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Israël et le mépris du droit international
Par Maître Gilles Devers
Mondialisation.ca, 14 février 2010
Le blog de Gilles Devers 14 février 2010
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https://www.mondialisation.ca/isra-l-et-le-m-pris-du-droit-international/17603

Soudaine agitation médiatique autour de l’armée d’Israël qui aurait commencé à exécuter un arrêt de la Haute Cour de Justice de septembre 2007 demandant de modifier le tracé d’un segment du mur érigé en Cisjordanie, près du village de Bilin. « Nous avons proposé un nouveau tracé de la barrière approuvé par la Cour suprême. Les travaux sont en cours », a déclaré à l’AFP le porte-parole du ministère de la Défense, Shlomo Dror. Le nouveau tracé permettra à des hanitants de Bilin de récupérer une partie de leurs terres confisquées par la construction de la barrière. Tant mieux pour ceux qui vont retrouver une parcelle de ce qui leur appartient. L’eau, spoliée par Israël, suivra-t-elle ? Nous verrons.

Ce qui est sûr, c’est que décrire ce fait comme une victoire du droit est mépriser le droit. Parce que de ce point de vue, tout est bien clair : ce n’est pas telle ou telle portion du mur qui est illégale, mais le mur dans son ensemble. Et çà, c’est la plus haute juridiction du la planète qui l’a déclaré, la Cour Internationale de Justice, dans son avis du 9 juillet 2004 : le mur est implanté en dehors des frontières reconnues d’Israël, et il caractérise une politique d’annexion de territoires par la force armée.

1. Données de fait

1.1. Le mur

Quand Le Nouvel Obs s’intéresse au sujet, il parle « barrière de sécurité ». Rappelons donc quelques faits.

Le 14 avril 2002, le conseil des ministres israélien a adopté une décision prévoyant la construction d’ouvrages formant, selon Israël, une « barrière de sécurité » sur 80 kilomètres dans trois secteurs de la Cisjordanie. Les travaux ont été engagés par trois séries de décisions, en juin, aout et décembre 2002, et au final, le 1° octobre 2003, le conseil des ministres a adopté un tracé complet formant une ligne continue qui s’étendant sur une distance de 720 kilomètres le long de la Cisjordanie.

La « barrière de sécurité » qu’a repérée Le Nouvel Obs comprend :

– une clôture équipée de détecteurs électroniques ;

– un fossé, pouvant atteindre 4 mètres de profondeur ;

– une route de patrouille asphaltée à deux voies ;

– une route de dépistage, en sable fin, pour repérer toute trace de passage ;

– six boudins de barbelés empilés qui marquent le périmètre des installations.

L’ouvrage a une largeur de 50 à 70 mètres, mais peut atteindre 100 mètres à certains endroits. Des barrières dites «avancées» peuvent s’ajouter à ce dispositif.

La longueur prévue du mur est de 703 kilomètres. On estime qu’à la fin des travaux, quelque 60 500 Palestiniens de Cisjordanie de 42 villages et agglomérations vivront dans la zone d’accès réglementé entre le mur et la Ligne verte. Plus de 500 000 Palestiniens vivent à un kilomètre maximum du mur, du côté est, et doivent le traverser pour aller aux champs ou au travail et rester en relation avec leur famille. Le mur se trouve à 80 % en territoire palestinien et, pour englober le bloc de colonies d’Ariel, il s’avance sur 22 kilomètres en Cisjordanie. Dans la zone d’accès réglementé se trouve une bonne partie des ressources en eau les plus précieuses de Cisjordanie (Rapport John Dugard, A/HRC/4/17, 29 janvier 2007, par. 24 et 25).

1.2. Mise en place d’un régime administratif nouveau

La construction du mur s’est accompagnée de la mise sur pied d’un régime administratif nouveau.

Les forces de défense israéliennes ont en effet édicté en octobre 2003 des ordonnances établissant comme «zone fermée» la partie de la Cisjordanie qui se trouve entre la Ligne verte et le mur. Les résidents de cette zone ne peuvent désormais y demeurer et les non-résidents, y accéder, que s’ils sont porteurs d’un permis ou d’une carte d’identité délivrés par les autorités israéliennes. Selon le rapport du Secrétaire général, la plupart des résidents ont reçu des permis pour une durée limitée. Les citoyens israéliens, les résidents permanents en Israël et les personnes admises à immigrer en Israël en vertu de la loi du retour peuvent demeurer dans la zone fermée, s’y déplacer librement et en sortir sans avoir besoin de permis. L’entrée et la sortie de la zone fermée ne peuvent être opérées que par des portes d’accès qui sont ouvertes peu fréquemment et pour de courtes durées (CIJ, par. 85).

