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Honduras : le coup d’État porte le sceau des USA
Par Gilberto Ríos Grillo et Alex Anfruns
Mondialisation.ca, 22 janvier 2018
investigaction.net
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Depuis deux mois, la coalition électorale Alianza de Oposición revendique la victoire de son candidat, Salvador Nasralla, aux élections du 26 novembre dernier. Gilberto Ríos Grillo est le directeur national du parti LIBRE, un des partis qui forment l’Alianza et dont le secrétaire général est Manuel Zelaya, ancien président constitutionnel du Honduras déposé en juillet 2009 suite à un coup d’État. Face à l’annonce de nouvelles mobilisations de la société hondurienne pour manifester contre le gouvernement, Ríos Grillo nous résume l’évolution récente de cette crise sociale et politique qui a déjà fait 34 morts. Il souligne également la dimension internationale de cette crise profonde que traverse ce pays d’Amérique Centrale.

Fin décembre, nous avons entendu les déclarations polémiques de la représentante des USA dans votre pays. Cette dernière légitime la fraude électorale dans votre pays. Comment percevez-vous la situation au niveau international ?

De manière générale, la situation internationale que nous observons est une lutte. Bien que le Honduras soit un petit pays, il est relativement important pour les Etats-Unis. Pour cette raison, dans cette lutte pour l’hégémonie, le Honduras n’a pas voix au chapitre.

Après la perte presque complète de la légitimité des institutions du Honduras, surtout après les évènements du coup d’Etat, la fraude de 2013 et cette nouvelle fraude qui est encore plus évidente que la précédente… il fallait que quelqu’un mette son « tampon » de validation de ces élections, et c’est l’ambassade étasunienne, au travers de sa représentante Mme Fulton, qui s’y est collée.

Il y a une image très claire du moment où elle reconnaît la victoire électorale de Juan Orlando Hernandez, car le président du Tribunal Suprême Electoral, David Matamoros Batson, apparaît à la télévision avec ses mains dans ses poches, derrière l’ambassadrice étasunienne. Un peu comme s’il avouait que c’est elle qui donne la certification ou le feu vert de cette victoire électorale. L’ingérence étasunienne face à la communauté internationale et leur nécessité d’intervenir directement au Honduras est assez évidente.

En quoi consiste la lutte à laquelle vous faites référence ?

Au cours des dix dernières années, il y a eu une forte avancée de la gauche en Amérique Centrale, avec le front sandiniste au Nicaragua, le FMLN au Salvador, et même d’une certaine gauche au Costa Rica… On le perçoit même dans le chaos au Guatemala, où le peuple s’est mobilisé malgré la volonté étasunienne de faire tomber le président du pays.

Au Honduras, si la première force politique du pays venait à être un parti de gauche, cela signifierait une perte de contrôle majeure dans la région pour les USA. Ce qui s’est passé au Honduras doit être remis dans ce contexte ci, ainsi que dans le contexte de la lutte contre le Venezuela et Cuba. Ce sont des pays qui s’inscrivent dans un positionnement clair de libération nationale qui se manifeste au niveau de l’Amérique Latine. Ceci explique que les États-Unis ne puissent se permettre de perdre le moindre territoire, aussi petit soit-il. C’est la raison de la situation actuelle au Honduras.

Marche de l’Alliance de l’Opposition, 13 janvier 2018, Tegucigalpa

Quelle fut l’attitude des observateurs de l’Union Européenne et de l’Organisation des Etats Américains (OEA), présents lors de ces élections ?

Dans un premier temps, suite aux élections, ils ont du reconnaître la victoire de Salvador Nasralla, le candidat d’Alianza, avec une marge supérieure à 5%, puisque la quantité de bulletins ouverts rendait la situation presque irréversible. Ils ont du faire ces déclarations en raison de la présence internationale.

Ensuite, deux jours après, en raison d’une défaillance du système de décompte des votes et face à une tendance qui s’inversait, la OEA et l’UE ont du publier des rapports dans lesquels ils affirmaient que la situation était floue. Même le secrétaire de l’OEA, Luis Almagro, a dit que les élections devaient être refaites en raison du manque de transparence dans les résultats. Ce fut le dernier mot de l’OEA dans ce dossier.

Rappelons que l’OEA doit superviser ou rendre légitimes plus de 18 processus électoraux en 2018 en Amérique Latine. Ils ne pouvaient donc pas débuter cette série par un fiasco, de peur de perdre de leur prestige, déjà plutôt mince. Mais la fraude était tellement évidente que l’OEA ne pouvait pas se permettre d’entourloupe dans ce dossier.

L’UE et l’OEA ont toutes deux une position uniquement déclarative, et n’ont aucun moyen de soutenir le changement au Honduras.

