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Jacques-Marie Bourget et Marc Simon racontent le génocide de Sabra et Chatila, oublié des médias
Par Siham Touil
Mondialisation.ca, 01 octobre 2012
alencredemaplume.com
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« A l’époque, personne ne se battait pour éditer ce genre de livres. » Quel éditeur aurait bien voulu mettre sur papier les mots et les images poignantes du génocide des camps de Sabra et Chatila ? Voilà comment Jacques-Marie Bourget débute sa prise de parole à la Librairie Résistances, à Paris. Samedi 22 septembre, avec Marc Simon, il présente l’ouvrage Sabra & Chatila, au cœur du massacre. Depuis 1982, une année de malheur pour les Palestiniens, beaucoup de sang et très peu d’encre ont coulé sous les ponts. L’indifférence a enterré les massacres des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, au cœur du cimetière des génocides oubliés. Sous le blason de la maison d’édition Encre d’Orient, les journalistes viennent en parler. Ils viennent raconter l’histoire d’une tuerie que les états, que les médias ont choisi de taire. Pas assez de morts ? Pas assez d’intérêt ? Trente ans après, ils ressortent les clichés des tiroirs et mettent leur mémoire à contribution, parfois sans même reprendre d’anciennes notes. Tant le souvenir est marquant et choquant. Afin de mettre la vérité devant nos yeux.

« Durant très longtemps, lorsque l’on vit une chose comme celle-ci, on l’étouffe.»

Jacques-Marie Bourget

En 1982, Jacques-Marie Bourget a déjà couvert des conflits comme la Guerre du Vietnam, la Guerre des Six Jours et reste très imbibé d’une culture politico-judiciaire, propre aux faits divers. Ce qu’il découvre dans les camps de Sabra et Chatila lui ouvre les portes d’un autre monde. « Durant très longtemps, lorsque l’on vit une chose comme celle-ci, on l’étouffe. C’est impossible à exprimer, à synthétiser. On se dit tout simplement que cela n’est pas vrai. » Et pourtant ! Au sortir de cette période, seulement quelques-uns s’intéresseront au génocide au point d’en faire des ouvrages et reportages. Très peu face à un vide immense, un vide total bien que les Nations Unies aient reconnu cet évènement sanglant comme génocide en décembre 1982. Et Jacques-Marie se questionne justement sur ce que les Palestiniens, victimes de l’histoire et des hommes, peuvent bien en penser. « Un Palestinien m’avait dit que Sabra et Chatila étaient comme tous ces autres massacres que les Palestiniens avaient connus. » Comme une habitude malheureusement… « Vous savez, si ce livre a mis du temps à être publié c’est aussi parce qu’en 2000, les Israéliens ont eu la brillante idée de me tirer une balle dans le poumon. Alors non, je ne voulais pas que cet ouvrage apparaisse comme une vengeance de ma part, une vendetta. » 30 ans après, Jacques-Marie voit ce génocide comme ayant eu lieu tout juste hier.

« C’était comme une enquête. J’avais récupéré des preuves en les photographiant. »

Marc Simon

Dans les années 70, alors étudiant à Toulouse, Marc Simon est déjà très intéressé par la question palestinienne. Il débute par du freelance à Beyrouth où il arrive en août 1976. Une année qui voit le massacre de Tall al-Za’tar. Il fait de nombreux voyages entre le Liban et la France en tant que photographe chez VSD. « De très près, j’ai vécu le départ des fedayins d’Arafat en 1982 mais aussi l’invasion de Beyrouth Ouest par Israël. Et surtout le génocide de Sabra et Chatila. Mais lorsque l’on travaille dans la photographie, très souvent on couvre un événement puis on passe à autre chose. On tourne la page. Durant toutes ces années, ça a été le cas pour les massacres des camps palestiniens. » De plus, en 1982, l’actualité est marquée par un autre fait, le décès de Grace Kelly. Cette information fait la une des journaux tandis que la mort de milliers de Palestiniens n’est pas mise en avant. Ses clichés ? Il les a gardés là, au fond d’un tiroir. Par manque de temps, il ne les archive pas. Alors lorsque Jacques-Marie lui demande de se replonger dans ses souvenirs, il reprend ces instants figés. « C’était comme une enquête. J’avais récupéré des preuves en les photographiant. »