La construction du mur a entraîné la destruction ou la réquisition de propriétés dans des conditions contraires aux prescriptions des articles 46 et 52 du règlement de La Haye de 1907 et de l’article 53 de la quatrième convention de Genève (CIJ, par. 130).

1.3. Conséquences économiques et sociales

Cette construction, la création d’une zone fermée entre la Ligne verte et le mur, et la constitution d’enclaves ont par ailleurs apporté des restrictions importantes à la liberté de circulation des habitants du territoire palestinien occupé, à l’exception des ressortissants israéliens et assimilés » ( Rapport John Dugard, E/CN.4/2004/6, 8 septembre 2003, par. 9).

II en est aussi résulté de sérieuses répercussions pour la production agricole, comme cela est attesté par plusieurs sources. Le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967 indique pour sa part que « La plupart des terres palestiniennes se trouvant du côté israélien du mur sont des terres agricoles fertiles et on y trouve certains des puits les plus importants de la région. (…). Les Palestiniens qui habitent entre le mur et la Ligne verte ne pourront plus accéder à leurs terres ni à leur lieu de travail, aux écoles, aux hôpitaux et autres services sociaux (Rapport John Dugard E/CN.4/2004/6, 8 septembre 2003, par. 9).

Le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, il constate que « la construction du mur coupe les Palestiniens de leurs terres agricoles, de leurs puits et de leurs moyens de subsistance (Rapport Ziegler, E/CN.4/2004/10/Add.2, 31 octobre 2003, par. 49).

Une enquête du Programme alimentaire mondial précise que cette situation a aggravé l’insécurité alimentaire dans la région, qui compterait 25 000 nouveaux bénéficiaires d’aide alimentaire : « Il en résulte en outre, pour les populations concernées, des difficultés croissantes d’accès aux services de santé, ainsi qu’aux établissements scolaires et à l’approvisionnement primaire en eau, constat également corroboré par diverses sources d’information. Selon le Bureau central de statistique palestinien, la barrière a, à ce jour, coupé 30 localités des services de santé, 22 des établissements scolaires, 8 des sources primaires d’eau et 3 du réseau électrique (CIJ, par 133).

Concernant plus particulièrement l’accès aux ressources en eau, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de la Commission des droits de l’homme relève que « en construisant la clôture, Israël annexera aussi de fait la plus grande partie de la nappe phréatique occidentale, qui fournit 51 %, des ressources en eau de la Cisjordanie (Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, E/CN.4/2004/10/Add.2, 31 octobre 2003, par. 51).

A Qalqiliya, selon des rapports fournis aux Nations Unies, environ 600 négoces ou entreprises ont dû fermer leurs portes et 6000 à 8000 personnes ont déjà quitté la région. Le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de la Commission des droits de l’homme a relevé que « le mur coupant les communautés de leurs terres et de leur eau sans leur donner d’autres moyens de subsistance, nombreux sont les Palestiniens habitant dans ces régions qui seront obligés de partir (E/CN.4/2004/6, 8 septembre 2003, par. 10 ; E/CN.4/2004/10/Add.2, 31 octobre 2003, par. 51).

2. Analyse juridique

2.1. Illégalité de principe du fit de la volonté d’annexion

C’est dans ces conditions que la Cour Internationale de Justice retient une illégalité de principe, car il concrétise une annexion de territoires et son emplacement ne peut être justifié par des raisons de sécurité.

Au total, de l’avis de la Cour, la construction du mur et le régime qui lui est associé entravent la liberté de circulation des habitants du territoire palestinien occupé, à l’exception des ressortissants israéliens et assimilés, telle que garantie par le paragraphe 1 de l’article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils entravent également l’exercice par les intéressés des droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant tels que proclamés par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Enfin, la construction du mur et le régime qui lui est associé, en contribuant aux changements démographiques auxquels il est fait référence aux paragraphes 122 et 133 ci-dessus, sont contraires au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève et aux résolutions du Conseil de sécurité rapportées au paragraphe 120 ci-dessus (CIJ, par 134).

