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Interrogations sur le rôle de la Banque mondiale dans une région minière troublée
Par Emad Mekay
Mondialisation.ca, 03 février 2006
IPS news 3 février 2006
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Le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, qui se fait passer pour le champion de la transparence, fait face à des accusations selon lesquelles son cabinet serait en train de dissimuler un rapport sur un projet minier soutenu par la Banque en Afrique et qui aurait causé le décès de douzaines de personnes.

Des groupes d’observation estiment que la violence a entaché le projet d’exploitation de cuivre et d’argent de Dikulushi, en République démocratique du Congo (RDC), où la branche de la Banque, garante des opérations, la Multilateral Investment Guarantee Agency – Agence de garantie des investissements multilatérales – MIGA), a versé 13,3 millions de dollars d’assurance contre les risques politiques à la compagnie australienne, Anvil Mining, qui gère la mine.

Le problème, c’est la réticence de la Banque à rendre publiques les conclusions d’une enquête interne pour savoir si l’institution a fait preuve de diligence dans l’octroie de sa garantie de risque politique à Anvil Mining.

La société ‘Rights and Accountability in Development’, basée en Grande-Bretagne, et la Bank Information Centre, basée à Washington, disent que les appels au conseiller médiateur de la Banque en matière d’agrément pour que le rapport soit mis à la disposition du public sont restés jusqu’ici sans réponse.

Un responsable de la banque contacté par IPS a refusé tout commentaire.

Des sources proches de la Banque indiquent que le cabinet de Wolfowitz ne retenait pas le rapport et pourrait, en fait, le publier  »très prochainement », probablement avec une réponse de la direction de la Banque. Le conseiller médiateur en agrément dit qu’il a soumis le rapport d’enquête final à Wolfowitz en octobre 2005, et que sa publication finale  »attend toujours l’autorisation » du président de la Banque mondiale.

Wolfowitz occupe ce poste depuis juin 2005. Il était précédemment le sous-secrétaire à la défense dans l’administration de George W. Bush, où il a joué un rôle clé dans l’offensive américaine en l’Irak.

Des groupes d’observation déplorent qu’Anvil et MIGA aient toutes deux été autorisées à voir les conclusions du rapport, mais pas les populations qui ont été directement affectées par le projet en RDC.

 »Ce sont les victimes du massacre de Kilwa et leurs familles qui ont le droit de connaître le résultat de l’audit interne sans plus tarder », a déclaré ‘Rights and Accountability in Development’, dans une lettre à Wolfowitz.

Les plaintes arrivent à un moment sensible pour la Banque. Wolfowitz déclare qu’une récente restructuration de l’organisation – qui aurait été accueillie avec suspicion et frustration par plusieurs membres du personnel — avait pour but de lutter contre la corruption et d’ouvrir l’institution à un plus grand contrôle du public.

Les groupes qui observent l’industrie minière en RDC rétorquent que la conduite du cabinet du président de la Banque mondiale soulève des questions relatives à la sincérité de telles affirmations.

 »Bloquer la publication du rapport donne seulement l’impression que le groupe de la Banque a quelque chose à cacher », a déclaré Nikki Reisch, directeur du programme Afrique à la Bank Information Centre.

 »Les rapports du CAO sont régulièrement dévoilés au public, par conséquent, il paraît étrange qu’un audit d’un projet aussi important et aussi controversé soit gardé secret ».

Les conclusions de l’audit pourraient donner des indications sur la nécessité de s’attaquer aux questions de droits de l’Homme et de gouvernance avant que la Banque n’appuie un engagement supplémentaire du secteur privé dans l’exploitation minière en RDC, affirme le groupe.

 »En raison de l’insistance du président sur les questions de transparence et de responsabilité à l’intérieur de la Banque, on penserait que M. Wolfowitz aurait hâte de publier le rapport », a déclaré Reisch.

La Banque mondiale est la plus grand agence publique pourvoyeuse de prêts pour le développement, apportant quelque 20 milliards de dollars pour des centaines de projets dans les pays en développement chaque année. Elle a également une influence énorme sur plusieurs économies à travers le monde et donne souvent le ton à l’implication du secteur privé dans les nations en développement.

La controverse autour du projet d’exploitation minière est née en octobre 2004 lorsque l’armée congolaise a maté un soulèvement de faible ampleur des combattants miliciens Mai-Mai dans la ville voisine de Kilwa, tuant, à ce qu’on dit, jusqu’à 100 personnes. Les mesures de répression étaient arrivées un mois après que la MIGA ait approuvé l’assurance.

Craignant que l’instabilité ne menace son opération et ses exportations de la mine, la compagnie Anvil aurait fourni un appui logistique à l’armée congolaise, y compris le transport aérien et terrestre.

Kilwa est le point d’exportation des minerais de cuivre et d’argent de Dikulushi vers la Zambie voisine.

Au début de janvier, la société a rapporté que la mine de cuivre et d’argent de Dikulushi avait enregistré pour le dernier trimestre de 2005, une production estimée à 6.085 tonnes de cuivre et 587.882 d’onces d’argent.

Dans un rapport d’enquête, la Australian Broadcasting Corporation (ABC) a révélé que des camions d’Anvil étaient utilisés pour transporter des troupes pour mater le soulèvement, et ensuite pour transporter les corps des victimes d’exécutions sommaires. Une enquête de l’ONU a corroboré ces allégations.

Anvil dit qu’elle ne sait pas avec certitude si son équipement a été utilisé dans la répression, mais dément avoir pris part aux violations des droits de l’Homme.

Si convaincue d’avoir violé le règlement de la Banque à cause de l’effusion de sang associée à la répression, la MIGA pourrait avoir à retirer sa garantie de risque politique au projet de Dikulushi.

En 2001, après une interruption de 10 ans, la Banque mondiale, dont le siège est à Washington, a repris les prêts à la RDC. Elle a depuis engagé près de deux milliards de dollars US sous forme de prêts et de subventions. Une amélioration récente de la stabilité politique avait ramené plusieurs mineurs dans le pays où se trouvent quelques-unes des plus riches mines de cuivre et d’argent au monde.

Des groupes d’observation luttant pour la responsabilité des entreprises soulignent qu’il se peut que la Banque soit revenue trop vite et sans avoir étudié suffisamment si le retour des mineurs pourrait ou non alimenter à nouveau la violence et l’instabilité.

Ils protestent contre l’allégation selon laquelle les énormes ressources minières de la RDC auraient déclenché un conflit dans le pays depuis la fin des années 1990 et font remarquer qu’alors que les combats ont baissé depuis 2001, il y a eu récemment un regain de violence dans la Province du Katanga, où est située la mine de Dikulushi.

En 2002, un rapport de l’ONU a révélé que des réseaux compliqués d’hommes politiques, de militaires et d’hommes d’affaires de haut niveau étaient en train de fomenter intentionnellement la violence afin de maintenir leur contrôle sur les ressources naturelles de la RDC.

Des activistes disent que ceci était suffisant pour empêcher la Banque mondiale de faire des prêts à des projets d’exploitation minière si elle était sincère dans sa lutte contre la corruption, en particulier dans des pays en proie à des conflits comme la RDC. (FIN/2006)

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