rester avec celle de quelques pays africains, la plus pauvre du monde.
Actuellement, le secteur textile contribue à 90% de son PIB et représente 75% de ses exportations, mais un autre secteur qui, par son exploitation illimitée, a contribué à la détérioration générale de l’économie du pays a été la production et donc la grande consommation de charbon de bois (coupable de déforestation) encouragée par le coût élevé des carburants dérivés du pétrole. Quelqu’un a calculé, je suppose avec humour, que la quantité de tonnes de charbon de bois que le pays consomme annuellement équivaut au poids de 90 000 éléphants de taille moyenne.
Il n’est donc pas incohérent que sa population manque non seulement d’un niveau de vie acceptable, mais enregistre aussi des taux élevés de morbidité, de mortalité et d’analphabétisme, comme le montrent certains des chiffres suivants : le taux de mortalité pour 1 000 naissances vivantes est de 72 %, la mortalité infantile pour 1 000, 54 %, celui des moins de cinq ans, 77 %, valeurs auxquelles contribuent surtout le manque de soins médicaux, les politiques de santé publique et l’éducation qui permettraient de réduire ces taux et de relever le niveau de vie des populations.
Le Dr Audie Metayer, responsable du secteur dialyse à l’hôpital de l’Université d’Haïti, a récemment déclaré qu’il n’y a que huit néphrologues dans tout le pays, dont lui-même, pour les 11 millions d’habitants du territoire haïtien, tous résidant dans sa capitale Port-au-Prince. Il n’y a pas d’infirmières spécialisées et les traitements possibles ne sont pas à la portée de la majorité de ses habitants.
Une grande partie des maladies infantiles, diarrhées, pneumonies, malnutrition, empoisonnements, n’arrivent pas à être soignées, auxquelles il faut ajouter le manque de scolarisation de la population des garçons et des filles qui sont intégrés dans le monde du travail, en grande partie dans le secteur domestique où ils sont appelés « restavèks ». Issus de familles à faible revenu, ils sont généralement envoyés vivre avec des familles dont le niveau économique est plus élevé dans l’espoir d’être pris en charge et éduqués en échange de l’accomplissement de tâches domestiques. Bien qu’il n’existe pas de statistiques précises, on estime qu’entre 225 000 et 300 000 enfants travaillent dans ces conditions. Le Code du travail haïtien n’établit pas d’âge minimum pour le travail domestique, bien qu’il fixe à 15 ans l’âge minimum pour travailler dans les entreprises industrielles, agricoles et commerciales. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a déjà demandé à Haïti de criminaliser l’emploi d’enfants comme domestiques.
Pour ces raisons et pour des raisons similaires, selon un rapport de Human Rights Watch, un Haïtien sur deux de 15 ans ou plus est analphabète du fait que plus de 200 000 enfants ne sont pas scolarisés. En outre, la qualité de l’enseignement est sensiblement médiocre car 90% des écoles sont privées et proposent des frais de scolarité inaccessibles à la plupart des familles. Le même Comité des Nations Unies a exhorté le gouvernement haïtien à mettre en place des contrôles et une supervision accrus dans le domaine de l’éducation afin que des niveaux de qualité adéquats soient exigés dans les établissements privés et que ces entreprises soient tenues responsables des tarifs et salaires.
De cette manière, et en raison de l’absence de politiques publiques qui garantissent des niveaux de vie modérément acceptables, les problèmes existants sont constamment et réciproquement répercutés et, au fil du temps, des efforts supplémentaires seront nécessaires pour les résoudre, une situation qui exige notre attention en tant que partie inéluctable de notre être latino-américain et de notre engagement à la construction collective d’un monde dans lequel tous les mondes peuvent se fondre.
Susana Merino
Article original en espagnol : Haití, la perla negra del Caribe
Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International