Homo Deus de Yuval Noah Harari : vision futuriste sur un fond darwiniste

Cet ouvrage : Homo Deus : une brève histoire de demain, de l’historien et futurologue israélien, Harari, constitue une narration interprétative plutôt darwiniste de l’évolution de l’espèce humaine, couplée d’un regard scrutateur dans un futur incertain et périlleux qui attend l’humanité, et assortie de scénarios fort perspicaces.  

Cette description séquentielle révèle que l’espèce humaine qui luttait, au début, contre les fléaux de la famine, de la guerre et de la peste, allait connaitre, après la découverte de l’agriculture, le culte des dieux lequel sera supplanté subséquemment par celui de l’humanisme. Loin de constituer un tout homogène, puisque tiraillé, lui-aussi, par ses diverses variantes antinomiques, cet humanisme va, dans sa gestation, déboucher sur un présumé triomphe du capitalisme libéral assujetti au dogme d’une croissance économique continue, érigée en condition sine qua non pour un non-retour aux âges des ténèbres de l’anarchie, ce qui ne manquera pas d’enclencher une quête débridée d’immortalité et de béatitude que favorisera la technologie. Cependant, celle-ci allait inéluctablement compromettre le culte de l’humanisme en bifurquant vers de nouvelles religions i.e., le techno-humanisme et le dataïsme lesquels vont mettre en péril toutes les valeurs humaines, y compris le principe même d’une volonté libre. 

Dans la première partie, Harari note que l’évolution humaine fut marquée par l’invention de l’agriculture et la domestication des animaux ainsi que par l’apparition de nouvelles croyances en de dieux distants dont la domination prit fin à cause de la Révolution scientifique. Et elles seront supplantées par d’autres religions humanistes très confiantes dans la capacité de l’homme à façonner son propre monde. 

Au bout du compte, l’obsession de réaliser le bonheur et l’immortalité a eu, selon Harari, des conséquences inattendues : explosion démographique favorisée par la production agraire, cloisonnements sociétaux et propagation des épidémies. Plus tard, l’industrialisation serait à l’origine de la pollution et du réchauffement de la planète et la faune et la flore seront évincées par l’expansion de l’espèce humaine. Cette dernière tendrait à remplacer la sélection naturelle par des conceptions intelligentes poussant la vie de l’organique vers l’inorganique.

Bref, dans ce tableau, l’homme remporta beaucoup de victoires sur ses ennemis séculaires susmentionnés. Aujourd’hui on meurt plus de voracité que de faim. Les progrès biotechnologiques ont transformé l’être humain, lui-même, en menace pour son espèce puisqu’ils n’offrent pas aux seules armées régulières l’opportunité de confectionner des armes biologiques d’une létalité inimitable mais aux terroristes aussi. Et si ces progrès ont rendu la guerre obsolète par l’effet de l’équation de la destruction mutuelle assurée (MAD), ils ont en revanche, révolutionné l’économie globale désormais axée sur le savoir et non plus sur les matériaux.  

Dans ces progrès, Harari n’attribue l’avantage qu’ont les humains sur les animaux ni à la spiritualité ni à l’intelligence des premiers mais à leur capacité de coopérer de façon plus flexible avec leurs homologues, à inventer des cultures et des mythes (comme la religion) cumulables et transférables à travers le temps grâce aux narrations collectives. Pourtant, cet auteur ne voit dans les émotions humaines et animales que des algorithmes permettant une prise de décision rapide et complexe et par religion, il entend toute « pensée offrant un système de valeurs fiable», y compris les sciences modernes et les sciences humaines. 

S’agissant des religions théistes, qui ont vu le jour durant la révolution agraire, elles vont être supplantées par d’autres humanismes favorisés par la Révolution Scientifique. Dès les Lumières, une sorte de religion humaniste séculaire s’est alliée à la science pour créer la croissance et explorer les possibilités d’une richesse sans bornes de l’espèce humaine. L’humanisme a encouragé les Hommes à rechercher un sens à leurs vies. La moralité des humains est liée à ce qu’ils ressentent comme droit tant que les autres n’en sont pas affectés. 

