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Israël-Palestine : la « banalisation » du mal… insidieuse, et toujours d’actualités
Par Daniel Vanhove
Mondialisation.ca, 24 novembre 2017

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https://www.mondialisation.ca/israel-palestine-la-banalisation-du-mal-insidieuse-et-toujours-dactualites/5619651

Un récent article publié sur internet et relayé par plusieurs sites dits « alternatifs » m’a fait bondir tant les propos tenus y étaient d’une « insoutenable légèreté » par rapport à la situation épouvantable qu’endurent des millions de Palestiniens depuis des décennies.

L’article d’Israël Shamir parlant des conditions de vie en Palestine mérite de sérieuses nuances tant les affirmations y sont hasardeuses. D’emblée son titre annonce la couleur : « Ça baigne, en Palestine comme en Israël » [1]… ben, voyons ! Et l’auteur d’insister, commençant son papier par : « Sous Netanyahu, Israël et la Palestine prospèrent. Jamais ça n’a mieux marché ». A se demander si de tels propos ne sont pas repris d’une campagne publicitaire pour promouvoir le tourisme et les entrées de devises que ce dernier génère et dont l’économie israélienne a bien besoin du fait de la campagne BDS qui l’affecte… malgré ce qu’en disent certains, la faisant passer pour secondaire, voire inefficace. Si tel était vraiment le cas, pourquoi le gouvernement israélien multiplie-t-il les initiatives pour tenter de convaincre les responsables politiques des pays qui soutiennent son odieuse idéologie (USA et UE entre autres) de punir voire de criminaliser les associations et les citoyens qui relaient cette campagne à la demande des Palestiniens eux-mêmes ?! Après 11 Etats américains ayant promulgué des lois dans ce sens, l’Italie semble prête à emboîter le pas ce qui, à n’en pas douter, servira de tremplin à la France qui s’empressera de suivre. Que ceux qui doutent de la campagne BDS revoient donc leur copie : même sans beaucoup de bruit, elle marche et d’importantes entreprises israéliennes sont d’ailleurs sur le flanc, telle TEVA (laboratoire de médicaments génériques installé dans les colonies) boycottée un peu partout, après la faillite d’AGREXCO (exportateur de fruits et légumes des colonies) il y a quelques années, et le déménagement de SODASTREAM dans le Néguev en lieu et place de la colonie Mishor Adumim (voir : http://www.europalestine.com/spip.php?article11710&lang=fr). Et d’autres sont en très mauvaise santé financière. Les seuls secteurs qui, ces dernières années connaissent une réelle croissance, sont ceux de l’armement, de la sécurité et de la construction… chacun en tirera ses conclusions.

Plus loin, l’article insinue que si les Israéliens avaient la connaissance du train de vie à « l’occidental » des Palestiniens, [grâce à] « … la politique économique raisonnable de Netanyahu…  ils comprendraient d’emblée que le Mur n’est plus nécessaire, parce qu’il n’y a plus guère de différence entre les deux côtés, et ce serait la fin du séparatisme que les juifs s’imposent à eux-mêmes ». Comme souvent, l’auteur renverse la proposition et ce sont les juifs qui supportent la sanction, devenant ainsi les victimes subissant les affres du Mur.

Alors que « la vérité » – que revendique l’auteur – est de dénoncer comme l’a fait la Cour Internationale de Justice de La Haye dès 2004, ce Mur de séparation qui balafre la Palestine historique entraînant d’insurmontables problèmes pour les Palestiniens dans leur quotidien dès l’instant où ils doivent se déplacer pour la moindre démarche – se rendre à l’école, aller chez le médecin ou le dentiste, rendre visite à sa famille, faire des courses, passer une soirée entre amis, atteindre leur champ pour y travailler la terre, etc… – à l’extérieur de leur ville ou village où ils sont véritablement enfermés.

Dans ce papier l’auteur prend plusieurs exemples pour illustrer sa thèse : les touristes se ruent en Terre Sainte ; les hôtels sont pleins tant à Ramallah qu’à Hébron sans parler de Jérusalem objectif ultime de ces assauts ; les nouvelles constructions poussent comme des champignons ; les restos sont bondés ; la vie est chère, … et j’en passe !

Eh oui, comme écrit aussi l’auteur de ce douteux papier, il aurait préféré que « la Palestine soit en flammes et qu’Israël souffre intensément… », cela correspond tellement mieux à ce que les « droits-de-l’hommistes » et leur esprit néocolonial attendent pour donner de la voix… Mais, pas de chance pour lui et ses pairs, les Palestiniens, comme n’importe qui sur cette planète, essaient de vivre à peu près comme tout le monde, ne sont ni en guenilles à exhiber leurs moignons ni à se traîner le ventre à terre pour mendier quelques miettes qui tomberaient par hasard de tables bien fournies. Contrairement à ce que d’aucuns relaient à leur propos, les Palestiniens sont dignes, éduqués, politisés et résistants, tentant de s’adapter le mieux possible à l’étau qui les enserre et les asphyxie lentement mais sûrement, et essaient de rendre leur quotidien ainsi que celui de leurs enfants moins pénible, moins angoissant et si possible, le plus normal qui soit, si tant est que l’on puisse parler de « normalité » quand vos terres et vos biens ont été volés et ce qu’il en reste, saccagé et occupé par une armée omniprésente, des colons ivres de leur impunité et un gouvernement qui pratique une politique d’apartheid selon les dires mêmes de l’ONU.