Suite au constat de la non-reconnaissance de la victoire de Salvador Nasralla, il y a eu des tentatives de division de l’Alianza de Oposición. Nasralla, lors d’une visite au siège de l’OEA à Washington, s’est même livré à cette méthode…

Cela nous permet de voir la naïveté politique de Salvador, d’ailleurs il le reconnaît lui-même. C’est un peu comme lorsqu’il y a 7 ans, le président Zelaya s’est rendu à l’ambassade du Brésil deux mois après le coup d’Etat. Il y reçut la visite de Thomas Shannon, représentant du Département d’Etat des USA, et il recevait également des communications directes de Hillary Clinton. Tous deux firent part au président Zelaya de leur plan pour le remettre au pouvoir. Et lui croyait en ce retour.

Dans le cas de Salvador, quand il s’est rendu aux USA après la fraude, il a rendu visite au Département d’État et aux membres du congrès pour leur montrer les preuves de sa victoire électorale. Et bien entendu, ils lui ont dit qu’ils allaient tout mettre en œuvre pour reconnaître sa victoire et qu’ils n’allaient pas soutenir Juan Orlando.

Mais les USA jouent un double jeu. Ils disent une chose et en font une autre. Toujours en fonction de leurs intérêts et bien entendu des personnes qui représentent leurs intérêts dans notre pays. Dans le cas précis qui nous concerne, Juan Orlando est le meilleur représentant des intérêts transnationaux et de la logique néolibérale et de privatisation étasunienne au Honduras. Je crois que cette naïveté vient de son manque de savoir concernant la nature de l’impérialisme.

Lors des fêtes de Noël, l’Alianza a appelé la société hondurienne à résister dans les rues. Depuis l’étranger, on connaît le COPINH. Quel rôle jouent les mouvements sociaux dans les mobilisations de l’Alianza ?

Face au coup d’Etat, tous les mouvements sociaux, les secteurs de la gauche et une section du parti du président Zelaya ont formé le Front National de Résistance Populaire (FNRP). Ensuite, nous avons formé le parti Liberté et Refondation (Libertad y Refundación), qui a participé aux élections de 2013 et les a remportées. Ensuite, également en raison du coup d’Etat, un autre parti est arrivé, celui de Salvador Nasralla, de centre-droite. Avec ces secteurs, ainsi que d’autres partis très marginaux, comme le PINU (social-démocrate, Innovation et Unité), nous avons décidé de nous unir et de former l’Alianza de Oposición.

Dans l’Alianza, nous retrouvions tous les secteurs qui représentent les classes nationales. C’est-à-dire la bourgeoisie, le commerce, les travailleurs, les mouvements sociaux… Personne n’était laissé pour compte.

Concernant le COPINH, ils ont eu leur moment de gloire en tant que mouvement social, avant de rentrer dans une logique d’ONG. Ils soutiennent également la lutte contre la dictature et nous rejoignent, mais ils ne sont pas un secteur mobilisateur important. Surtout depuis l’assassinat de Berta Cáceres. Le COPINH n’est plus aussi enhardi qu’auparavant, tout comme d’autres secteurs proches de leur mouvement.

Les secteurs sociaux importants ici ont toujours été l’enseignement, les travailleurs du secteur public, les étudiants, qui ont eu un rebond important ces deux dernières années. Tous ces gens sont dans l’Alianza et suivent les mêmes orientations en coordination avec l’Alianza de Manuel Zelaya Rosales.

L’ancien président constitutionnel du Honduras, Manuel Zelaya, à la tête d’une manifestation. Tegucigalpa, 13 janvier, 2018.

Désormais, une grève générale a lieu depuis le 20 janvier. Qu’attendez-vous des prochaines mobilisations ?

Moi qui ai été candidat aux élections, je perçois davantage de soutien encore que celui que nous avons reçu pendant les élections. Et cela en gardant à l’esprit que nous avons remporté le processus électoral ! De nombreux secteurs de la population s’ajoutent à la volonté de voir Juan Orlando démis du pouvoir.

La grève nationale à laquelle nous avons appelé du 20 au 27 janvier consiste en une semaine complète de blocage des routes et autoroutes, une grève de la consommation, etc. Nous pensons qu’elle va avoir un impact plus grand que toute autre manifestation par le passé.

Nous voyons que le peuple est disposé à lutter et appelle même à des actions plus radicales, tandis que nous préférons poursuivre notre insurrection pacifique et notre désobéissance civile. Sans avoir recours à aucun moment à des actions violentes, ni y faire appel, ni les induire.

 

Traduit de l’espagnol par Fabrice pour le JNA. Investig’Action

Source : Le Journal de Notre Amérique, février 2018 (à paraître)

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