Cependant, si la science et le capitalisme ont permis à l’Homme de réaliser la croissance, ils n’ont pas produit des valeurs. Ces dernières furent le don de l’humanisme au capitalisme qui attache une importance à l’individu et à sa valeur lesquelles ont été compromises par la science qui a opéré une séparation entre la conscience et l’intelligence. En effet, les ordinateurs qui sont dépourvus de conscience peuvent éclipser les humains en matière d’intelligence. Aujourd’hui, les algorithmes peuvent déterminer nos propres comportements, mieux que nous-mêmes et, ceci réfute, selon Harari, les idées de l’individualité et de la volonté libre. 

Même si la modernité a été fondée sur l’hypothèse que les individus, en tant que personnes libres et autonomes, sont supposés être maîtres de leur destin, l’humanisme s’achemine progressivement vers deux nouvelles religions : le techno-humanisme et le dataïsme. Dans le premier, seuls les humains améliorés cybernétiquement et génétiquement comptent. Et, dans le second, la primauté revient aux flux de données au lieu des individus. C’est, somme toute, une idéologie qui valorise l’analyse des données et assimile les systèmes politiques, économiques et biologiques à des gisements miniers. Et, loin de focaliser sur la libération de l’individu, le dataïsme n’a d’objectif que celui de rendre l’information libre et disponible. Ne privilégiant plus la vie ou la nature organique y compris les humains, ces nouvelles religions non-humanistiques rangent plutôt les processus vitaux sous la rubrique d’algorithmes et de datas.

  Les rivages inconnus : techno-humanisme et dataïsme 

La montée du techno-humanisme et du dataïsme est d’autant plus clair dans cette externalisation accrue des activités communicatives et mentales aux ordinateurs. 

Les partisans du  techno-humanisme mettent en avant que l’Homo Sapiens est arrivé à son terme et qu’il est temps qu’il soit remplacé par l’homme-dieu un modèle humain de loin supérieur qui doit retenir certains aspects humains essentiels tout en jouissant de capacités physiques et mentales renforcées, lui permettant de rester en première ligne même devant les algorithmes inconscients les plus sophistiqués. Telle est la conséquence du découplage de l’intelligence de la conscience et du développement à un rythme trépident de l’intelligence non consciente d’où l’urgence d’une mise à jour et d’un perfectionnement actifs des humains s’ils souhaitent rester dans le jeu.

A ce propos, Harari reconnaît que manipuler ou restructurer l’esprit humain est une tache extrêmement complexe et dangereuse car, en l’état actuel des progrès scientifiques, ni l’esprit humain et la manière dont il a émergé ni ses fonctions ne sont bien connues. Et même si l’on a appris par tâtonnement comment orchestrer un état mental, nous ne savons pas quels objectifs mentaux nous nous sommes fixés ? Le dilemme du techno-humanisme, dit Harari, réside dans sa focalisation sur la volonté humaine et sa tendance à développer des technologies qui puissent contrôler et façonner notre volonté mais une fois avoir réussi dans ce projet, le techno-humanisme ne saurait quoi en faire. Il est impossible de traiter avec de telles technologies tant que nous croyons que la volonté et l’expérience humaines sont la source suprême de l’autorité et du sens. Ainsi, une techno-religion plus robuste cherche à sectionner totalement le cordon ombilical humaniste et prévoit un monde qui ne tourne pas autour des désirs et des expériences humaines.  

