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Iran – Changement de régime par le coronavirus?
Par Andrew Korybko
Mondialisation.ca, 03 mars 2020

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https://www.mondialisation.ca/iran-changement-de-regime-par-le-coronavirus/5642384

Les conséquences de l’épidémie de COVID-19 en Iran vont exacerber la crise économique actuelle de la République Islamique et la rapprocher encore plus que jamais auparavant de l’effondrement politique. L’issue de cette crise est involontairement facilitée par la mauvaise gestion du gouvernement face à cette maladie en raison du discours dans lequel il s’est enfermé pour des raisons « politiquement correctes ». Cela soulève de façon inquiétante la question de savoir si un changement de régime pourrait être imminent si cette situation désastreuse n’est pas bientôt maîtrisée.

L’isolement sans précédent de l’Iran

L’Iran est isolé comme jamais auparavant après que tous ses voisins aient temporairement fermé leurs frontières avec la République Islamique en raison de l’épidémie de COVID-19, qui exacerbe la crise économique actuelle du pays et le rapproche plus que jamais de l’effondrement politique. Le fait que plusieurs responsables politiques aient contracté la maladie, notamment le Vice-Ministre de la Santé qui avait auparavant assuré à tout le monde que le virus était sous contrôle, n’inspire pas non plus confiance. Un ancien ambassadeur iranien, également un ecclésiastique influent, en est même mort, et le Parlement est maintenant suspendu pour le reste de la semaine par mesure de précaution. Le fait même que tant de représentants du gouvernement aient été contaminés a donné lieu à des spéculations selon lesquelles il s’agirait en réalité d’une arme biologique secrètement lancée contre la République Islamique afin d’y effectuer un changement de régime. Si cette issue est certainement possible, il est moins clair si elle serait le résultat d’une « conspiration américano-sioniste » ou simplement de la mauvaise gestion de la réponse du gouvernement à cette maladie.

La crise COVID-19 en République Islamique

On ignore pour l’instant comment autant de responsables politiques ont été infectés, mais il ne serait pas inconcevable qu’eux-mêmes ou leurs proches (qu’il s’agisse de membres de leur famille ou de collègues de travail par exemple) aient pu l’attraper par des personnes ayant séjourné en République Populaire, qu’il s’agisse de Chinois, d’Iraniens ou de ressortissants de pays tiers (comme des hommes d’affaires ou des étudiants). Qoms étant, après tout, un lieu de pèlerinage important, il se peut que des Iraniens infectés s’y soient rendus pour prier pour leur santé et celle de leurs compatriotes, mais qu’ils aient involontairement propagé la maladie à tous ceux qui les entouraient avant de présenter les symptômes qui les auraient autrement convaincus de s’auto-confiner. Quelle que soit la manière dont l’épidémie a fini par se manifester, il ne fait aucun doute qu’elle est devenue extrêmement grave au point d’être l’une des pires au monde actuellement, à tel point que la Russie est devenue le premier pays à restreindre temporairement l’entrée de tous les Iraniens, à l’exception de ceux qui disposent de visas diplomatiques, d’affaires, humanitaires et de transit, comme elle l’a fait précédemment pour les Chinois. En outre, le Président Poutine a promis une aide à la République Islamique afin de l’aider à contenir cette crise, confirmant sans aucun doute que la situation y est très sérieuse.

Piégé dans son discours

Il est toutefois surprenant que le gouvernement iranien ne considère pas officiellement qu’il s’agit d’une crise, et qu’il ne puisse pas le faire sans risquer d’infliger un coup à sa « légitimité politique ». L’Ayatollah avait auparavant attribué à la « propagande négative » sur le virus le taux de participation le plus faible du pays depuis la Révolution Islamique de 1979 lors des élections parlementaires du mois dernier. Reconnaître qu’il y a effectivement un problème confirmerait donc que cette « propagande négative » était correcte depuis le début. Même si l’on avance que la situation n’est devenue aussi désastreuse que récemment, la question se pose de savoir si le gouvernement a ou non fait du virus un bouc émissaire afin de dissimuler le boycott des électeurs en raison de leur désaccord avec les disqualifications controversées de nombreux candidats « réformistes » (« modérés ») à l’approche des élections. Quoi qu’il en soit, l’Iran s’est enfermé dans un discours pour des raisons « politiquement correctes » et est donc incapable de faire face à cette contagion de manière adéquate sans nuire aux intérêts de ses dirigeants.

Les calculs politiques derrière la « dissimulation »

Si l’Iran a jusqu’à présent minimisé la portée et l’ampleur de cette crise sanitaire croissante, c’est en partie parce qu’il craignait l’issue qui lui a déjà été imposée, à savoir la fermeture par ses voisins de toutes leurs frontières avec lui et donc l’aggravation de la crise économique actuelle. L’économie iranienne n’a jamais été aussi faible en raison des sanctions unilatérales des États-Unis et des menaces d’imposer des sanctions « secondaires » à tous ceux qui refusent de se conformer à leurs exigences, d’où la raison pour laquelle l’Inde, jusqu’à présent l’un des plus grands partenaires énergétiques de l’Iran, s’est conformée consciencieusement à son nouvel allié militaire et stratégique et a privé la République Islamique de milliards de dollars de revenus dont elle avait tant besoin depuis l’année dernière. L’élite au pouvoir a aussi exprimé la crainte que tout ce qui pourrait être (à tort) interprété comme « provoquant la panique » n’aggrave la crise économique par des « achats panique » qui laisseraient les rayons des supermarchés vides, susciteraient des protestations et présenteraient globalement le pays comme étant au bord de l’effondrement politique encore plus qu’il ne l’est déjà.

Le point de non-retour a-t-il été dépassé ?

Il devient de plus en plus évident qu’une action drastique est nécessaire pour que le pays survive à ces crises interconnectées. La crise sanitaire aggrave la crise économique, qui à son tour affecte la crise politique, d’autant plus que certains responsables politiques ont déjà contracté la maladie, créant ainsi une sorte de crise circulaire qui semble dangereusement s’auto-entretenir. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les autorités se sont enfermées dans un discours pour des raisons « politiquement correctes » et ne sont donc pas en mesure de répondre de manière adéquate à la composante sanitaire de cette crise. Rien ne peut être fait dans un avenir prévisible en ce qui concerne la dimension économique, puisqu’elle n’est pas entre les mains de l’Iran, mais améliorer les paramètres sanitaires en contenant plus efficacement le virus après l’avoir finalement pris aussi au sérieux qu’il aurait dû l’être au départ pourrait éventuellement aider. Tant que les crises sanitaire et économique continueront de s’aggraver, il est presque inévitable qu’une autre crise politique éclate en masse, en particulier si davantage de responsables politiques sont victimes de ce virus, augmentant ainsi le risque d’un éventuel changement de régime par le coronavirus, et non par une quelconque « conspiration ».

Andrew Korybko

 

 

Article original en anglais :

Iran: Regime Change by Coronavirus?

L’article en anglais a été publié initialement par OneWorld.

Texte traduit par Réseau International

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