Huanuni et le métal du diable

Nous avons publié sur ce site un article de Heinz Dieterich en date du 10 octobre, intitulé «Préparatif de coup d’Etat en Bolivie». Dans cet article, un des thèmes qu’abordait, à sa manière l’auteur, était le conflit qui eut lieu à Huanuni (Oruro) entre deux secteurs de mineurs. Afin de mieux circonscrire ces événements, nous publions ci-dessous l’article du correspondant de «Brecha» à La Paz.  (Réd. à l’encontre)

Tout a commencé le jeudi 5 octobre à 3 heures du matin. A cette heure, le secrétaire exécutif de la Centrale ouvrière bolivienne (COB), Pedro Montes, mineur de Huanuni, a reçu à La Paz un appel alarmiste sur son téléphone portable: des groupes des mineurs membres des Coopératives (coopérativistes), un secteur composé de petits et moyens entrepreneurs, s’apprêtaient à donner l’assaut à la mine de Posokoni, qui est propriété de l’Etat. Les mineurs salariés [de cette mine] se retranchèrent à l’entrée des tunnels pour défendre leur instrument de travail, alors que d’autres descendaient à l’intérieur de la mine (d’étain) pour continuer l’extraction.

Montes [à La Paz] sortit et courut au Palais du gouvernement afin de réclamer une aide pour ses camarades. Il demandait au gouvernement l’intervention de la police ou, clairement, la militarisation de la zone afin d’éviter un affrontement. Les «coopérativistes» sont supérieurs en nombre et en capacité de feu. Comme il y a quatre ans dans la zone de Caracoles [zone où des mines ont été envahies par les propriétaires des coopératives], la mort était une menace certaine. Montes voulait que le gouvernement protège la vie des mineurs et, évidemment, ce bien étatisé.

Quelques heures plus tard, lorsque parvint l’annonce des premiers mors à Huanuni, Pedro Montes se souvient qu’au Palais [le Palais du gouvernement] on lui avait refusé, au nom du vice-président Alvaro Garcia Linera, la possibilité d’utiliser la police et les militaires. Dans l’entretien qu’il nous accorda, Montes rappelle: «Comme je l’ai dit, ils nous ont uniquement offert des caisses pour sortir les morts, rien de plus.» Le vendredi 6 et le samedi octobre, alors qu’une paix précaire s’installait dans la communauté des mineurs, la légendaire COB lançait sa nouvelle consigne: «La centrale des travailleurs veut qu’un procès soit instruit contre Evo Morales et contre ses ministres, responsables des événements.».

«Comme une bombe atomique»

C’est ce disait le jeudi 5 octobre un des dirigeants des mineurs salariés. C’est le son qu’aurait provoqué la déflagration du dépôt de dynamite qu’ont fait exploser les «coopérativistes». Ainsi perdirent la vie au moins 10 personnes, parce que, à l’heure actuelle, trois restent toujours portées disparues dans la zone du dépôt. Durant 24 heures, dans cette communauté du sud de la Bolivie, il n’y eut plus d’autre bruit que celui de la dynamite: les «coopérativistes» firent exploser aussi une partie des installations de la Radio nationale de Huanuni, média appartenant aux mineurs. De plus, un compresseur injectant de l’air dans les tunnels fut détruit.

Selon les témoignages recueillis, le 5 octobre à 10h30, arrivèrent à la mine les «coopérativistes» sous le prétexte de réaliser une assemblée générale. Ils commencèrent leur agression. De même armés avec des fusils de fort calibre, les «coopérativistes» tirèrent sur les mineurs salariés. Le vendredi 6 octobre, alors que la police arrivait pour tenter de contrôler la situation, ils installèrent des francs-tireurs sur les collines entourant la communauté.

Le jeudi 5 octobre, prenant conscience du désastre, le porte-parole de la présidence, Alex Contreras, fit des déclarations importantes. On aurait déjà envoyé diverses commissions pour commencer un dialogue entre les secteurs qui s’affrontent et, ce qui est très significatif, il a clairement laissé entendre que, pour le moment, le ministre des Mines, Walter Villarroel, un «coopérativiste», resterait en charge, selon la décision d’Evo Morales. Villarroel tombera le jour suivant, devenant le premier «grand licencié» de ce gouvernement pour être substitué par l’ex-syndicaliste Guillermo Dalence.