Le mur n’est pas construit pour des raisons de sécurité, mais pour l’annexion des territoires occupés. La Haute Cour de justice israélienne a pris acte elle-même de la réalité du motif.

Pour la CIJ, il s’agit de modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé : « Puisque la construction du mur et le régime qui lui est associé ont déjà obligé un nombre significatif de Palestiniens à quitter certaines zones – processus qui se poursuivra avec l’édification de nouveaux tronçons du mur , cette construction, combinée a l’établissement des colonies de peuplement mentionné au paragraphe 120 ci-dessus, tend à modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé (CIJ, par. 133).

La Cour a conclu que la construction du mur est un acte non conforme à diverses obligations juridiques internationales incombant à Israël. La tracé du mur établit la volonté d’annexion.

Au total, la Cour, au vu du dossier, n’est pas convaincue que la poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait l’adoption du tracé choisi pour le mur. Le mur tel que tracé et le régime qui lui est associé portent atteinte de manière grave à de nombreux droits des Palestiniens habitant dans le territoire occupé par Israël sans que les atteintes résultant de ce tracé puissent être justifiées par des impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public. La construction d’un tel mur constitue dès lors une violation par Israël de diverses obligations qui lui incombent en vertu des instruments applicables de droit international humanitaire et des droits de l’homme (CIJ, par 137).

Nul ne peut plus démentir sérieusement qu’Israël, en construisant le mur, cherche à s’approprier les terrains bordant les colonies de Cisjordanie et à inclure ces colonies à l’intérieur de ses frontières : le fait que 76 % des colons de Cisjordanie sont protégés par le mur suffit à le prouver.


2.2. Rejet de l’exception de légitime défense présentée par l’Etat d’Israël

Selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies : Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales.

Le représentant permanent d’Israël auprès des Nations Unies a fait valoir devant l’Assemblée générale, le 20 octobre 2003, que « la barrière est une mesure tout à fait conforme au droit de légitime défense des Etats … consacré par l’article 51 de la Charte» ; il a ajouté que ces résolutions « ont reconnu clairement le droit des Etats au recours à la force en cas de légitime défense contre les attentats terroristes » et qu’elles reconnaissent par conséquent le droit de recourir à cette fin à des mesures n’impliquant pas l’emploi de la force (AIES-IO/ PV.21, p. 6).

La CIJ a écarté l’argument.

L’article 51 de la Charte reconnaît ainsi l’existence d’un droit naturel de légitime défense en cas d’agression armée par un Etat contre un autre Etat. Toutefois, Israël ne prétend pas que les violences dont il est victime soient imputables à un Etat étranger.

La Cour note par ailleurs qu’Israël exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé et que, comme Israël l’indique lui-même, la menace qu’il invoque pour justifier la construction du mur trouve son origine à l’intérieur de ce territoire, et non en dehors de celui-ci. Cette situation est donc différente de celle envisagée par les résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001) du Conseil de sécurité, et de ce fait Israël ne saurait en tout état de cause invoquer ces résolutions au soutien de sa prétention à exercer un droit de légitime défense (CIJ, par 139).

Analyse simple : Israël a le droit de protéger son territoire, par un mur qui serait installé à l’intérieur de son territoire. Pas sur la terre des Palestiniens. En conséquence, la Cour conclut que l’article 51 de la Charte est sans pertinence au cas particulier.

Conclusion

Les décisions de la Haute Cour de justice sont nulles et non avenues, car elles reposent sur des arguments soutenus devant la Cour internationale de Justice, et qui ont tous été écartés par la Cour. Il s’agit d’une réécriture du droit qui a pour seul objectif de donner une justification à la politique colonialiste du gouvernement israélien. Nous avons ici une décision alibi, rendue en ignorant ce qu’a dit la CIJ, et qui veut nous faire croire qu’Israël est un Etat de droit. Non, c’est seulement un simulacre. Le droit de la Haute Cour de Justice est une perversion du droit, au service d’une violence qui consiste à s’emparer du bien d’autrui par la force.

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