Irak : les buts de guerre US

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Il serait naïf de croire que les Etats-Unis d’Amérique vont réviser fondamentalement leur doctrine en Irak. Les leçons des neuf mois de l’après-guerre sont en train d’être tirées et mises à profit pour corriger le tir et ajuster la stratégie pour lui permettre une plus grande efficacité. Le pragmatisme américain ne s’embarrasse pas de contradictions, ce qui prime dans cette démarche, c’est d’intégrer en permanence la réalité, d’épouser la configuration du terrain, afin d’éviter ses pièges et ses leurres. C’est ce à quoi on assiste depuis plusieurs semaines. Mais cela suffirait-il aux Américains pour sortir du bourbier dans lequel ils s’enfoncent de jour en jour ? Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude.

Tout indique que les faucons de l’administration Bush restent inflexibles – et intraitables – sur les objectifs stratégiques de cette guerre, lesquels demeurent inchangés. En revanche, ils ont compris tout l’avantage d’un changement de tactique. Cette manière de faire permet non seulement d’ouvrir le jeu en apparence, de réduire la pression extérieure, mais aussi de donner l’illusion aux adversaires de l’opération américaine en Irak d’accéder à une partie de leurs arguments. 

Rien de mieux pour illustrer ce basculement, qui constitue un point tournant, est la capture de Saddam Hussein, annoncé le 14 décembre. Le décryptage du grand show médiatique mondialisé montre que les Etats-Unis d’Amérique est aussi hyperpuissance de la communication et de l’image : trois ou quatre gros plans et une image fixe de Saddam Hussein ont été, pendant plusieurs jours, l’événement qui a tout écrasé sur son passage. Plus rien ne pouvait résister à la dramaturgie hollywoodienne de cette arrestation. J’imagine que chacun de nous s’est frotté plusieurs fois les yeux en regardant sur l’écran de sa télé l’ancien président irakien les cheveux en bataille, les yeux écarquillés, le visage parcheminé : l’image parfaite de l’homme des cavernes. 

Saddam agité comme un trophée de guerre ? On peut trouver le procédé choquant, honteux, inacceptable, mais la tentation était trop forte, pour l’équipe Bush, de ne pas l’utiliser à des fins de politiques intérieures, à quelques mois des élections présidentielles qui vont nous réserver des surprises. Mais attention à l’effet boomerang ! Saddam Hussein va parler et dire des choses, dont les dirigeants passés et actuels ont tout à craindre. Attendons de voir.

Cependant, ne restons pas les yeux rivés sur cette affaire, qui cache des enjeux géopolitiques majeurs. Il s’agit tout simplement de rappeler les buts de cette guerre ? L’Irak n’est que l’alibi dans la tête des néoconservateurs au pouvoir à Washington. Sur l’Orient arabe, leur religion, si je puis dire, est déjà faite : leur nouveau paradigme est en phase d’exécution [1]. Sans vouloir jouer la dramatisation à outrance, force est de constater, cependant, que la situation en Irak s’achemine vers le chaos. Le pays est devenu un laboratoire du terrorisme en tout genre. Les armes passent avec une facilité déconcertante les frontières des pays voisins. Personne ne pourra dire comment vont évoluer les choses. En tout état de cause, ce que l’on peut dire, c’est que la méconnaissance américaine de la complexité de l’Irak – où l’on tente, à l’insu des uns et des autres, de faire séparément un deal secret avec les kurdes, les chiites et autres tribus –, n’augure rien de bon. Ce marchandage confirme toutes les craintes : l’atomisation selon des critères ethnico-religieux de la société irakienne. Cette vision a été longuement exprimée, argumentée et exposée dans les travaux des think tanks néoconservateurs, dont sont issus les hommes de Bush [2]. D’où le projet de remodelage du Moyen-Orient, avec une démocratisation à la clé ! Cette conviction s’est confirmée dans la tête des dirigeants US après les événements le 11 septembre. Pour plus de clarté, on peut la résumer ainsi : si le monde arabe ne change pas, on se charge de le faire à sa place. Voilà tout est dit.

Les difficultés rencontrées en Irak ont beaucoup retardé et compliqué la planification américaine. On sait que, sauf contre-performance électorale en novembre prochain, les Etats-Unis se donnent, au moins, cinq ans (1 + 4) pour réussir [3].

Au-delà de l’Irak, qui constitue la matrice nourricière de la stratégie américaine, des changements commencent à affecter la région. Les signes de craquement de la monarchie saoudienne se multiplient et la zizanie, pour le moment à peine maquée, dans les rangs de la famille royale risque de faire des dégâts considérables. La vie du régime est plus que jamais comptée [4]. Fragilisée, neutralisée, l’Arabie Saoudite sera bientôt hors jeu. 

Tournons le regard maintenant vers la Syrie. Elle est une pièce maîtresse à faire tomber pour desserrer l’étau autour d’Israël, pays au nom duquel les néoconservateurs (Paul Wolfowitz, notamment) ont décidé de procéder à cette redistribution géopolitique régionale. Les pressions sur ce pays sont à l’œuvre depuis plusieurs mois déjà ; elles vont s’accentuer. Ce faisant, les Américains veulent bouter hors du pouvoir les alaouites ou les pousser à accepter leurs conditions : ouvrir le jeu politique et quitter le Liban, afin de porter l’estocade finale au Hezbollah, considéré par Israël comme l’ennemi numéro 1. A Washington, on s’accorde le temps nécessaire pour y parvenir. Pour l’instant, la stabilisation de l’Irak reste la priorité. 

Pendant ce temps, Ariel Sharon guette la moindre opportunité pour imposer son plan de paix, tout en maximisant une série de faits accomplis sur le terrain, notamment avec l’érection du mur de séparation, lequel empiète largement sur les terres palestiniennes.

Les Etats-Unis, architectes du monde arabe ? Cela ne fait guère de doute. Toutes les raisons invoquées pour justifier cette guerre sont épuisées. Saddam Hussein capturé, 44 sur les 55 personnalités figurant sur le jeu cartes sont entre leurs mains. Reste une chose, qui se révèle être un vrai mensonge : l’absence d’armes de destruction massive en Irak. 

La boucle est bouclée. Ce que l’on peut dire au regard du contexte actuel, c’est que les Etats-Unis sont implantés pour de longues années dans l’Orient arabe. Personne ne pourra dire, aujourd’hui, ce qu’il adviendra de cette partie du monde. Ils sont certes militairement les maîtres à bord, mais ils ont sous-estimé – certainement par maladresse et par cette incapacité de se mettre à la place des autres –, la psychologie profonde des peuples de la région. Les conséquences de cette erreur seront, hélas, terribles pour les Américains, et pour les Arabes.  
 

[1] Lire ma chronique « Orient arabe : le nouveau paradigme US », www.leconomiste.com.tn, rubrique chroniques.
[2] Sur les think tanks, consultez le site www.vigirak.com. A paraître aux Editions du Rocher : « Quatrième guerre mondiale : faire mourir et faire croire », de François-Bernard Huyghe.
[3] 1 + 4 : un an de pouvoir à terminer pour Bush et 4 ans pour le nouveau mandat.
[4] Lire à ce propos le livre « La guerre d’après », de Laurent Murawiec, Ed. Albin Michel. Un chercheur français proche des faucons US.



Articles Par : Hichem Ben Yaïche

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