Haute surveillance sur le mythe de l’engagement
Le 2 septembre 1977, trois jours exactement avant que la Rote Armee Fraktion ne séquestrât le président de l’association des industriels allemands, Hans–Martin Schleyer, laissant derrière elle les corps sans vie du chauffeur et des trois policiers de son escorte, Jean Genet arriva à faire publier dans les pages du Monde une apologie lucide et consciente de Andreas Baader et Ulrike Meinhof, faisant l’éloge aussi bien de leurs actions passées que –fait qui parut inqualifiable, stupide et inquiétant au politologue Maurice Duverger- de leurs idées sur l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe.
Genet ne changea jamais d’opinion, du moins publiquement, sur le sujet. Comme il n’en changea pas sur au sujet des nombreux émigrés que la France, pendant ces mêmes journées exactement, déclarait vouloir accueillir, grâce à une loi voulue par Giscard d’Estaing sur les rassemblements familiaux, mais excluait en même temps de la vie publique, en les jetant dans la spirale d’un colonialisme de second degré fait des travaux serviles, de discriminations quotidiennes et de conditions de vie indignes.
Pendant longtemps, quiconque avait à l’esprit de discréditer le « mythe de l’engagement » de Jean Genet, n’hésitait pas à replacer au centre du débat et de la discussion cet article, publié par Le Monde sous le titre « Violence et brutalité »*, en le rapprochant éventuellement de quelque ancien et non moins impétueux papier écrit par Sartre sur La Cause du Peuple. Pour tracer le diagramme des « pulsions terroristes » de l’ancien enfant trouvé Genet, élevé à l’école de l’Assistance Publique, il n’était pas besoin de beaucoup d’imagination, dans le fond, ses paroles suffisaient.
Genet mort, en mars 1986, les critiques se sont re-calibrées sur un autre versant, plus médité et senti, de son engagement : celui pour la Palestine libre, de l’occupation et de la guerre. L’hérédité « littéraire » de Genet, cependant, compliqua les choses. Avec la publication de Un captif amoureux, roman-reportage sur ses voyages au Moyen-Orient, paru à titre posthume au printemps 1986, Genet a d’une certaine manière distillé des années de militantisme en obligeant jusqu’aux plus critiques à se confronter directement avec un travail à la forme et au chiffre stylistique désarçonnants. On ne s’étonnera donc pas que, ces dernières années, ce soit justement cette œuvre de Genet qui soit mise en discussion, revisitée et lue comme une apologie ambiguë et dangereuse du plus abject des préjudices : l’antisémitisme. C’est maintenant au tour d’Eric Marty, responsable de l’édition critique des œuvres de Barthes, comme par hasard éditorialiste au Monde, et auteur de deux livres embarrassants par leur imprécision, leur spéciosité et leur mauvaise foi ostentatoire.
Il s’agit de Bref séjour à Jérusalem (Gallimard) et Jean Genet, post-scriptum (Verdier), dans lesquels, même pas à demi-mot, on se dépense en éloge pour Sharon et sa fameuse « promenade » sur l’Esplanade des mosquées de Jérusalem, et, même temps, laborieusement et avec une certaine habileté à vrai dire, on qualifie Genet et son témoignage sur le massacre de Chatila d’exemples d’antisémitisme intellectuel et de « proto nazisme ». Nulle, l’auto complaisante défense de Marty, dans les pages du dernier fascicule de Critique, en réponse à une intervention courageuse de René de Ceccaty, parue dans le numéro 716 de la revue qui fut celle de Georges Bataille.
Edition de samedi 14 juillet de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/14-Luglio-2007/art49.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Le titre fait référence à la pièce de Genet : Haute surveillance,
* On ne peut lire cet article sans le texte de Jean Genet :
Violence et brutalité, voir :
www.bibliolibertaire.org/Textes/jean_genet.doc
Marco Dotti, essayiste et traducteur (en particulier d’Antonin Artaud), spécialiste de la littérature française du 20ème siècle, a publié : Jean Genet Palestinesi aux Editions Stampa Alternativa (Milan).