Histoire : Crise des euromissiles
CODICILLE au bulletin 300

La décision de l’URSS d’installer des missiles SS20 est le plus souvent présentée comme une tricherie visant à contourner les accords SALT 1
Signés à Moscou le 26 Mai 1972 et entrés en vigueur le 3 Octobre de la même année ces accords entre l’URSS et les Etats-Unis visent à la limitation du nombre des missiles balistiques intercontinentaux c’est-à-dire des missiles installés sur le territoire d’un des deux signataires et visant le territoire de l’autre et à la localisation des missiles anti- balistiques permettant de détruire les précédents avant le terme de leur vol.
Ce traité est le fruit de négociations entamées en 1969 et consacre l’existence d’un duopole nucléaire. Bien que la Chine ait fait exploser sa première bombe A le 16 octobre 1964 et sa première bombe H le 14 Juin 1967, et que la France ait suivi le même calendrier 13 Février 1960 pour la bombe A et le 24 Aout 1968 pour la bombe H ces deux nouveaux venus dans le club nucléaire ne disposent que d’un petit nombre de bombes et de peu de vecteurs pour les transporter. L’émergence de ces deux nouvelles puissances crée cependant des tensions dans chacun des deux camps de la guerre froide. Les Etats-Unis exerceront toutes les pressions possibles sur la France pour qu’elle abandonne cette politique initiée par les derniers gouvernements de la IV° République et concrétisée par le pouvoir gaulliste. De son côté l’URSS essaiera d’éviter que la Chine populaire qu’elle a aidé dans ses débuts ne parvienne à achever seule son programme nucléaire militaire. La crise entre les deux pays et la brouille entre Krouchtchev et Mao trouvera dans cette opposition une de ses causes les plus déterminantes même si elle n’est pas mise en avant.
Le cas de la Grande Bretagne est particulier. Les savants britanniques sont intégrés dans les équipes qui vont préparer dans le Nevada les armes atomiques des Etats-Unis mais en 1946 Truman décide de limiter la collaboration entre les deux pays aux utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire. La Grande Bretagne rapatrie ses équipes et décide de se doter seule de l’arme atomique. Elle y réussit et fait exploser sa première bombe A le 30 Octobre 1952 et sa première bombe H le 15 Mai 1957. Malgré cette prise d’autonomie les gouvernements britanniques ne manifesteront jamais de velléités d’indépendance stratégique semblables à celles de la France
Au moment où commencent les négociations des accords SALT il y a donc 5 puissances nucléaires mais seules deux sont en capacité de mener une guerre nucléaire. Comment expliquer la volonté commune de stabiliser le duopole nucléaire ? Pour les Etats-Unis c’est une nécessité : au moment où s’ouvre la négociation SALT – 1969 – l’URSS partie avec retard dans la course à l’arme nucléaire est arrivée à parité et la position internationale des Etats-Unis est fragile en raison de la guerre du Vietnam qui ne se conclut pas par une victoire malgré l’énormité des engagements matériels de Washington et qui suscite un mouvement mondial contre l’impérialisme étasunien. Les Etats-Unis doivent donc apaiser l’URSS qui se satisfait de la parité et ne demande pas mieux que de faire une pause dans la très onéreuse course au nucléaire. Cet apaisement de la guerre froide va donner du temps aux Etats-Unis pour réorganiser le dispositif de domination impériale qui reste l’objectif stratégique inchangé. Nixon se rend lui-même à Moscou pour signer les accords SALT et les USA ont alors les coudées plus franches pour normaliser leurs relations avec la Chine et réorganiser le camp occidental autour de la Commission Trilatérale.
Le départ de De Gaulle en 1969 va leur faciliter la tâche : dés Mais 68 Pompidou prend ses distances avec la politique gaulliste et sitôt élu Président il se rend à Washington pour réchauffer les relations franco-étasuniennes. Quand après son décès, Giscard d’Estaing lui succède après avoir défait Chaban-Delmas, tout est prêt pour le tournant qui va avoir lieu au sommet de l’OTAN à OTTAWA. Dans le communiqué officiel de fin de sommet une petite phrase entérine le tournant en reconnaissant que la France et le Royaume-Uni « disposent de forces nucléaires en mesure de jouer un rôle dissuasif propre contribuant au renforcement globale de la dissuasion de l’Alliance ». La bouderie gaulliste s’achève, les Etats-Unis qui n’ont pas réussi à empêcher la création de l’arme nucléaire française ont fini par contourner la difficulté : la force de frappe française est intégrée à mots couverts dans le dispositif otano-étasunien même si la France ne réintègre pas alors les structures de commandement intégrées de l’OTAN.
Vu de Moscou ce changement est d’importance car la décision éventuelle d’utiliser les fusées à tête nucléaire que la France a installé depuis 1967 sur le plateau d’Albion et qui sont pointées sur l’URSS ne dépendrait plus d’un seul choix français mais d’un choix commun avec les Etats-Unis et les grandes villes soviétiques ne sont plus qu’à quelques minutes de vol des missiles et des bombes H françaises comme des bombe H britanniques. L’équilibre stratégique des accords SALT 1 qui ne concernait que les missiles balistiques installés sur le sol des Etats-Unis donc beaucoup plus loin de l’URSS est rompu.
La réponse soviétique s’élabore. Elle consiste à mettre au point un nouveau missile de moyenne portée le SS20 qui installé sur le sol de l’URSS à partir de 1977 va rétablir l’équilibre nucléaire sur le sol européen.
Il a été beaucoup écrit que l’URSS en développant et en installant les SS20 avait profité d’une faille dans les accords SALT 1. En fait la déclaration d’OTTAWA a fait de l’Europe un champ de bataille nucléaire potentiel alors que les accords SALT 1 ne concernaient que le face à face nucléaire transocéanique entre l’URSS et les Etats-Unis. A Ottawa en 1974 les Etats-Unis quasiment débarrassés du fardeau vietnamien et forts de l’appoint nucléaire franco-britannique vont pouvoir reprendre leur marche en avant vers la domination militaire mondiale après avoir resserré le camp occidental. Ils piègeront l’URSS en Afghanistan et circonviendront ensuite Gorbatchev.