Immigrants, Gauche et Québec

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Mon choix d’émigration : un Québec social démocrate et un régime à tendance «gauche» 

Quand, dans mon pays d’origine qui se proclamait «populaire et socialiste», s’est imposée la nécessité de l’exil, j’avais le choix entre quatre destinations avec bonnes offres d’emploi. J’ai, avec ma famille, choisi le Québec. On y avait séjourné au milieu des années 1970 et été séduit par le système à médecine pour tous, éducation pour tous, aide juridique pour tous, assurance chômage d’une rare générosité, insertion exemplaire des plus démunis… et aussi le discours politique des ténors du PQ d’alors, fortement teinté de social démocratie, de volonté de justice sociale…. Discours «de gauche», pour moi. Je disais à qui voulait m’entendre «le vrai socialisme, il est ici» ! C’était ce que nous voulions : vivre en un endroit où le discours «de gauche» ne soit pas que discours. Nous n’avons pas quitté notre pays pour fortune et «rêve américain», mais pour fuir gabegie politique et injustices.    

L’Amérique du nord et «la gauche»

Peu de Nord Américains, d’après mes observations, savent que le jour de «la fête du travail» est, partout dans le monde sauf sur leur continent, le 1er Mai. Cette date commémore le jour où, en 1886 à Chicago, la police US a fait feu sur des travailleurs défilant pour la réduction de la journée de travail. Les USA pullulaient, au 19ème siècle, de mouvements «de gauche» : communistes (Marx avait tribune dans un important magazine de New York) anarchistes, socialistes. Beaucoup d’espoirs étaient entretenus pour réaliser au «Nouveau Monde» ce qui peinait en Europe : une société plus juste, sans hyper privilégiés, sans misère et souffrances des masses. C’était compter sans la «nouvelle aristocratie d’argent» américaine et ses ambitions démesurées. Ambitions évidemment contrariées par tout projet d’organisation, idéologiquement armé, de la classe ouvrière. Les tentatives de politiser les mouvements de travailleurs furent étouffées, même par les moyens les plus retors (affaire Sacco et Vanzetti…). Divers États passèrent des lois dépolitisant les associations ouvrières, ou interdisant la syndicalisation : les Free Work States. Ce «muselage politique» des organisations de travailleurs s’achèvera avec le maccartisme, milieu du 20ème.

Il ne restait alors de voie pour ce qui pourrait être appelé «gauche» que… «bourgeoise». Réformisme social coulé dans la logique capitaliste, plutôt qu’idéologie l’interpellant. Tout comme  les syndicats; associations corporatistes s’accommodant de la logique capitaliste. La «lutte ouvrière» se résume à tirer le meilleur parti possible du système tel qu’il est. Que de fois n’ai-je eu des réactions hostiles lors de conférences en milieu syndical québécois, parce que jugé «gauche» ! 

Le terme «gauche», absent du vocabulaire politique spontané, renvoie vite à «extrême gauche», «soviets», «marxisme-léninisme»… Je l’ai encore constaté lors de mes récentes campagnes électorales, auprès de la population en général et… auprès de plusieurs journalistes.  

L’alternance «démocratique» américaine : entre l’argent et… l’argent

Le paysage politique nord américain type, comme les USA, est, schématiquement : Républicains représentant l’argent du sud et de l’ouest, et Démocrates celui du nord et de l’est. Il n’y a aucune articulation idéologique ni expression politique organisées et rattachées aux travailleurs en tant que classe. 

Au Canada et au Québec, nous n’en sommes pas bien éloignés. Les partis qui se relaient sont peu ou prou liés aux milieux des affaires. L’appui déterminant des milieux d’affaires fait que aucun parti, en l’absence de pivots issus des couches populaires, et de modes de scrutins plus «pluralistes», ne peut éviter de les courtiser, s’il veut le pouvoir. Les médias, globalement privés et propriétés de membres de ces mêmes milieux d’affaires, ne sont certainement pas le véhicule idéal pour les idées et idéaux de gauche.

Comment peuvent donc naître et s’enraciner, ici, des idées de gauche ? Sans doute comme cela se passe en Amérique du sud : résultat d’excès de néolibéralisme, devenu repoussoir. À défaut de conjonctures exceptionnelles comme les «30 glorieuses» et l’ère de la décolonisation, qui ont favorisé l’essor du PQ.

Le recul économique global depuis, la mondialisation néolibérale, combinés à l’absence de mouvements travailleurs idéologisés ont contribué à pousser toujours plus vers les idées de droite.

Mais il est un autre obstacle redoutable : l’american dream avec son cortège d’individualisme et de pseudo méritocratie (renforcé par les médias en général) ajouté à l’amalgame «chute des pays de l’est / échec de la gauche / ennemie de la liberté d’entreprendre…».

La gauche grâce à l’entêtement néolibéral ?

Beaucoup d’immigrants, comme moi, ont vécu l’hypocrisie et la malfaisance de régimes se disant socialistes. Beaucoup nourrissent un rejet viscéralement irrationnel de toutes idées qui iraient à l’encontre de l’anerican dream. La «gauche» serait l’interdiction de ce rêve. Combien de personnes, pourtant en précarité, n’ai-je vu sursauter devant le mot «gauche», parce que refusant de faire renaître les monstres politiques qu’ils ont fuis. Tout comme ces immigrants, dont les politiques néolibérales empêchent de fait tout vraie «intégration», les Québécois se rendent peu à peu compte que les promesses de la «mondialisation heureuse» et du néolibéralisme-bon-pour-tous sont chaque jour plus loin d’être au rendez-vous. Licenciements, délocalisations, écarts de revenus abyssaux, hyper concentration de la richesse, corruptions, trafics et mensonges de la part des classes dirigeantes et affairistes… voilà qui commence à agir comme «repoussoir» vers les idées de gauche, même si on ne les nomme pas ainsi.

Le 4 février 2006, lors d’un colloque à HEC Montréal, plusieurs jeunes gens d’affaires du Québec m’ont confié leur sentiment d’être manipulés devant la surcharge de pensée unique qu’on leur faisait entendre. Je suis convaincu que cette relève des entrepreneurs québécois sera bientôt proche d’idées social démocrates (donc plus de gauche); car ils sentent l’urgence de s’attaquer aux principes et aux fondements, plutôt que s’évertuer à tourner en rond autour de remèdes néolibéraux pour se guérir des maux du néolibéralisme. Ils observent des «modèles autres» se confirmer contre vents et marées. Toyota qui ne recourt pas aux mises à pieds massives pour «engraisser» ses hauts dirigeants, et qui surclasse GM; Cascades qui partage ses profits, empêche ses actions de dépasser sa valeur réelle, prend grand soin de ses employés et de l’environnement… tout en tenant la dragée haute aux papetières les plus énormes… Entre cela et les mises à genoux de piliers du «capitalisme à la US» comme GM, Ford, BCE, Hollinger… qui jettent les gens à la rue par dizaines de milliers, même avec des milliards de profits, gavent scandaleusement leurs dirigeants, volent actionnaires et employés; ils voient bien où se situent leurs intérêts bien pensés et de long terme,  condamnés à converger avec ceux de l’emploi, de la société et de la nature. Donc vers des idées de «projet de société» encadrant l’économique… Idées… de gauche !

Omar Aktouf, PhD, est Professeur titulaire au HEC à Montraél et auteur de La Stratégie de l’Autruche, Écosociété.

Mon choix d’émigration : un Québec social démocrate et un régime à tendance «gauche» 



Articles Par : Omar Aktouf

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