Hezbollah, terroriste ?
Notre exigence du respect et de l’application du droit international impose souvent des condamnations radicales de la politique israélienne. Ainsi lors de l’attaque contre le Liban cet été. Certains, même dans le mouvement de solidarité, ont regretté que nous ne condamnions pas aussi le Hezbollah.
Cela mérite évidemment une réponse détaillée car cela pose des problèmes très importants.
Une des raisons de cette omission est directement liée au contexte de guerre du moment. En particulier, la colère qu’a provoquée l’intervention israélienne au Liban était telle qu’elle s’est accompagnée du refus de donner la main à l’obsédante campagne médiatique de stigmatisation du Hezbollah comme « organisation terroriste », campagne menée par ceux-là même qui refusent de qualifier la guerre d’Israël comme terrorisme d’Etat.
De surcroît, il était de plus en plus avéré – ce qu’Amnesty international a confirmé – que l’armée israélienne a délibérément visé et tué des centaines de civils au Liban.
Ce déséquilibre énorme de l’information, son unilatéralisme, qui de fait légitime une guerre d’agression qui fait beaucoup de victimes et de destructions, et délégitime une résistance qui en fait beaucoup moins, explique, même s’il ne le justifie pas aux yeux de certains, la prise de position contestée.
Mais il y a une autre raison plus importante encore. L’attaque du Hezbollah contre la patrouille israélienne le long de la frontière, qui a abouti à la mort de plusieurs soldats et à la prise de deux d’entre eux et qui a déclenché les foudres israéliennes, a été un acte de guérilla et non une action terroriste comme a voulu la définir le commandement de l’armée israélienne bientôt suivi par toute la presse occidentale. (Il en avait d’ailleurs été exactement de même pour la capture du soldat israélien par un groupe armée palestinien à la frontière de Gaza). Or, c’est cette qualification du Hezbollah comme organisation terroriste à propos de cet acte qui a été massivement exploitée pour délégitimer ce qui était une lutte de résistance nationale contre un reste d’occupation, le maintien de prisonniers libanais en Israël et les incursions militaires israéliennes permanentes dans l’espace libanais..
Qu’ensuite il y ait eu, en représailles du Hezbollah, après les premiers bombardements israéliens, le lancement de roquettes sur Israël qui ont frappé et tué des civils, c’est un autre problème. En l’occurrence, il s’agit bien, selon la quatrième convention de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels de juin 1977, de « crimes de guerre » car il s’agit d’« attaques dirigées contre des civils et d’attaques indiscriminées contre leur zone de résidence. » C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré Amnesty international, laquelle a par ailleurs fortement dénoncé la guerre menée par Israël.
Il faut noter que dans un texte du Collectif national Palestine, adopté en deuxième partie du mois d’août, il est écrit que les organisations « déplorent les victimes civiles du conflit, libanaises, palestiniennes et israéliennes », ce qui est une façon, certes modérée, mais claire, de condamner toutes les attaques contre les civils, y compris celles du Hezbollah.
Ici j’ajouterais une information de type personnel. Pendant mon séjour à Beyrouth au début août, j’ai eu l’occasion de parler de ce problème avec un « conseiller politique » du Hezbollah. En réponse à mes interrogations critiques sur ces tirs de roquettes – au moment même où en Palestine, avec le Document des prisonniers, le Hamas renonçait aux attentats contre des civils en territoire israélien – ce conseiller m’a répondu à peu près ceci : « C’est vrai, les roquettes sur Israël sont une forme de vendetta qui est très soutenue par le peuple libanais en colère et c’est une façon pour nous de dire aux Israéliens qu’ils ont un prix à payer pour les souffrances qu’ils nous infligent. Mais il est vrai aussi que nos objectifs ne sont pas spécialement des civils. Nous essayons de viser des concentrations militaires – et nous y avons en partie réussi – et des installations stratégiques telle que la raffinerie de Haïfa – et nous ne n’y sommes pas arrivés. D’où les victimes civiles. »
A mon avis, les attaques à partir de Gaza ou du sud Liban sont des actes de guerre, ou de guérilla dans une « guerre asymétrique ». Et ceux qui les accomplissent sont convaincus d’avoir le droit de se défendre et de résister face à une longue histoire d’occupation et de violence. Il faut prendre acte que face aux armes sophistiquées d’Israël et des Etats-Unis, la seule possibilité qui reste à ceux qui veulent s’y opposer est une « stratégie non gouvernementale » d’attaques asymétriques. Face à la terreur des armées et des Etats occidentaux, le reste du monde est impuissant. Je ne discute pas ici de légitimé morale mais de praticabilité politique et de souci d’efficacité . Ce débat traverse la société palestinienne et a abouti pour l’heure à l’abandon du terrorisme et au maintien de la résistance armée dans les territoires occupés. L’efficacité politique de cette résistance armée reste encore en débat (certains revendiquent une stratégie d’action non violente ou non armée, en référence à la première intifada et à l’actuelle bataille de Bilin) mais elle est considérée par tous comme légitime, même si Israël et les Etats-Unis la qualifient elle aussi de « terrorisme ».
Cela dit, il faut bien reconnaître que, dans ce cadre de guerre asymétrique, la différence entre résistance armée légitime et terrorisme a tendance à se réduire. Si par exemple, un commando de guérilleros place une bombe sur une route sur laquelle peu après doit passer une colonne de soldats israéliens, ce sera un acte de résistance armée (et non terroriste). Si par malheur l’explosion frappe et tue aussi des civils, on peut l’appeler un accident de parcours de la résistance armée. Si par contre deux, trois, dix autobombes frappent seulement marginalement les occupants, des militaires, tandis qu’elles massacrent beaucoup de civils quels qu’ils soient, cette résistance change de nature et ressemble de plus en plus au terrorisme.
C’est surtout la guerre elle-même, quelle qu’elle soit, qui pose problème. Mais que peuvent faire les peuples dominés et attaqués si la communauté internationale ne les protège pas ?
Deux remarques en conclusion.
Première remarque : Nous ne pouvons laisser se perpétuer le système occidental de jugement selon « deux poids deux mesures » où la violence arabe ou musulmane est toujours terroriste et la violence israélienne ou américaine, jamais. C’est à la fois faux et immoral et nous amènera toujours plus de haine de la part de ceux qui subissent ce système.
Deuxième remarque : j’attire l ’attention sur la nécessité d’éviter d’accoler systématiquement « islamiste » à « terrorisme ». Ainsi, à la fin « islamiste » va devenir synonyme de « terroriste » alors que chez les Islamistes – on le voit dans le Hezbollah et dans le Hamas – il y a un débat. Il y a des forces pour combattre de l’intérieur les déviations de type radical terroriste. Or, ces forces-là sont, dans le combat pour la libération nationale de la Palestine et du Liban, des alliés tactiques potentiels, même si nous préférons agir avec les forces progressistes et même si nous sommes en désaccord avec leur projet de société et avec certaines de leurs méthodes de lutte.
Voilà un ensemble non exhaustif de remarques que m’inspire ces questions. Mais je reste persuadé de l’impérieuse nécessité de combattre le terrorisme sous toutes ses formes car l’Histoire a montré que si d’une résistance armée contre des militaires et surtout d’une résistance civile, il peut sortir une société plus juste, plus libre, du terrorisme jamais.
Source: http://www.france-palestine.org/