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Impasse au parlement canadien : L’inconduite sexuelle entre élus est-elle sans remède?
Par Jean-Claude Leclerc
Mondialisation.ca, 10 novembre 2014
ledevoir.com (Libre de penser)
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Il n’est pas prouvé qu’un vrai terroriste s’en soit pris au Parlement ; par contre, la vague de révélations qui secoue le pays sur les agressions sexuelles laisse peu de doute sur l’ampleur de la violence faite aux femmes. Pourtant, si les autorités ont vite paré aux attentats politiques, elles ne se sont guère empressées de réagir aux violences sexuelles. Depuis, toutefois, on comprend mieux pourquoi les Communes s’en émeuvent. Victimes ou agresseurs, des parlementaires y sont mêlés, et nul ne sait trop comment tirer au clair ce scandale appréhendé.

Ces années-ci, des dépenses de sénateurs avaient ravivé les préoccupations éthiques, mais sauf pour un cas finalement jugé sans fondement, l’inconduite sexuelle n’a jamais touché le Sénat. À la Chambre basse, toutefois, la chose était connue, des élus ont abusé de leur personnel. Nul ne prétend qu’il n’y a pas de harcèlement sur la colline, ou que les plaignantes du NPD n’ont pas dit la vérité. Mais l’inconduite sexuelle entre députés paraît rare. D’où l’absence de procédure d’enquête.

Or, une telle enquête, semble-t-il, pourrait difficilement être instituée par la présidence des Communes, surtout si ces deux femmes députées refusent de porter plainte ou de témoigner même à huis clos. Quant au Bureau de la régie interne (BRI), en plus d’être multipartite, il n’a guère plus de pouvoir en l’espèce, à supposer qu’il échappe aux travers de ce genre de comité. L’impasse donne du Parlement une image d’impuissance fort malencontreuse. On ne saurait donc pas y trouver vérité et justice ?

Comme il fallait s’y attendre, libéraux et néodémocrates semblent se préoccuper davantage de l’élection qui s’en vient que de l’intégrité de la chambre et de la violence endémique faite aux femmes. Le NPD et son chef ont joué la carte de la défense des victimes, comme si rien ne pouvait protéger leurs deux représentantes d’une nouvelle « victimisation ». N’aura-t-on pas de la sorte découragé d’autres femmes violentées d’aller se plaindre à la police ?

D’aucuns s’étonnent que les deux députées du NPD aient rompu le silence à l’interne, mais refusent d’en affronter par la suite les conséquences. Une inconduite sexuelle n’est pas un incident privé ou marginal. Une victime sans moyens peut certes hésiter à porter plainte au criminel. Mais un député appuyé par un parti et des collègues aguerris et bénéficiant de privilèges n’est pas dans une situation désespérée. Il aurait même le devoir de lutter contre une conduite indigne d’un élu.

Craignant la tactique du NPD, Justin Trudeau avait, apprend-on, consulté des collègues plus expérimentés. C’est ainsi qu’il a pris l’initiative de « suspendre » du caucus et du parti les deux députés libéraux visés tout en s’abstenant de mentionner les noms et l’appartenance des deux femmes en question. C’était du même coup refuser à ces libéraux la possibilité de se défendre, ruiner leur carrière, et plonger leur famille dans un drame particulièrement cruel.

La justice est publique, il est vrai, et si les victimes de violence sexuelle peuvent parfois s’en sortir sans plus de dommages, il en va autrement des accusés même si leur innocence est reconnue. Une accusation, voire une perquisition, peut causer un tort immérité, surtout si la personne en cause est une figure connue du public ou que les médias lui donnent une grande visibilité. Tel est, dit-on, le prix à payer pour avoir une justice crédible, impartiale et efficace.

Néanmoins, le problème se complique quand l’inconduite appréhendée survient dans des institutions, surtout quand la police, la justice ou d’autres instances semblent en conflit d’intérêts. Les enquêtes de la police sur la police n’ont pas meilleure réputation que les enquêtes d’une Église sur ses représentants. Au Québec, la surveillance des juristes ou des ingénieurs par leur ordre disciplinaire inspire de moins en moins confiance. Bref, réels ou appréhendés, complaisance ou camouflage minent la crédibilité.

Ce problème n’est pas insoluble. Une affaire grave comme celle des agressions d’orphelins à Terre-Neuve, négligées par les autorités religieuses et civiles locales, a été traitée par le recours à des enquêtes extérieures. Une erreur judiciaire en Atlantique où policiers, procureurs et juges étaient en conflit d’intérêts aura été confiée à des enquêteurs venus d’autres provinces. Des juges à la retraite ont aussi enquêté sur la GRC, la police fédérale, ou sur le SCRS, son pendant du renseignement.

Les Parlements de tradition britannique ont conservé un pouvoir judiciaire qu’ils exercent rarement. Un député est mauvais juge de la conduite d’un collègue, qu’il soit de son parti ou d’un autre. Les élus acquièrent une connaissance des moeurs qui prévalent dans les capitales. Mais ils sont surtout liés par la solidarité partisane et sont dépourvus d’impartialité à l’égard de leurs adversaires. Plus d’un aussi préférera se taire plutôt que de faire éclater un scandale qui risquerait d’éclabousser toute l’institution.

Dans l’affaire des députés libéraux qui en auraient pris large avec leurs collègues néodémocrates, on ne peut trop compter sur le gouvernement conservateur en place pour trouver une issue « maison » au drame politique qui divise et ridiculise les deux principaux partis d’opposition. Quant au Bloc québécois et au Parti vert, à l’approche d’un scrutin où ils risquent eux-mêmes de disparaître, ils ont déjà trop de mal à survivre pour jouer les médiateurs.

Une loi spéciale devrait ouvrir la voie à une enquête indépendante confiée à d’ex-parlementaires ou à des juges à la retraite.

Jean-Claude Leclerc pour Le Devoir

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