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Il est factuellement incorrect de prétendre que la Bolivie a un gouvernement par intérim
Par Andrew Korybko
Mondialisation.ca, 20 janvier 2020

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Les personnes qui ont pris le pouvoir après le coup d’État militaire en Bolivie ne constituent pas un « gouvernement par intérim » parce que les changements radicaux de politique qu’ils ont mis en œuvre depuis lors vont bien au-delà de la simple présidence d’État en attendant la tenue de nouvelles élections plus tard cette année, en mai.

La Guerre Hybride contre la Bolivie qui a renversé le Président légitime et démocratiquement réélu Evo Morales lors d’un coup d’État militaire a captivé le monde pendant quelques semaines, mais s’est ensuite effacée des médias après que toutes les grandes puissances en aient accepté l’issue de manière « pragmatique » afin de protéger leurs propres intérêts dans le pays. On a fini par décrire les individus qui ont pris le pouvoir comme faisant partie de ce qu’on appelle un « gouvernement par intérim », mais cette étiquette est inexacte dans les faits parce que les changements radicaux de politique qu’ils ont mis en œuvre depuis lors vont bien au-delà de la simple présidence d’État.

Une évaluation objective de leurs actions révèle qu’elles constituent en réalité les conséquences d’un coup d’État soutenu par les États-Unis qui vise à renverser complètement toutes les réformes qui ont été menées sous le Président Morales. Personne ne devrait s’attendre à ce qu’une des grandes puissances ne fasse trop de bruit à ce sujet, à moins que leurs intérêts ne soient menacés, de peur que cela ne provoque exactement le résultat que leur position « pragmatique » cherche à éviter. Certaines d’entre elles pourraient « faire le jeu de la foule » en faisant en sorte que leurs médias internationaux financés par des fonds publics continuent à publier des articles toujours critiques mais de moins en moins fréquents, mais cela ne change rien.

C’est devenu un hobby – et même une obsession ! — Pour certains, essayer de « lire les feuilles de thé » en essayant d’interpréter ce qu’un État donné pourrait secrètement comploter en se basant sur la couverture de leurs médias internationaux financés par l’État, mais sans aucune politique ouverte à l’appui des critiques qu’ils promeuvent, un cas d’école de gestion de la perception. Voici quelques-uns des plus importants changements de politique entrepris depuis le coup d’État, qui prouvent que la description des forces responsables comme un « gouvernement provisoire » est incorrecte sur le plan des faits :

  • Le Président Morales n’est pas autorisé à se présenter aux prochaines élections

Bien qu’il ait déjà été élu quatre fois avec une majorité convaincante (même si la dernière élection était soi-disant « controversée » parce qu’il n’a dépassé que de justesse 50% du total des voix), le Président Morales n’est pas autorisé à se présenter aux prochaines élections, ce qui prive le peuple bolivien du droit de décider de son avenir politique.

  • Le « gouvernement par intérim » a accusé Evo Morales de « terrorisme » et a émis une notice d’Interpol contre lui

Non seulement le Président Morales n’est pas autorisé à se présenter aux prochaines élections, mais il est même considéré comme un « terroriste » par le « gouvernement par intérim » pour sa passion à rester politiquement actif même en exil, ce qui, selon eux, menace suffisamment leur emprise sur le pouvoir pour demander à Interpol de le capturer.

  • Le parti du Mouvement pour le Socialisme (MAS) pourrait également se voir interdire de se présenter

Le Président Morales symbolise tout un mouvement politique, et c’est pourquoi le « gouvernement par intérim » envisage d’interdire à son Mouvement vers le Socialisme (MAS) de se présenter aux prochaines élections, car ils craignent que la victoire éventuelle du parti n’annule le résultat du coup d’État.

  • Le « gouvernement par intérim » a mis sur pied une escouade « anti-terroriste » soutenue par les Israéliens pour réprimer la dissidence

Ayant été initialement pris au dépourvu par l’opposition massive de la base au coup d’État, le « gouvernement par intérim » a rapidement pris des mesures pour établir une escouade « anti-terroriste » financée par Israël qui suivra probablement les traces des fameux escadrons de la mort célèbres dans l’hémisphère afin de supprimer toute dissidence future.

  • Les liens avec Cuba et le Venezuela ont été coupés et la Bolivie s’est retirée de l’ALBA et de l’UNASAUR

Sur le front de la politique étrangère, le « gouvernement par intérim » a coupé les liens avec Cuba et le Venezuela après les avoir accusés d’organiser des manifestations contre le coup d’État, puis il a annoncé que la Bolivie n’est plus membre des blocs multipolaires de l’ALBA et de l’UNASAUR.

  • La Bolivie a rejoint le Groupe de Lima

Le « gouvernement par intérim » a rejoint le Groupe de Lima, composé d’États régionaux soutenus par les États-Unis qui sont opposés au gouvernement démocratiquement élu et légitime du Président vénézuélien Nicolas Maduro, une étape prévisible après avoir coupé les liens avec le Venezuela.

  • Le premier ambassadeur bolivien aux États-Unis en 11 ans vient d’être nommé

Poursuivant le pivot unipolaire de la Bolivie d’après le coup d’État, le « gouvernement par intérim » vient de nommer le premier ambassadeur de Bolivie aux États-Unis en 11 ans, ce qui prouve que la réorientation de la politique étrangère du pays est résolument pro-américaine et ne fera que s’intensifier si le MAS ne remporte pas les prochaines élections ou se fait voler sa victoire.

  • La Bolivie post-coup d’État rétablit ses relations avec Israël

La décision de rétablir les relations avec Israël a précédé celle, déjà mentionnée, de rechercher son soutien pour la constitution d’une escouade « anti-terroriste » qui servira, comme on pouvait s’y attendre, à réprimer la dissidence, ce qui est logique puisque « l’État juif » autoproclamé a la distinction ignoble d’être l’un des leaders mondiaux dans ce domaine.

  • Une nouvelle ère de privatisation est sur le point de commencer

Chacun des changements de politique mentionnés ci-dessus vise à protéger la nouvelle ère de privatisation que le « gouvernement par intérim » prévoit de mettre en œuvre afin de récompenser avec profit ses bailleurs de fonds étrangers (ainsi que de racheter le silence des autres pays) et de porter un coup fatal aux réformes socialistes du Président Morales.

Comme le montrent indiscutablement les neuf exemples susmentionnés, les changements radicaux de politique entrepris par le « gouvernement par intérim » vont bien au-delà de la simple présidence d’État jusqu’à ce que de nouvelles élections puissent être organisées plus tard cette année, en mai. Il s’agit objectivement des actions de conspirateurs de coup d’État soutenus par des étrangers à qui l’on ordonne de renverser toutes les politiques entreprises par le gouvernement du Président Morales sur les fronts extérieur et intérieur, la « récompense principale » étant la privatisation des entreprises d’État de ce pays riche en minerais. Aucune grande puissance ne veut le reconnaître parce qu’elle espère aussi recevoir une part du gâteau.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais :

It’s Factually Incorrect to Claim that Bolivia Has a So-Called Interim Government, publié le 17 janvier 2020.

Cet article a été publié initialement en anglais par OneWorld.

Traduit par Réseau International

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