Hiroshima: L’insoutenable frivolité des barbares… civilisés ?

Les 6 et 9 août 1945, le président Harry Truman – l’équivalent intellectuel et moral du G.W. Bush d’aujourd’hui – ordonnait la mort de dizaines de milliers de civils japonais au moyen de deux bombes atomiques.

IL est consternant de constater que l’opinion publique occidentale, pourtant traumatisée par la découverte de la barbarie des camps de concentration hitlériens, a enregistré la nouvelle de ces deux terribles crimes contre d’innocentes populations civiles avec un cynisme dont les peuples algérien, malgache et indochinois ne devaient pas tarder à mesurer l’étendue.

Dès le 6 août au soir, l’équipage qui avait semé la mort sur Hiroshima fut fêté au champagne. « Le Monde » du 8 août 1945 ne fit pas exception à la règle et s’enthousiasma de cet « exploit » avec ce titre de Une : « Une révolution scientifique. Les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon ».

Albert Camus fut l’un des rares à prendre la mesure du cataclysme qui, désormais, allait menacer la planète entière. Dans « Combat » du 8 août, il écrivait : « Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes, que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer une découverte qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles ».

L’enfant que j’étais alors et qui, apprenant à lire dans les journaux, y découvrait l’horreur des camps nazis et la folie atomique, se souvient aujourd’hui encore de son incompréhension lorsque, dans les bals qui suivirent ces deux cataclysmes, l’un des moments les plus animés était toujours celui où l’orchestre se lançait dans l’exécution d’un morceau faisant alors fureur : « la bombe atomique ». J’ai expliqué à mes enfants et, aujourd’hui, à mes petits-enfants qui, jamais, n’en croient leurs oreilles, que mes parents et leurs amis se lançaient dans cette danse de manière effrénée. Le clou du spectacle étant le moment où l’orchestre suspendait un moment la musique puis se relançait crescendo et, tandis qu’enflait la voix du chanteur, tous les danseurs s’écriaient : « c’est la bombe A – tomique » en même temps que les cavaliers faisaient sauter leur cavalière le plus haut qu’ils pouvaient, célébrant ainsi, avec une frivolité barbare, l’étalage des ruines d’Hiroshima et Nagasaki et des photographies de morts-vivants japonais sidérés illustrant les pages des magazines.

Et aujourd’hui, soixante trois ans plus tard, nous qui avons tant joué avec la bombe pour en menacer les peuples, nous voilà cavalant en Corée du Nord et en Iran, faisant la leçon à ceux qui veulent la bombe A, tout en feignant d’ignorer qu’à côté du très « sélect » club des puissances nucléaires – USA, Russie, Royaume-Uni, France et Chine – autorisées (par elles-mêmes) à détenir l’arme nucléaire, Israël, le Pakistan, l’Inde et la Corée du Nord s’en sont équipées sans en demander la permission et que la Syrie, l’Égypte, le Nigeria et Taïwan travaillent à la maîtrise de la fabrication de cette très réelle arme de destruction massive.



Articles Par : Jean Saint-Marc

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