L’auteur concède qu’il y a bien quelques soucis ici-et-là, mais qu’il minimise à un point dont on se demande si c’est de la provocation, de l’ignorance ou une réelle mauvaise foi… annonçant, et nous y voilà, que « cet Israël prospère peut facilement absorber la Palestine prospère… » ! Sauf que, les Palestiniens ne semblent pas l’entendre de cette oreille et la grande majorité d’entre eux veulent retrouver leur indépendance, leur liberté, leurs terres et leurs biens volés par l’occupant avec à la clé, l’addition qu’il faudra régler pour solde de tous comptes… et en proposant p.ex. à ceux qui voudront rester en Palestine de s’y intégrer, comme c’était le cas avant. Il ne s’agirait donc pas qu’Israël « absorbe » la Palestine mais plutôt l’inverse, revenant en cela à ce qui existait avant l’inéquitable partage de 1947 décidé par l’ONU sans que les Palestiniens aient eu leur avis sur le sujet, puisqu’absents des accords.

L’auteur du billet insiste, répétant que « même sans progrès et dans des conditions d’inégalité (…) la politique économique raisonnable de Netanyahou rend la vie tout à fait supportable. C’est très agaçant de ne pas pouvoir sortir librement de Bethléem pour aller à Ramallah ou à Jaffa en voiture, c’est douloureux de ne pas pouvoir prendre un avion ou atterrir librement sur le seul aéroport du pays, mais du point de vue de l’économie, ça ne va pas si mal. » Si tel est le cas, qu’il aille donc y vivre quelques années, pour voir si vraiment, une telle vie est « supportable » et que « ça ne va pas si mal ». On lui épargnera de faire son expérience à Gaza où croupissent près de deux millions de Palestiniens – ignorés dans son billet – dans ce que j’ai appelé depuis longtemps un camp d’extermination, parce qu’il n’y a pas d’autres mots pour qualifier les conditions infrahumaines dans lesquelles un Etat soi-disant « démocratique » ainsi que ceux qui le soutiennent sans s’y opposer fermement, osent traiter leurs semblables !

Enfin, l’auteur termine sa piteuse plaidoirie en déclarant : « Il est probable que bien des noirs prospéraient même au temps de Jim Crow, et à l’époque de l’apartheid en Afrique du sud » … Et en effet, sur ce point, il a raison. Dans toute guerre existent des citoyens qui vivent bien et dont certains même s’enrichissent… les (règlements de) comptes se font par la suite, quand la situation se normalise. De même manière, de nombreux individus peuvent vivre dans de grandes villes comme Paris, Londres ou Milan sans y voir la détresse rencontrée par une population de plus en plus précarisée, sans y voir les mendiants, ni les sans-abris qui sont pourtant de plus en plus nombreux ! Ces mêmes personnes peuvent aller en Palestine dans un circuit qui leur aura été concocté entre la Basilique de la Nativité à Bethlehem et le Saint Sépulcre à Jérusalem sans être inquiétés le moins du monde. Tout sera fait dans ce sens, pour qu’à leur retour ils puissent dire que dans l’ensemble, « ça ne va pas si mal ».

Pour lui, n’est-il « qu’agaçant » que tant de Palestiniens (dont des enfants) soient arrêtés de façon arbitraire chaque mois par l’autorité occupante ? Rien que pour le mois d’octobre dernier, il y en a eu 483, dont 125 enfants. Ils étaient 431 en septembre. 522 au mois d’août, etc… et sont des milliers à croupir en prison depuis des années, sans motif réellement valable.

« Agaçant » que tant d’habitations palestiniennes soient régulièrement détruites pour y installer par la suite, des familles de colons ?

« Agaçant » la multiplication de ces nouveaux logements pour y abriter une diaspora juive qui n’a rien à voir avec l’Histoire de la Palestine mais qui selon les lois israéliennes peut « rentrer chez elle » ? Quel « chez elle » !?

« Agaçant » tant de confiscations de terres palestiniennes pour raisons « sécuritaires » quand elles finissent par être cédées à de nouveaux colons ?

« Agaçant » tant de détresse traitée par un personnel soignant parfois dépassé par l’ampleur des drames ? Et dans la foulée, « agaçant » le taux de suicide en hausse ?

« Agaçant » tant d’enfants avec tant de troubles psychiques ? « Agaçant » tant de tués, de blessés, d’handicapés à vie ? « Agaçant » tant de femmes faisant des fausses-couches ?

En fin de compte, pourquoi tant de détermination de la part des Palestiniens résistants si « tout le monde il est beau il est gentil » … et que « ça baigne » ?! Et l’énumération pourrait être poursuivie à l’infini…

C’est le mirage de la mondialisation que nous vend l’auteur de cet article où l’économie seule importe au détriment de tout le reste, quelle que soit la brutale réalité qu’elle exerce sur le plus grand nombre.

P.S. adressé à I. Shamir : vous n’êtes pas sans savoir que la Palestine résiste depuis plus de 70 ans à ce qu’il faut bien nommer par son nom : une guerre coloniale. Dès lors, et je le dis calmement : avec cette façon de « banaliser » le mal comme dit Hannah Arendt, un tel papier ne mérite même pas d’être utilisé aux chiottes !

Daniel Vanhove

23.11.17

[1] http://arretsurinfo.ch/ca-baigne-en-palestine-comme-en-israel/

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