Jeux dangereux sur les rives de la Mer Noire

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Le torpilleur lance-missiles McFaul, arrivé dimanche dernier de Crète dans le port géorgien de Batoumi, a terminé le déchargement des 34 tonnes d’ « aides humanitaires » (kits hygiéniques, eaux minérales et autres denrées « offertes par l’ Usaid »), dans le cadre de l’opération  dirigée par le Commandement des forces  navales Us en Europe, basé à Naples.  Mais ensuite le McFaul n’est  pas rentré en Crète pour charger d’autres « aides humanitaires », il est resté  en Mer Noire : c’est ce qu’a communiqué le commandant  Scott Miller, porte-parole de la Sixième Flotte. Ce que fera aussi le garde-côtes Dallas, qui a cependant été dérouté du port de Poti, où il aurait du arriver hier (mercredi 27 août) vers le port de Batoumi. On peut prévoir  ainsi que le Mount Whitney aussi, le navire amiral  de la Sixième Flotte qui devrait partir dans le courant du mois de Gaeta pour la Géorgie, resteraen Mer Noire après avoir déchargé les « aides humanitaires ».

 

Ainsi les Etats-Unis pourront disposer en Mer Noire, au bord du territoire russe, de l’unité navale dotée du système de communication et espionnage le plus sophistiqué du monde. Il y a actuellement en Mer Noire 10 navires de guerre étasuniens et de l’Otan,  et ce chiffre devrait  sous peu monter à 18. On calcule  que les navires actuels ont à bord plus de 100 missiles de croisière Tomahawk, dont la moitié est sur le McFaul ; missiles qui peuvent  être armés de têtes conventionnelles ou nucléaires. « Pour des raisons de sécurité » l’US Navy ne précise pas si les bateaux transportent des armes nucléaires.

« Le déploiement naval Otan en Mer Moire nous préoccupe » a prévenu hier le général Anatoly Nogovitsyn,  chef–adjoint de l’état-major russe, en qualifiant de « diabolique » le plan  qui consiste à transporter  des aides en Géorgie avec des navires de guerre. Les réactions russes ne sont cependant pas  seulement verbales. Le croiseur lance-missiles Moskva, navire amiral de la flotte russe en Mer Noire, a de nouveau levé l’ancre de sa base de Sébastopol en Ukraine,  pour aller se positionner  face à Sukhumi, chef-lieu de l’Abkhazie, dont le territoire n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres du port géorgien de Poti (c’est probablement pour cette raison et à cause de la présence de check-points russes à l’intérieur et autour même du port , qu’il a été décidé de ne pas faire accoster  le Dallas à Poti mais plus au sud, à Batoumi, où par contre les russes ne sont pas présents).

Selon l’agence Reuters, le Moskva devrait aussi  accomplir en mer un exercice avec des missiles de croisière (qu’on peut armer de  têtes aussi bien conventionnelles que nucléaires) et  un test de communication.

La marine étasunienne est aussi en train d’activer son aviation. La base aéronavale de Sigonella a été mobilisée, officiellement, pour l’envoi d’ « aides humanitaires » en Géorgie,. Le premier avion  est arrivé à destination avec 2.200 kits hygiéniques contenant des peignes, des rasoirs, des brosses à dents, des dentifrices, des serviettes rafraîchissantes et (très important) du papier hygiénique. L’expédition est assurée par le Fleet Logistic Support Squadron 46, transféré en toute hâte, il y a trois semaines, de la base aéronavale de Marietta aux Usa à Sigonella. Cette même unité s’occupe de l’envoi en Géorgie, par un pont aérien depuis l’aéroport (italo-étasunien… NdT) de Pise, des « aides humanitaires provenant de la base (étasunienne en territoire italien, NdT) de Camp Darby (à côté de Pise, NdT).

Et, aux côtés de la marine, est aussi arrivé sur le terrain le corps des marines en Europe, qui a envoyé en Géorgie 8.000 lits de camp. Dans un communiqué diffusé hier, on précise  que le matériel provient d’un dépôt « prépositionné », contenant des armements et autre matériel militaire, situé dans six cavernes en Norvège centrale. La guerre froide terminée, le dépôt n’a pas été démantelé, il est resté en pleine fonction pour réapprovisionner aussi d’autres  commandements de combat, en particulier  « pour les opérations de guerre globale  contre le terrorisme, menées en Irak et en Afghanistan, et pour des situations comme celle de la Géorgie ». Rien de plus facile, donc, si du dépôt  des marines en Norvège, de Camp Darby, de Gaeta et de Sigonella partent pour la Géorgie non seulement des lits de camp et des rouleaux de papier hygiénique  mais aussi des armes pour l’armée géorgienne, comme le président russe Medvedev lui-même a déclaré le craindre.  Dans sa visite au ministère de la défense à Tbilissi, le général Bantz J. Craddock, qui dirige le commandement européen des forces étasuniennes, a de fait déclaré que les Etats-Unis sont prêts à fournir encore une assistance « pour le développement ultérieur et la modernisation des forces armées géorgiennes ».

La Géorgie reçoit des aides militaires étasuniennes depuis 1997. Par le biais surtout du Georgia Train and Equip Program, lancé en 2002, le Pentagone a transformé les forces armées géorgiennes en une armée qui est de fait sous ses ordres. Un contingent de 2 mille hommes des forces spéciales géorgiennes a été envoyé combattre sous commandement étasunien en Irak, et un autre contingent en Afghanistan. La répétition générale a été effectuée par Immediate Response 2008, la manœuvre à laquelle ont participé des troupes des Usa,  Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Arménie, juste avant l’attaque contre l’Ossétie du Sud. Il n’est donc pas crédible que l’attaque se soit passée à l’insu ou contre la volonté de Washington.  C’est une action qui a clairement été orchestrée  pour, une fois de plus, mettre la Russie devant un fait accompli ou, en cas de forte réaction russe (comme cela s’est passé) pour ouvrir une crise qui permette aux Etats-Unis et à l’Otan de conquérir des positions  encore plus à l’est dans la ruée vers l’or noir de la Caspienne.

Photo, caption below.
Des soldats étatsuniens en train de former des militaires Géorgiens.
Photo: Defend America

 

Edition de jeudi 28 août 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/28-Agosto-2008/art37.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

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