Inde – Une économie « sans cash », un sale coup pour les petits producteurs
Les marchés de produits frais soutiennent le système économique et les moyens de subsistance de millions de personnes. Malgré cela, les gouvernements de nombreux pays asiatiques adoptent systématiquement des mesures qui sapent les marchés locaux et ruinent tous ceux dont la vie en dépend. De Hong Kong à Hanoi, les gouvernements interdisent les marchés de produits frais et réduisent les interventions de marché qui permettaient auparavant de contenir les grandes entreprises et la volatilité des prix. Ainsi, en levant les réglementations concernant le prix des matières premières agricoles, le gouvernement indonésien n’a fait qu’éroder la sécurité alimentaire des agriculteurs, des petits commerçants et des consommateurs pauvres.
L’un des exemples récents les plus extrêmes est le processus de démonétisation que l’Inde vient de connaître. Dans un effort insensé visant soi-disant à s’attaquer à la corruption et au marché noir, le Premier ministre indien a retiré de la circulation, d’un jour à l’autre, 86 pour cent de la monnaie du pays et provoqué une énorme détresse dans tout le pays. La décision de transformer l’Inde en une société « sans argent liquide » en remplaçant le liquide par les paiements numériques et les transactions par carte a pris une grande partie de la société rurale par surprise. Dans l’Inde rurale, les infrastructures numériques nécessaires à une telle transition sont quasiment inexistantes.
Cette mesure ne s’attaque pas vraiment à la corruption ni à l’économie parallèle, mais elle frappe de plein fouet les petits producteurs, les paysans et les vendeurs de rue qui n’ont pas accès au système de paiement numérique. L’initiative de démonétisation indienne a causé un effondrement brutal dans tous les secteurs du commerce et des échanges, mais les domaines comme l’agriculture et le vaste marché informel du pays, qui sont fondés sur l’argent liquide, ont été très sévèrement touchés et bien des vies ont été complètement ruinées. Plus de 95 pour cent de toutes les transactions en Inde étaient menées en liquide et 90 pour cent des vendeurs n’avaient pas les moyens d’accepter autre chose que du liquide. De plus, 85 pour cent des travailleurs étaient payés exclusivement en liquide et près de la moitié de la population n’avait même pas de compte en banque (Forbes, janvier 2017).
Dans une lettre au Premier ministre indien, les agriculteurs soulignent que la démonétisation a été utilisée pour intégrer de force les ruraux et les citadins pauvres dans certain régimes techno-financiers tout en garantissant les bénéfices des grandes entreprises qui gèrent ces régimes. Le choix de l’argent numérique détourne les gens des marchés traditionnels vers les supermarchés et donne un coup d’accélérateur au commerce électronique. Deux mois après la démonétisation, les magasins s’empressent de se mettre au paiement numérique et 33 000 magasins autorisent déjà l’utilisation de moyens de paiement numériques. Les transactions par carte de crédit ont augmenté de 9,5 pour cent. Dans le même temps, les ventes dans la rue se sont effondrées car les gens n’ont plus d’argent.
Tandis que le processus de démonétisation se poursuit, il devient davantage une manière de “moderniser” l’économie indienne que de lutter contre le crime. Cette décision, qui ne prend en compte ni l’énorme classe ouvrière indienne, ni les citadins pauvres, ni les petits agriculteurs ou les commerçants du secteur informel, risque de mettre en danger des millions de personnes si rien n’est fait pour garantir suffisamment de trésorerie pour la survie de l’économie de subsistance.
Supermarket watch Asia bulletin, No. 5, février 2017
Éditorial : Une économie « sans cash », un sale coup pour les petits producteurs
Version française : Grain