Imminence d’un cataclysme géopolitique ?

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La tourmente financière et économique mondiale actuelle aura certainement de graves conséquences dans d’autres domaines. En effet, ses retombées géopolitiques pourraient être bien plus graves que ce qui communément reconnu, et c’est un élément qui ne peut être négligé, ni par les hommes d’État, ni par les analystes.

Certains chercheurs estiment souvent que la politique et l’économie sont en quelque sorte séparées. Cette vision est profondément erronée, car la politique et l’économie sont étroitement liées. En réalité, le pouvoir politique et la prospérité économique se développent mutuellement. De même, les difficultés économiques tendent le plus souvent à amener des problèmes politiques, et l’inverse est aussi vrai.

Par conséquent, il est passablement raisonnable de soutenir que cette crise financière aura un impact majeur sur l’équilibre des forces du système international. Certains pays (dont les grandes puissances) pourraient redéfinir leurs priorités. D’autres pays sont dans une situation si désespérée qu’ils pourraient avoir à réajuster considérablement leurs politiques.

Prenons le cas des États-Unis. Après la fin de la Guerre Froide, les États-Unis avaient l’intention d’établir une ère unipolaire, dans laquelle leur position hégémonique resterait sans rival (le fameux « Project for a New American Century »). Washington a cependant dû faire face à plusieurs mésaventures et défis, comme la montée des autres grandes puissances (Chine et Russie), la prolifération des régimes opposés aux États-Unis (Iran, Venezuela) ainsi que les bourbiers militaires (Irak et Afghanistan). Ainsi, la position des États-Unis pourrait être affaiblie à la suite de la crise financière.

 
À ce stade, on ignore si l’hégémonie du dollar l’emportera et demeurera intacte. Le dollar peut certainement survivre, mais sa position pourrait être gravement ébranlée. Il est extrêmement important de garder cela à l’esprit car l’hégémonie du dollar est l’un des deux piliers de la puissance étasunienne, l’autre étant la force militaire. La position du dollar US en tant que meilleure monnaie de réserve est ce qui a permis à l’économie étasunienne de financer un énorme déficit commercial. L’effet secondaire consiste en l’accumulation de la plus grande dette extérieure du monde, équivalente à presque 99,95% du PIB des États-Unis (!?). Cela veut dire qu’elle ne peut être remboursée. Ainsi, qu’arrivera-t-il si soudain les créanciers des États-Unis décidaient de recouvrer au moins une partie de cette dette ? Si les États-Unis refusaient de payer, comment réagiraient leurs débiteurs ?

De plus, la crise économique et financière pourrait fortement limiter les capacités opérationnelles de l’OTAN au-delà de ses frontières. L’alliance Atlantique envisage à présent de renforcer sa présence militaire en Afghanistan. Elle cherche aussi à avancer plus loin vers l’est, dans l’ancien espace soviétique. Cependant, pareil programme pourrait être entravé par d’autres préoccupations concernant de plus près ses propres pays membres.

Il s’avère que plusieurs pays européens (certains étant dans l’OTAN et dans l’Union Européenne) sont déjà confrontés à des complications sociopolitiques, déclenchées par leurs graves difficultés financières et économiques (manque de crédit, chômage, dépréciation de la monnaie, dette extérieure, croissance négative du PIB). Si leur situation continue à se détériorer, le déploiement éventuel des troupes de l’OTAN sur le territoire de l’un ou de plusieurs de ses membres, n’est pas du tout inconcevable. Le but officiel serait de préserver la stabilité politique. L’objectif non-officiel (et réel) serait d’empêcher la débâcle des gouvernements amis de l’OTAN. L’Islande, la Roumanie, la Hongrie, la Grèce, la Pologne et même l’Italie et la France sont dans une situation particulièrement lugubre. Selon Der Spiegel, la Grande-Bretagne elle-même (le berceau même de la finance moderne) est « au bord de la ruine financière. »

Ce scénario peut être rejeté comme tiré par les cheveux, mais même le secteur financier étasunien est en situation critique. Comme le premier ministre russe Vladimir Putin l’a récemment fait remarquer « … les banques d’investissement, [autrefois] l’orgueil de Wall Street, ont pratiquement cessé d’exister. En à peine douze mois, elles ont enregistré des pertes dépassant leurs profits des 25 dernières années … »

La Fédération de Russie elle-même n’est pas à l’abri. Par exemple, le projet du Kremlin de créer un centre financier international à Moscou ne semble pas très vraisemblable à présent, à cause de la dépréciation du rouble. Malgré cela, le gouvernement russe sait qu’il a une importante capacité de manœuvre grâce à la crise. Son principal atout est sa grande réserve de devises étrangères (la troisième plus grande au monde), qu’il a accumulé durant ces dernières années. De plus, les exportations d’énergie et d’armes russes sont une source de revenu sûre.

Les autres pays de l’ancien bloc soviétique sont dans une situation plus délicate. Par exemple, le Kirghizistan a décidé de fermer la base aérienne de Manas (exploitée par l’US Air Force) en échange de concessions financières et économiques russes, ce qui signifie que Moscou a remporté une victoire géopolitique des plus décisives. Cela fournit une leçon essentielle : les moyens financiers sont très utiles pour mener à bien les objectifs géopolitiques. D’autre part, l’économie de l’Ukraine est quelque peu fragile, ce qui a fait courir la rumeur à Kiev sur le fait que le gouvernement pourrait reconsidérer sa politique étrangère en échange d’une aide financière.

Le fait que la Chine possède les plus grandes réserves de devises étrangères doit être pris en compte. Ainsi Pékin n’est pas entièrement sans protection. Toutefois, à cause de la crise mondiale, les Chinois doivent éviter les conséquences politiques potentiellement déstabilisatrice issues du chômage et du ralentissement économique généralisé. Quelques membres éminents de l’administration Obama ont au moins l’intention de diminuer le déficit commercial étasunien en faisant pression sur Pékin pour la réévaluation du yuan chinois, mais, de toute évidence, la Chine rechigne à restreindre artificiellement ses exportations. Ce désaccord ne doit pas être sous-estimée car il peut nourrir des tensions dangereuses entre les deux grandes puissances.

Il est encore trop tôt pour prévoir précisément les conséquences de la crise financière mondiale. Il semble néanmoins qu’elle déclenchera quelques réajustements géopolitiques imprévus. Le système financier approche d’un tournant des plus décisifs, remettant ainsi en cause l’équilibre des forces internationales.

 

Article original en anglais : An Impending Geopolitical Earthquake?, le 21 février 2009.

Traduction Pétrus Lombard.

Miguel Alonso Trabanco est auteur indépendant au Mexique, spécialisé en géopolitique et en affaires militaires. Il possède un diplôme en relations internationales du Monterrey Institute of Technology and Higher Studies de Mexico. Son centre d’intérêt concerne la géopolitique contemporaine et historique, l’équilibre des forces dans le monde, l’architecture du système international et l’émergence des nouvelles puissances.  



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