Avant d’annoncer ce renvoi, le visage sombre, le président Morales rappela que son gouvernement avait toujours impulsé le dialogue entre les mineurs salariés et les «coopérativistes», mais qu’un des secteurs avait essayé d’en profiter. Il passa par-dessus le fait que se tinrent 16 réunions avec la médiation de l’ex-ministre Villarroel et que la proposition du gouvernement consistait à donner lentement la mine (une des mines d’étain les plus riches du monde – d’autant plus que le prix de l’étain est fortement monté) pour exploitation au secteur coopératif. Ce projet, les syndicalistes miniers le rejetait, le considérant nuisible pour les intérêts de la Bolivie.

Les «coopérativistes» exploitent les mines jusqu’à 200 m sous terre, alors que les mineurs salariés commencent leur travail à cette profondeur. La dernière fois que les négociations échouèrent, le gouvernement bolivien leur proposa de trouver une solution conjointe qui, selon les dires du président, serait avalisée par sa signature.

Depuis quelques semaines, divers leaders des «coopérativistes» ont été dénoncés pour avoir voyagé à Londres et s’être réunis avec l’entourage des ex-présidents Jorge «Tuto» Quiroga et Gonzalo Sanchez de Lozada (tous deux entrepreneurs mineurs). L’objectif de ces réunions était d’acheter un prétendu paquet d’actions de la mine Posokoni qui avait été privatisée en 2002, paquet détenu par la compagnie britannique Grant Thornton, qui s’était occupée de la liquidation de l’entreprise Resources Plc, ex-concessionnaire de la mine.

Comme Grant Thornton ne possédait pas les actions et que les ex-présidents sont responsables de la privatisation des mines et des autres ressources naturelles en Bolivie, il n’est pas toutefois pas clair si le président Morales, dans son discours, faisait référence à cette conspiration ou à la forte rumeur de coup d’Etat qui circulait cette semaine. Ce qui est certain, c’est que la mine de Posokoni a une valeur de quelques milliards de dollars et est convoitée par les «coopérativistes» dudit «secteur minier moyen».

Responsabilités

Selon l’analyste Pablo Regalski, le gouvernement est responsable en partie de ce qui s’est passé. Dans un entretien accordé à Indymedia Sucre, Regalski a critiqué les politiques «anti-ouvrières» du gouvernement et a maintenu que tout ce qui s’est produit à Huanuni est en relation, entre autres, avec la thèse de politique économique développée par vice-président Garcia Linera, thèse appelée «capitalisme andin amazonique» [thèse qui prévoit une longue transition de développement capitaliste et donne un rôle au capitalisme producteur] qui aurait encouragé la position des «coopérativistes».

D’autre part, aussi bien Evo Morales que tous les membres de son gouvernement ont «oublié» de mentionner un détail dans leurs déclarations: alors que son gouvernement a maintenu des relations très tendues avec les mineurs syndicalisés, la Fencomin (Fédération nationale des coopératives de mineurs) a été l’alliée du parti officiel, le MAS (Mouvement pour le socialisme), et qu’elle a financé une partie de la campagne électorale qui a porté au pouvoir Morales. Il en découla que la Fencomin eut la possibilité, en accord avec le président, de désigner, en février passé, son principal dirigeant, Villarroel, comme ministre.

Néanmoins, tout n’est pas clair dans cette nouvelle situation faite de victimes et de conflits. La Chambre des industries et du commerce de Santa Cruz (Cainco), l’organe des entrepreneurs qui soutient les revendications d’autonomie de l’est de la Bolivie, a manifesté un intérêt soudain pour les victimes et les sinistrés de Yuanuni (qui se trouve dans l’ouest bolivien). Les entrepreneurs de Santa Cruz ont envoyé des aliments, de l’argent, des poches de sang dans cette région, alors qu’à d’autres époques ils ont sollicité, y compris, l’intervention militaire contre les paysans et les indigènes, parmi eux les «cocaleros», qui bloquaient les routes et organisaient des marches. Au même titre, les réseaux de télévisions commerciaux ont centré leur attention sur Huanuni, critiquant le gouvernement pour ne pas avoir porté plus d’attention aux mineurs syndicalisés, alors que, en octobre 2003, par exemple, ils critiquaient ceux qui manifestaient contre Sanchez de Lozada qui avait massacré la population de El Alto (ville au-dessus de La Paz). Une radio de La Paz, généralement proche de l’ancien président, a été jusqu’à faire un programme spécial pour rendre hommage aux mineurs. En cela, sans doute, Evo Morales a raison: il existe des secteurs qui travaillent ouvertement contre le gouvernement et qui ne sont pas sans rapport avec les 30 morts des derniers mois. Pour l’heure, ils ne semblent pas disposés à accepter sa position présidentielle, sa responsabilité à la tête du pays.

* Article publié dans l’hebdomadaire Brecha, Montevideo (13.10.06). Traduction à l’encontre.


Articles Par : Luis A. Gomez

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