Quant aux tenants de cette quasi-idéologie du dataïsme (concept mis en avant par David Brook comme étant la philosophie du jour) ou l’analyse des données et qui mettent leur foi dans l’information en tant que seule source de valeur (Hermans 2018 : 388), ils prétendent que les humains ont achevé leur mission cosmique et qu’ils doivent maintenant passer la torche à d’autres entités, promettent un futur brillant qui changera notre vie. Ceci avec la possibilité de prévoir les choses jamais vues auparavant allant des niveaux de prix au renseignement militaire grâce à des applications logicielles permettant, par exemple, de prédire les lieux et les moments où des crimes sont plus susceptibles d’être commis ou des vagues d’influenza et des bouchons de circulations peuvent avoir lieu. Bref, grâce à des algorithmes qui ne sont qu’un ensemble de démarches utilisables pour faire un calcul, résoudre un problème ou murir une décision, on va pouvoir mesurer et analyser les informations sur n’importe qui et n’importe quoi pour les besoins d’une la prise de décision. N’écoutez plus vos sentiments mais les algorithmes car ils savent bien ce que vous ressentez disent les dataïstes : « ils dominent le XXIème siècle et si l’homme veut comprendre sa vie et son avenir, il faut qu’il fasse l’effort de comprendre ce que sont ces algorithmes et comment sont-ils connectés avec les émotions.

Cependant, mis à part ces promesses du dataïsme, ces conséquences directes tant sur la vie privée que sur les autres domaines sociétaux, ne sont pas encore connues (applications militaires et de renseignement) ce qui va faire franchir des Rubicon et exiger un devoir de transparence et d’ouverture des données quasiment irréalisable.  

Quelles retombées 

Au-delà du constat d’un développement indépendant des sciences par rapport aux sciences humaines, Harari émet des conjectures d’abord sur leur remise en question du principe selon lequel les humains possèdent des (moi) personnes internes authentiques de base irréductible et immuable, le moi qui a des expériences immédiates souvent des sensations et des désirs différents par rapport au moi narratif qui crée les mémoires et un sens de l’identité continue. Ainsi, les avancées technologiques menacent-elles les valeurs humaines en séparant la conscience de l’intelligence. Et, dépourvus d’esprit, les ordinateurs peuvent dépasser les hommes dans divers domaines et les algorithmes vont anticiper leurs désirs et leurs besoins mieux qu’eux-mêmes, dit-il.

Evidemment, le développement incommensurable des hautes technologiques va les mettre aux prises avec les valeurs durables des démocraties libérales elles-mêmes car la technologie va plus vite que les efforts des juristes. L’intelligence artificielle va compromettre le travail de l’homme (tant dans les administrations et services publics que dans les hôpitaux et les usines) en offrant des substituts robotiques. Bien plus, ce progrès technique terrifiant va accentuer l’intégration entre homme et intelligence artificielle) et rendre les humains dépendants des machines, des ordinateurs et des algorithmes dans tout processus décisionnel, y compris dans les choix sentimentaux. Ainsi, les institutions démocratiques sont-elles vouées à l’obsolescence. 

Plus concrètement, si en termes d’avantages, la technologie va révolutionner la médecine en remplaçant les docteurs réels par d’autres artificiels, ce qui favorisera les malades des pays pauvres, la montée fulgurante de l’intelligence artificielle va renvoyer des millions d’individus au chômage. Les maîtres de ce monde futur seront ceux qui maitriseront les algorithmes et la biotechnologie. Ils deviendraient des dictateurs. Un régime de surveillance totale pourrait voir le jour, traquant toute personne partout où elle va avec des détecteurs biométriques. Dans ce domaine, Israël est le lieu le plus probable au monde où la technologie et la motivation s’allient affirme Harari. Ce monde de super-humains ou cyborgs comportant des parties organiques et d’autres non-organiques et qui ne craignent que les accidents, n’est pas loin.  Les membres bioniques sont déjà au travail par les humains.

Il serait très difficile d’accéder à cette super-élite dont l’identité personnelle est continuellement connectée à des machines super-intelligentes et de vastes réseaux. Une petite caste détentrice du monopole de l’information va marginaliser le reste des humains en tant que classe inférieure. Ce serait un cas clair de « sur-positionnement technologique» et les grandes données augmentent les inégalités et menacent la démocratie (O’Neil  2016 : xi-xii).