« Il suffisait qu’un homme ait trois poils au menton, un turban et des babouches pour qu’on le dise terroriste »

Les Palestiniens questionnent…

En 1982, Israël sait. Israël prend part aux événements. Jean Genet qui s’est aussi intéressé à ce génocide apportera les preuves de la fuite des forces internationales dans la Baie de Beyrouth. Il dira que les tanks de Tsahal bloquaient tous les accès aux camps, pour mieux créer une boucherie à ciel ouvert. Et surtout Jean Genet montrera des commandos assassins revenant à plusieurs reprises, comme pour reprendre un travail qui ne serait pas terminé… Aujourd’hui, des documents détenus par un professeur de l’université de Columbia prouve qu’Israël a fait pression sur les Américains et Ronald Reagan. Ariel Sharon, Ministre de la Défense, appuyait le fait que si les Etats-Unis ne décidaient pas de déloger les prétendus 2 000 terroristes encore présents dans les camps, alors Tsahal s’en occuperait. Il insistait aussi sur le fait que les Phalangistes Chrétiens pouvaient très bien aussi s’en mêler. « Il suffisait qu’un homme ait trois poils au menton, un turban et des babouches pour qu’on le dise terroriste », dit Jacques-Marie. Ainsi est l’argumentaire d’Ariel Sharon, voyant des terroristes partout ! Les deux journalistes, avec leurs stylos, leurs carnets, un taxi, un interprète, sentent cette pression israélienne, cette ambiance qui sent la mort. Depuis les quartiers chrétiens, des flèches indiquent les camps de Sabra et Chatila. Comme pour aider les Phalangistes à exécuter cette entreprise sanguinaire.

Pour accéder aux camps palestiniens, le parcours est fléché…

La sécurité des réfugiés est assurée grâce à des accords…

Tous deux ont la particularité d’avoir tout vécu de l’intérieur. D’avoir lu sur les visages des corps jonchant les rues, la barbarie des Phalangistes Chrétiens, des Israéliens et de l’indifférence internationale. Dans un contexte où, quelques semaines plus tôt, Menham Begin avait lancé l’intervention militaire « Paix en Galilée » causant morts, blessés, marqués à vie, handicapés… Lorsqu’un cessez-le-feu est trouvé, Israël a un souhait, que les fedayins palestiniens, l’OLP et Yasser Arafat quittent Beyrouth. La sécurité des réfugiés est assurée grâce à des accords… Mais qui peut vraiment confirmer que les Palestiniens ne craignent rien, surtout lorsque les puissances internationales américaine, italienne et française sur place décident de partir ?

Un corps parmi tant d’autres…

« On peut s’en vouloir mais au début on n’avait vu que ce qu’il y avait dans notre champ de vision. Puis on est tombé dans l’horreur. »

« Nous étions présents vendredi 17 septembre après avoir passé la nuit dans une famille d’un autre quartier. Cette nuit-là, nous avions vu des fusées éclairantes au loin, du côté de Sabra et de Chatila. Le lendemain, en nous rendant dans les camps, on ne voyait pas de massacre de masse. Mais nous avions un pressentiment. Un très mauvais pressentiment. Nous voulions dormir sur place dans la nuit du vendredi au samedi et Marc me disait que si nous ne voulions pas mourir, il ne fallait par rester là. » Samedi 18 septembre, après une nuit à l’hôtel, ils retournent aux camps au petit matin. Là, ils croisent des hommes et des femmes fuyant sans parler, sans dire ce qu’ils avaient vu et ce que d’autres avaient subi. Jacques-Marie se souvient. « Ils s’en allaient terrorisés, hébétés, sans s’exprimer. Ils partaient sans véritable témoin, sans journaliste. On peut s’en vouloir mais au début on n’avait vu que ce qu’il y avait dans notre champ de vision. Puis on est tombé dans l’horreur. C’était aberrant parce qu’un engagement avait été pris par l’état d’Israël de ne pas toucher à la population palestinienne de Beyrouth qui se retrouvait sans défense puisque l’OLP avait quitté Beyrouth pour Tunis. Mais en réalité qui aurait pu aller vérifier que cela était vrai ? Qu’ils respecteraient ce qui avait été convenu ? » Personne ! Marc Simon a encore une image en tête, celle d’un garçon accompagnant une personne âgée… « Je n’avais pas mon appareil en main à ce moment-là. Le garçon avait un regard froid. Son visage m’a marqué… »

Ce vieillard et cet enfant que Marc Simon a croisé…

Un bébé a été écrasé à coups de marteau, de parpaing ou de crosse. Un mur avec des impacts montre que l’on a fusillé des hommes. Les corps gonflent avec la chaleur. L’incroyable continue…

Au milieu de ces corps, la barbarie humaine va crescendo. Au fil des pages de leur ouvrage, Jacques-Marie et Marc décrivent tout. Des hommes ont été émasculés. Des traces sur les corps prouvent qu’ils ont été traînés, pieds et mains liés. « En arrivant ici, nous étions préparés à découvrir des cadavres. Le journaliste est le comptable de la mort des autres. » Les bouchers ont assassiné aux couteaux, violé. Ici les seins d’une mère ont été coupés. Les adolescents sont morts par balle. Un bébé a été écrasé à coups de marteau, de parpaing ou de crosse. Un mur avec des impacts montre que l’on a fusillé des hommes. Les corps gonflent avec la chaleur. L’incroyable continue… Une femme enceinte a été éventrée, un petit garçon coupé en deux, un lambeau de chair retenant encore l’autre moitié du corps. Une vieille femme est morte debout, retenue par ses vêtements dans les épines d’un fil barbelé. « Accrochée comme un Christ sans croix. » Puis, se présente deux pyramides de corps d’enfants. On a trié les petites filles des petits garçons. Ils ont ouvert des crânes à coups de hache. Une épuration ethnique a eu lieu… Des torturés. Des dépecés. Des découpés.

Des morts à chaque coin de rue…

Aujourd’hui Jacques-Marie ne jette pas la pierre, Marc non plus. En réalité avec du recul, tout le monde est coupable de n’avoir rien dit, d’avoir filmé des Phalangistes sortant des camps après avoir commis l’irréparable. « Un reporter norvégien avait fait le tour des journalistes sur place afin de récupérer certains rushs. Il en a fait un montage et il y a eu cette image, celle de vingt à trente miliciens sortant par un trou fait dans un des murs. Les coupables. »

Ainsi, ces deux journalistes, ces deux témoins ont raconté à leur manière comment les Palestiniens, aux mains, à la portée des armes des Israéliens et des Phalangistes Chrétiens ont subi l’un des génocides les plus oubliés de l’histoire… Un génocide… Un de plus… Dans le monde… Et surtout pour les Palestiniens. « Une seule phrase, en passant, pour marquer l’injustice. Alors que nul Palestinien n’a prêté la main aux pogroms ou aux camps nazis, pourquoi ce peuple est-il ainsi puni, martyrisé ? A la fin du XIXème siècle, les proches ancêtres de ceux qui sont morts, aujourd’hui à Sabra et Chatila, vivaient chez eux dans une Palestine qui comptait 470 000 habitants. De confession juive, 24 000 d’entre eux étaient dans ce pays du Livre des citoyens comme les autres, et sans histoire. Jusqu’à ce que les Balfour, Rothschild, Churchill et autres banquiers, pétroliers, décident de faire de la Palestine une colonie chargée de veiller aux intérêts de l’Occident. »

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