« Il n’y aura pas de coup d’État » au Brésil?
Au nom de la démocratie et contre le mensonge médiatique, des milliers de Brésiliens manifestent

Dessin de Latuff : Le crayon vs contre l’impeachment
Il existe de grands intérêts politiques et économiques qui cherchent à déstabiliser et provoquer tous les dommages possibles pour délégitimer certains gouvernements – mais pas d’autres – en tentant de provoquer la fin de l’appui populaire dont ils bénéficient. (Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la Paix, 1980, medelu.org)
Si plusieurs manifestations ont été organisées en faveur de l’impeachment de Dilma Rousseff en mars 2016, beaucoup de Brésiliens accusent l’opposition d’aller à l’encontre de la démocratie, démocratie rétablie d’abord timidement en 1985 avec les « élections indirectes ».
Le coup d’état de 1964 préparée minutieusement par la CIA est considérée la période la plus sombre du Brésil. Des voix s’élèvent désormais pour empêcher un nouveau « coup d’état » . Une procédure de destitution du gouvernement pourrait être amorcée par l’opposition en avril 2016. Caetano Veloso, artiste engagé, compare les manifestations pro-impeachment à la Marche de Jésus en 1964.
La manifestation de dimanche [13 mars], selon moi, n’était pas vraiment différente de la Marche de la Famille avec Dieu qui a appuyé le coup d’état de 64. (« A manifestação de domingo [13 de Março], para mim, não foi suficientemente diferente da passeata da Família com Deus, que apoiou o golpe de 64 ») (opovo.com.br)
« Não vai ter golpe » (« Il n’y aura pas de coup d’État ») est le slogan des mouvements populaires et des Brésiliens qui appuient le gouvernement, les syndicats et le PT (Parti des Travailleurs). Cependant ces manifestations du 30 mars 2016 ne constituent pas nécessairement un appui aux politiques économiques du Brésil.
« Le fondement des manifestations critique également l’ajustement structuel mis en oeuvre par le gouvernement et rejette la possibilité de réformer les pensions de retraite. » (A pauta das manifestações também critica o ajuste fiscal promovido polo governo e repudia a possibilidade de reforma da previdência) (Florianopolis, online.com.br).
Malgré les critiques vis-à-vis des politiques d’austérité sans précédent, ces Brésiliens contre la destitution de la présidente s’inquiètent du post-Dilma soit la Peur d’un gouvernement plus à droite, anti-nationaliste et davantage néolibéral. Curieusement ces manifestations n’ont pas eu autant d’écho médiatique au Brésil alors que les leaders des Médias comme le groupe Globo mettent l’emphase sur la corruption de Dilma Rousseff et de l’ex-président Ignacio Lula da Silva allant jusqu’à créer la rumeur de son exil en Italie.
Ce message pro-impeachment diffuse une image négative de pays latino-américains « de gauche » qui deviennent de « mauvais élèves » des politiques d’austérité imposées par les créanciers sous la loupe du FMI.
Au Brésil on imagine mal un coup d’état militaire comme celui de 1964, mais on pourrait penser à un « coup d’état » pro-étasunien (changement de régime) fomenté par les créanciers qui sont derrière les politiques économiques du FMI et de la Banque Mondiale.
Photo : Manifestation à Rio de Janeiro, 70 000 personnes étaient présents à Largo da Carioca, le 31 mars 2016, Midia Ninha
Manifestation dans le centre historique de Sao Paulo, 31 mars 2016. Photo: Mídia NINJA
Le mégagroupe média Globo, en faveur de l’impeachment a déclaré que « l’impeachment est un moyen institutionnel pour sortir de la crise » . Globo fait ainsi la distorsion des événements. Des journalistes du quotidien O Globo tentaient non seulement de minimiser l’importance de ces manifestations à l’échelle nationale, mais d’utiliser la désinformation lors des premières mégamanifestations contre la destitution de la présidente. » Le Brésil va à la rue contre Dilma et en faveur de Moro* [juge en charge de l’opération « Lava Jato » (article de presse à gauche) et « Les alliés de Dilma et de Lula manifestent dans tous les états [brésiliens] » (titre à droite). * (Bia Barbosa et helena Martins pour Ninja Midia)
Le Brésil tremblait déjà en 2015 alors que les premières manifestations anti-gouvernement Dilma (dont celles de mars 2015) dénonçaient la corruption tout en soulignant timidement les politiques d’austérité. Personne n’était là pour dénoncer la corruption des politiciens et hommes d’affaire brésiliens complices avec les autorités du FMI et / ou des États-Unis.
En mai 2015, la directrice générale du FMI a fait l’éloge de Dilma Rousseff en disant que ses mesures économiques d’ajustement structurel « allaient clairement dans la bonne direction ». Pourtant le Brésil entrait bel et bien dans une récession… Le chômage a explosé en augmentant de 40 % en un an, chute des exportations; le réal a perdu 30 % de sa valeur face au dollar en une année… Le ministre des finances, Nelson Barbosa a annoncé récemment « l’instauration d’un plafond des dépenses publiques, avec des coupes budgétaires de plus de 5 milliards d’euros et des hausses d’impôts. Mais aussi une réforme en profondeur des retraites ». L’ inflation a dépassé la barre des 10%, les déficits publics et la dette augmentent. Une nouvelle classe moyenne avait bénéficié des programmes sociaux du gouvernement Lula (tout en assurant l’équilibre budgétaire, 930 millions de Brésiliens auraient bénéficié de ces programmes) et elle est maintenant touchée par le chômage. Le Brésil est dorénavant le deuxième « mauvais élève » du FMI (le premier étant le Venezuela).
22 mars 2016: Le gouvernement de Dilma annonce des mesures d’austérité, nouvelle coupes budgétaires 6 milliards de dollars supplémentaires, portant le total des réductions de dépenses à près de 13 milliards, PIB a chuté de 3,05 selon le FMI%.
Son objectif est de pouvoir dégager en fin d’année un excédent primaire (hors paiement des intérêts de la dette) pour rassurer les marchés financiers, alors que le pays est désormais classé en catégorie spéculative par les trois grandes agences de notation de la dette.
lefigaro.fr, 23 mars 2016
Même si le gouvernement était désireux et capable d’effectuer l’ajustement budgétaire nécessaire, les retombées politiques de l’affairePetrobras viennent sérieusement entacher la crédibilité du Brésil.(…)
Si le pays entend recouvrer rapidement sa crédibilité, il aura besoin du soutien de la communauté internationale. Le Brésil ne dispose pas d’un équivalent institutionnel de la Banque centrale européenne, qui soit «prêt à tout» pour rétablir un accès au crédit à des taux d’intérêt raisonnables dans le cadre d’un ajustement budgétaire et structurel. Pour le Brésil, l’institution qui s’en rapproche le plus n’est autre que le Fonds monétaire international, auprès duquel il s’agirait pour le pays de négocier un programme d’ajustement.
Source : lavieeco.com
Les accusations contre la présidente se sont révélées une immense machine médiatique (et juridique) antigouvernementale. Les slogans sur la corruption sont si bien orchestrés qu’on pourrait oublier les causes réelles de la plus grave crise économique du Brésil affectant désormais l’ensemble des couches sociales.
Le PMDB (le Parti du Mouvement Démocratique Brésilien, membre important de la coalition du PT depuis 2004) a voté le 30 mars à main levée sa rupture avec le Gouvernement de Dilma. Six ministres ont quitté le gouvernement mais c’est avant tout la perte de la principale force parlementaire avec 69 députés sur 513 et 18 sénateurs sur 81.
«Il n’y a aucune justification à ce coup d’Etat, et nous mobilisons le Brésil. Et la mobilisation est partout, et ils [ PMDB ] sont pris au piège parce que l’histoire n’oubliera jamais ceux qui voulaient le coup d’Etat . »
Qui, des politiciens, sont en faveur de la destitution de Dilma Rousseff ?
Eduardo Cunha (PMDB), lui-même accusé de corruption et blanchiment d’argent ; qu’elle fut examinée par une commission parlementaire dont la plupart des membres ont reçu de l’argent d’entreprises du BTP ;
Michel Temer, qui pourrait être leur prochain chef d’Etat, est suspecté d’avoir bénéficié de financements illégaux lors de la dernière campagne présidentielle, et discute de l’avenir du Brésil avec Aecio Néves, cité, lui aussi, dans l’enquête « Lava Jato ».
(lemonde.fr, 30 mars 2016)
Sous le diktat des créanciers, les Brésiliens veulent sauver ce qui leur reste de la démocratie…
Micheline Ladouceur
Lire la première partie :
“Révolution de couleur” à la brésilienne. Qui a peur de Dilma? publié le 19 mars 2016
*Note
Sergio Moro est le magistraten charge de l’opération « Lava Jato », chargé de faire une enquête sur la corruption.
L’opération « Lava Jato » (« lavage express »), qui a mis au jour le scandale tentaculaire des appels d’offres truqués du groupe pétrolier Petrobras et des géants du BTP, impliquant des hommes d’affaires et des dirigeants politiques, ne cible pas uniquement le PT.
lemonde.fr
Le Tribunal suprême fédéral (STF) annonçait le 31 mars que le juge Moro était « dessaisi jeudi provisoirement du volet de son enquête sur le scandale de corruption Petrobras visant l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva » (Le Devoir, 1er avril 2016).