En définitive, parallèlement aux pronostics quasi-fictionnels de Harari qui font prédire une victoire sur la mort à l’horizon 2100 ou 2200 considérée comme un problème purement technique, ce penseur, constate au bout du compte, l’incapacité  de la médecine moderne à étendre la durée de notre vie d’une seule année et que son grand exploit s’est limité à nous sauver de la mort prématurée et à nous permettre de jouir pleinement de nos années. De même, cette immortalité promise serait problématique tant pour le changement générationnel que par la pérennisation des dictateurs. Sur cette quête antique du bonheur, prônée auparavant par Epicure qui recommandait de manger et boire modérément et de juguler ses appétits sexuels, Harari observe que le taux de suicide dans les pays développés est plus élevé par rapport à celui prévalant dans les pays sous-développés et que réaliser le bonheur n’est pas une tache moins rude que celle de vaincre la vieillesse et la mort.  Le bonheur, dit-il tient à deux piliers ; l’un psychologique (il dépend des attentes plutôt que des conditions objectives et on n’est pas satisfait parce que la réalité correspond à nos attentes. Ces dernières deviennent de plus en plus illimitées à mesure qu’on réalise des améliorations) ; et l’autre biologique i.e., les attentes et le bonheur qui sont déterminés par la biochimie plutôt que par une situation économique ou sociale. 

En effet, les pronostics techno-humanistes et dataïstes de Harari portent sur des promesses et des périls qui nous guettent dans les décennies à venir comme résultats des développements en matière de médecine régénératrice, de biotechnologie, de nanotechnologie et d’intelligence artificielle et l’accélération de la poursuite biochimique du bonheur va façonner, selon lui, la politique, la société et l’économie et sera plus difficile à contrôler. 

Les fondements darwinistes de Harari :

La référence par Harari au darwinisme et à son outillage conceptuel est, on peut plus, claire et il convient de la dévoiler en dépit de cet engouement général pour lui. Le jargon évolutionniste constitue l’arrière-plan de prédilection pour la réflexion de Harari dont l’originalité porte, malheureusement, les tares de ce darwinisme omniprésent, quoique infondé scientifiquement. De même, les explications mises en avant par lui sur l’évolution de l’homme par rapport à son entourage (civilisation) ne sont pas nouvelles. Plusieurs auteurs l’ont précédé par des paradigmes explicatifs dont il a, volontairement ou involontairement, repris les idées qu’il a étayées dans ce travail. A cet égard, la fameuse équation du penseur algérien Malek Bennabi sur l’origine de la civilisation (civilisation = homme + sol + temps) mérite d’être soulignée et expliquée plus tard. Elle explique à merveille l’évolution de l’humanité (les hommes et non pas les singes) vers le progrès actuel car cette idée de primats qui évoluent en homo sapiens ne tient pas debout. 

Harari qui apprécie et défend les idées de Darwin qui « semblent beaucoup moins monstrueuses que celles d’Einstein ou d’Heisenberg », explique notre intolérance vis-à-vis d’elles par le fait qu’elles nient l’idée de l’âme, tout au moins, dit-il, si par âme on entend quelque chose d’indivisible, d’immuable et de potentiellement éternel. De même qu’il est favorable à l’humanisme évolutif qui « résout » le problème des expériences humaines conflictuelles car il s’enracine dans l’évolutionnisme solide considérant le conflit comme quelque chose à applaudir plutôt que s’en lamenter : c’est la matière première pour la sélection naturelle qui pousse l’évolution vers l’avant ». Il conclut que la théorie de l’évolutionnisme repose sur le principe de la survie du plus apte qui est une idée aussi claire que simple pour ne pas dire banale.

Réfuté par une multitude de travaux, ne reposant pas sur une théorie biologique bien fondée et souffrant d’un vide scientifique et d’une rhétorique tautologique, ce charlatanisme scientifique s’est, toutefois, élevé en dogme immuable et continue à avoir cours. Au lieu de disparaitre, le darwinisme domine l’enseignement et les médias. Son irrédentisme s’explique par le fait qu’il constitue la justification unique du modèle social libéral (Moreel 2017). C’est ce succès du darwinisme social qui a permis celui du darwinisme biologique malgré tous ses défauts » (Pichot 2000 :82). 

Il faut rappeler, ici, quelques éléments qui invalident ce darwinisme. A cette fin, une séparation de la microévolution (conduisant l’unicellulaire à l’ensemble du monde vivant) et de la macroévolution (celle des populations et c’est à l’intérieur d’un genre donné d’animaux ou de végétaux) doit être faite. Cette dernière n’a jamais été une théorie scientifique établie bien qu’elle fut un paradigme permettant de faire entrer la biodiversité dans le cadre de la science empirique. En effet, les cellules ne mutent pas. Bien au contraire, elles se protègent contre la mutation sinon ce sera le cancer et ce qui arrive dans les cellules est contraire aux prétentions des darwinistes. La diversité de la création n’est jamais obtenue par évolution et par transfert mais par séparation et création de variantes. De même, l’idée d’un passage de l’animal à l’homme est absurde tout au plus que le premier ne connaît jamais de symbole et l’implication du hasard dans ce jeu n’est pas crédible car par hasard on entend l’aléatoire et l’absence de loi, ce qui est contraire à la science. Mais le hasard est un élément fondamental dans le darwinisme ; et non pas dans la théorie scientifique qui dissimule une ignorance non avouée. 

Par ailleurs, sous le concept darwiniste central du plus apte c’est-à-dire le tout est en concurrence avec le tout, il faut combattre son semblable avant tout, et à l’intérieur de l’espèce elle-même que se déroule la concurrence où tout devient parricide. L’être doit tuer son ancêtre et ses frères pour devenir un super-être. Darwin, lui-même, ne s’est-il pas demandé gaiment « qu’y a-t-il de plus beau que la mort et la famine puisque ces phénomènes mènent vers l’espèce supérieure (Darwin 1858). 

Usant du jargon paléontologique des Homos (Sapiens et autres), Harari ignore-t-il que ce lignage manque de solidité scientifique. Ce modèle très cher à Harari suppose une évolution linéaire de l’Australopithecus vers l’Homo Habilis (Homme habile) puis l’Homo Erectus et enfin l’Homo Sapiens.  Or cette séquence linéaire est marquée par une augmentation du volume du cerveau, une réduction du volume de la face et des dents et une sophistication grandissante dans la fabrication et l’utilisation des outils (Relethford 2017 : 111-12).  Paradoxalement, même s’il plait à certains de croire que l’Homo Habilis est l’ancêtre de l’Homo Erectus, les deux espèces coexistaient pour au moins une période d’un demi-million d’années.  De plus, les découvertes récentes font état d’une diversité de l’Homo Habilis dans plusieurs régions du monde dont l’Homo Rudolfensis (découvert au Kenya), ce qui a suggéré qu’il s’agit d’une espèce disparue. Homo Habilis et Homo Rudolfensis remontent, tous les deux, à 1.9 million d’années. 

Par ailleurs, des diverses observations l’on conclut que si l’Homo Erectus est plus que l’Homo Habilis ou l’Homo Rudolfensis notre ancêtre, qu’en est-il des autres espèces ? Où doit-on les classer dans l’arbre de la famille ? Cette incohérence est d’autant plus manifeste avec trois espèces des premiers Homos en Afrique datant de la même période. Toutes ces données n’accréditent pas l’idée de l’existence d’un modèle simple où l’Homo Habilis évolua directement vers l’Homo Erectus, car nous voyons à la fois ancêtres et descendants au même moment. Et enfin, qu’en est-il de l’Homo Rudolfensis ? 

La tentative d’élaborer une généalogie de la civilisation rappelle l’œuvre de Malek Bennabi qui l’a modélisée dans sa fameuse équation de la civilisation : Civilisation= Homme +Sol+ Temps… pour s’interroger si la civilisation, dans son ensemble, est le produit de l’Homme, du Sol et du Temps, pourquoi cette synthèse n’intervient pas spontanément là où ces trois facteurs sont réunis ? C’est un étonnement que dissipe notre rapprochement avec l’analyse chimique, et à laquelle, il préconise «…un catalyseur de la civilisation, c’est-à-dire l’élément qui influe sur la combinaison des trois facteurs. Il affirme ensuite que « l’analyse historique indique l’existence de, cette synthèse, laquelle traduit l’idée religieuse qui a toujours accompagné la synthèse de la civilisation au cours de l’histoire (Bennabi, 2005, 49-50). C’est donc l’idée sur la base de laquelle le décollage civilisationnel est amorcé et qui peut être une idéologie ou une idée religieuse mais il reste que plus cette idée est sacrée, plus elle tend à avoir une plus grande capacité mobilisatrice. 

Un débat humanologique nouveau 

Si Harari évoque la mort de Dieu, il n’en a pas démontré empiriquement comment cela aurait eu lieu. Pourtant, des savants plus versés dans les sciences dures continuent de croire en Dieu. De même la réduction de l’univers à une chose dénudée de sens et de finalités ou à de simples équations mathématiques et biochimiques complexes n’est pas justifiée. Et même si cela est vrai, ne faut-il pas s’interroger sur celui qui a créé ce système ?

Le livre de Harari relance le débat sur l’humanologie ou le nouveau champ d’études qui porte sur le devenir des humains après la reprise de leurs fonctions par les machines pensantes et sur celui des machines dans le processus de leur mutuelle intellectualisation et humanisation. C’est à la fois, l’écologie des humains et l’anthropologie des machines et l’étude de la redistribution mutuelle de leurs fonctions (Spariosu 2012 :16).  

Il importe de noter qu’il existe trois attitudes majeures relatives au sens humain de la technologie et aux perspectives technologiques de l’humanité. Le post-humanisme prévoyant que les humains seront dépassés en tant qu’espèces biologiques archaïsées par des machines intelligentes. Ainsi, «dans les années 2100 la portion non-biologique de notre intelligence va dominer et en 2040 elle sera des milliards de fois plus performante» ainsi les humains biologiques seront voués à être substitués en tant que force vitale de la civilisation qui sera alors de plus en plus propulsée et gouvernée par l’intelligence artificielle» (Kurzweil 2005 : 25).  L’anti-technisme, tel que représenté par la pensée occidentale traditionnelle de Rousseau et de Heidegger, nourrit une nostalgie pour le passé et une suspicion pour le futur avec une aversion pour une technologie sans âme et ontologiquement vide. Le techno-humanisme soutient qu’en créant des machines qui, à bien d’égards, dépassent les capacités humaines, notre espèce est en expansion plutôt qu’en régression. C’est une manière d’affirmer les humains à travers leur auto-déni car les grands exploits exigent de grands sacrifices et lorsqu’un artiste crée une œuvre qui devient indépendante de lui, ce n’est plus une défaite mais un triomphe car la créativité est un acte d’auto-don. Le techno-humanisme fournit une manière d’élévation (upholding) des humains en tant qu’espèces à travers la technologie en tant que création artistique du plus haut rang (Epstein 2012). Bref, c’est développer les capacités humaines et dépasser les limitations de l’homme. C’est un nouveau type d’approches critiques qui focalisent sur des objectifs humanistiques à travers la technologie (Lenoir 2007 : 209).

Pour ses détracteurs, le techno-humanisme est un récent pseudo-mouvement scientifique qui prétendument vise à parfaire la nature physique et psychique de l’homme avec l’objectif éternel de réaliser l’immortalité en fusionnant homme et machine et constitue une extension de la dangereuse croyance en la perfectibilité de l’homme (Livingstone 2015). 

Une autre variante du techno-humanisme : le transhumanisme ou la forme active du post-humanisme. Un aspect commun du transhumanisme et du post-humanisme est la vision future de nouvelles espèces intelligentes vers lesquelles l’humanité va évoluer et qui va compléter ou dépasser l’humanité. Il souligne la perspective évolutive, y compris, parfois la création d’espèces animales hautement intelligente par la voie d’un perfectionnement cognitif (provolution biologique biological uplift), mais s’accroche à un futur post-humain comme finalité ultime de l’évolution participative (Ryan 2015).

Enfin, le techno-humanisme soulève des problèmes d’éthique laquelle ne peut être séparée de la technologie. La capacité de façonner des instruments sophistiqués soulève les questions de responsabilité, de propriété et de finalité. Cependant, il est toujours révélateur que la technologie ne peut être située en dehors de l’essence humaine. Le techno-humanisme est à la fois une extension de l’engagement des Lumières en faveur de la raison et de l’artifice et un désir néo-gnostique de transcender l’humain carrément dans le domaine de la pure information (Blake et al. 2014).

Conclusion

Par-delà sa forte dose darwiniste, le livre de Harari reflète une préoccupation relative au sens de la vie et constitue une mise en garde contre les dérives d’une technologie à croissance exponentielle hors du contrôle de l’homme et aux antipodes des valeurs humaines. D’où l’utilité de ses prédictions pour la prise de décision politique aux fins d’éviter les contrecoups de ces évolutions futures. C’est pourquoi il affirme que « nos sens et nos cerveaux sont orientés vers la projection d’un futur immédiat fondé sur notre passé récent. Elles sont bridées par nos idéologies quotidiennes et nos systèmes sociaux qu’il faut dépasser. Il rappelle, à cet égard, Arthur Clark qui affirmait en 1951 que « des innovations, nous avons appris que même dans le court terme, les prophéties les plus osées semblent très conservatrices à en mourir de rire». 

Au demeurant, Harari a raison : « le train du progrès est en train de quitter la station et il sera probablement le dernier. Ceux qui l’ont raté n’auront jamais une autre chance et pour y avoir une place il faut comprendre la technologie du XXIème siècle et plus essentiellement la puissance de la biotechnologie et les algorithmes ». 

Dr. Mahmoud Braham

 

 

Yuval Noah Harari (2017). Homo Deus: A Brief History of Tomorrow McClelland & Stewart, 528 pages

 

 

 

 

 

Dr. Mahmoud Braham : Docteur en Sciences économiques, Magister en Droit de l’Université de Grenoble, Spécialité de Gestion Internationale des Crises de l’ENA de Paris

 

Références bibliographiques:

-Bennabi Malek (2005). Conditions de la renaissance : problème de civilisation. Alger: Editions ANEP;

– Blake Charlie Molloy Claire, Shakespeare Steven (2014). Beyond Human: From Animality to Transhumanism. New York : Bloomsbury.

-Brook David, “The Philosophy of Data”, New York Times, February, 4, 2013; 

– Epstein Mikhail, “Humanologie: The fate of the Human in the Post-human Age” (eds., ). Spariosu Mihai, Rüsen Jôrm (2012). Exploring Humanity-Intellectual Perspective on Humanism. National University of Taiwan: V&R Unipress;

– Herbert David (2014). Becoming God: Transhumanism and the Quest for Cybernetic Immortality. Ontario: Joshua Press; 

-Hermans J.M. Hurbert (2018). Society in the Self: A theory of Identity in Democracy. New York: Oxford University Press;

-Kurzweil Ray (2005). The Singularity is Near: When Humans Transcend Biology. New York: Viking Press;

-Lenoir Timothy “Techno-Humanism: Requiem for the Cyborg” (eds.), Riskin Jessica (2017). Genesis Redux: Essays in the History and Philosophy of Artificial Life. Chicago: University of Chicago Press;

– Livingstone David (2015). Transhumanism: The History of a Dangerous Idea. South Carolina: CreateSpace Independent Publishing Platform;

– O’Neil’s Cathy (2016). Weapons of Math destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy. New York: Crown/Archetype; 

– Ryan Michael (2014) The Digital Mind: An Exploration of Artificial Intelligence. South Carolina: CreateSpace Independent Publishing Platform;  

-Soumitra (2014). Ask, Measure, learn: Using Social Media Analysis to Understand and Influence Customers Behavior. Tokyo: O’Reilly;

-Spengler, Oswald. (1991). The Decline of the West. Oxford University Press;

-Woodley, M.A. & Figueredo, A.J. (2013). Historical Variability in Heritable General Intelligence. Buckingham: University of Buckingham Press;



Articles Par : Dr. Mahmoud Braham

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]