Italie: Où l’on continue à laver son linge sale en famille
Samedi dernier, a eu lieu à Rome une manifestation (500.000 personnes selon il manifesto) de soutien à la famille dans sa forme la plus (réactionnairement) traditionnelle, et d’opposition en particulier aux projets de loi (Dico) sur la reconnaissance légale d’autres types de conjugalité. Voici un communiqué de la Société italienne des Historiennes, qui rappelle quelques données fondamentales et statistiques contemporaines sur « la » famille, italienne.
Face à la récente mobilisation sur la famille (samedi 12 mai, manifestation pour le Family Day, à Rome, fortement impulsée par la haute hiérarchie catholique, NDT), qui ignore les enquêtes scientifiques les plus rigoureuses, en tant que Società italiana delle Storiche (Société italienne des Historiennes), nous nous sentons en devoir de rappeler deux points fondamentaux.
1) La famille n’est pas du tout seulement une, universelle et naturelle : dans des sociétés et époques différentes, ont existé des types de famille très différents ; dans l’histoire plus récente de notre pays, c’est à la fois l’institution familiale –caractérisée jusqu’en 1975 par la hiérarchie masculine- et les noyaux et rapports familiaux concrets qui ont changé. Soutenir un modèle positif unique produit des discriminations et suscite un sens d’inadéquation chez des femmes, des hommes et des mineurs qui ne peuvent pas se reconnaître en lui.
2) Les familles ne sont pas toujours et seulement une communauté d’amour et de vie, et le fait de contracter un mariage ne garantit pas une réussite supérieure, même comme parents, aux couples mariés par rapport aux couples de fait.
La violence domestique, faite aussi d’abus psychologiques, en plus des abus physiques, est un phénomène perpétré dans tous les pays, dans toutes les couches sociales, par des personnes normales : chez 10 % seulement des personnes qui commettent des abus, on trouve des troubles psychiques ou une dépendance à des substances (source OMS) ; en Italie, 1 homicide sur 4 a lieu en famille (Eures-Ans, 2005) ; presque 2 millions de femmes ont subi des violences de leur partenaire ou ex-partenaire (ISTAT 2006) ; les abus et maltraitances psychologiques aux dépens de mineurs ont quasiment tous lieu en famille (Telefono Arcobaleno, 2006). L’augmentation des crimes sur les fils et filles et des infanticides concerne précisément de plus en plus les enfants nés à l’intérieur du mariage, et elle est corrélée à de tragiques solitudes familiales (Comitato nazionale di bioetica, 2006). Dans les causes de séparation et divorce, les hostilités de la famille d’origine du conjoint prennent une grande part.
Ignorer ce que nous disent les statistiques officielles et les forces de l’ordre sur la violence domestique (www.carabinieri.it), et ce que l’Eglise sait sur les abus sexuels sur les mineurs (www.vaticanradio.org), produit une connivence objective avec la violence et avec ceux qui nient ou minimisent les faits : à savoir que plus de 90% des victimes ne dénoncent pas par honte, par peur, ou par incapacité. La préoccupation de défendre « la » famille à tout prix – qui a déjà inspiré une loi sur l’inceste qui le définit comme un délit seulement quand il est commis de façon à susciter un scandale public- fait perdurer la vieille mentalité du linge sale qu’on lave en famille, et laisse donc seuls et sans défenses précisément ses composants les plus faibles.
La Società italiana delle Storiche rappelle que quand prévalent l’idéalisation et la défense d’un modèle abstrait de famille, c’est l’attention aux relations effectives, à la dignité des personnes, à leurs besoins et droits, à la complexité des politiques nécessaires qui fait défaut. Des décennies de rhétorique familiste ont produit dans notre pays le plus bas investissement financier de soutien aux familles, et une culture de la génitorialité qui réduit encore à une question privée l’engagement de femmes et d’hommes à bien élever leurs enfants : ce qui sert plutôt ce sont des soutiens à la maternité et à la paternité, des formes de conciliation effective entre famille et travail, un partage des responsabilités éducatives et des soins, une éducation au respect réciproque et à la solidarité afin que les relations familiales puissent vraiment offrir soin, bien-être et amour.
Edition de mardi 15 mai 2007 de il manifesto.
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio