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Joseph Auguste Anténor Firmin: Un symbole haïtien et universel!
Par Joël Léon
Mondialisation.ca, 12 avril 2019

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« Honte à tous ceux qui, oubliant leur devoir envers la patrie, en appellent à l’étranger.»  Anténor Firmin (1)

Le New York Times du 20 septembre 1911 avait annoncé, via un correspondant basé à l’île Saint Thomas, la mort d’Anténor Firmin survenue le 19, soit un mois, un jour avant son anniversaire de naissance. Loin d’Haïti, sa terre natale qu’il aimait si profondément (2).

Firmin, Intraitable Défenseur de sa Race

Né le 18 octobre 1850, cela fait déjà 169 ans, Firmin fut l’un des hommes noirs les plus éclairés de son époque. Sur le plan international, il est surtout connu comme celui qui avait démenti la thèse raciste de Renan Arthur Gobineau _ cet aristocrate français qui proclamait la supériorité de la race blanche dans son livre de 1400 pages titré « L’Essai sur l’Inégalité des Races Humaines » (3). Á travers cet ouvrage publié en 1848, il tentait vainement d’imposer la race aryenne comme la motrice de la civilisation humaine, de ce fait, sa prédominance, sa domination naturelle sur les autres races. Anténor Firmin, «le maestro», pour répéter Jean Price Mars, répliqua avec des arguments anthropologiques et culturels  irréfutables, rejetant ainsi d’un revers de main la thèse raciste dans son antithèse « De l’Égalité des Races Humaines. Anthropologie positive ». (4) C’était en 1885.

« Tous les hommes sont dotés des mêmes qualités et des mêmes défauts, sans distinction de couleur ni de forme anatomique. Les races sont égales.»  Ces mots de Firmin résonnaient très forts et permettaient le rééquilibrage du discours sociologique, politique et ethnologique au niveau mondial et, du même coup, renversa à jamais la propagande raciste.   

Pour les nationaux de son époque, Anténor Firmin représentait la pensée haïtienne la plus moderne et répondait aux desiderata des masses de l’après indépendance. Il l’exprimait clairement dans l’ouvrage précité : « En dédiant ce livre à Haïti, je les supporte tous à l’esprit, à la fois les opprimés d’aujourd’hui et les géants de demain. » Certains historiens soutiennent que le destin d’Haïti aurait pu être tout autrement si et seulement si Firmin avait accédé à la présidence.  

En réfléchissant sur les déboires qu’a connus le « Maestro », spécialement la rivalité l’opposant à Nord Alexis pour la présidence d’Haïti et l’exil forcé, il était clair que le 20ème siècle allait être celui qu’il était, c’est-a-dire le sous-développement et la répression politique,  et a des conséquences directes sur le déroulement des événements d’aujourd’hui. 

C’est-à-dire la déchéance programmée de la nation et l’impasse du symbole libérateur d’Haïti. L’intelligentsia a poignardé le rendez-vous historique en complotant l’échec de Firmin à la présidence. L’ingérence de l’Allemagne et des États-Unis contre lui inauguraient la politique qui allait conduire l’élite intellectuelle haïtienne à la déroute.

Firmin, synonyme de pensée et d’action

Anténor Firmin fut un érudit à part qui joignit « la pensée à l’action ». Il prit cause pour Haïti et pour l’humanité entière, cristallisée dans sa défense académique et psychologique de l’idéal de « tout homme est un homme ». Donc, Firmin a été à la fois un intellectuel « de l’universel », pour répéter Pierre Bourdieu, et un « intellectuel spécifique ». Autrement dit, au niveau théorique

ses écrits traitent des affres de l’homme; d’un côté pratique, il militait pour trouver des solutions aux problèmes confrontés par le peuple. Frankétienne parlerait d’un « intellectuel total » qui a su harmoniser le temps et l’espace. 

A l’occasion de la commémoration des 160 ans de naissance de l’écrivain,  les historiens Lesly Manigat et Michel Soukar ont publié deux bouquins sur cet homme extraordinaire. Une démarche inscrite dans l’objectif de mieux connaître « l’homme de Lafossette » (5 ) en mettant à la disposition des jeunes d’aujourd’hui des outils d’appréciation théorique inspirés des idées et de la vie de Firmin.  En ce moment historique de confusion totale, Firmin est debout. Certains intellectuels continuent de pleurer son absence. Ils croient dur comme fer que l’approche firministe permettrait de mettre hors d’état de nuire les nouveaux « Amiral Gherardi » présents dans nos rues. 

Malheureusement on n’a plus ce genre d’hommes, notamment: Jean-Jacques Dessalines, Jacques Stephen Alexis, Sylvain Salnave, Hammerton Killick et d’autres haïtiens valeureux qui s’étaient battus avec passion pour éviter l’hécatombe de la dépendance dans laquelle nous vivons aujourd’hui. J’aimerais que soient rééditées les œuvres de Fréderic Marcelin, Justin Lhérisson, Fernand Hibbert, Antoine Innocent…Georges Sylvain, Damoclès Vieux, Edmond Laforest, Etzer Vilaire…romans et poésies de la «Génération de la Ronde», tels que : « Thémistocle Epaminondas Labaster », « La vengeance de Mama », « Eliezer Pitit Caille »…Générations qui se révoltèrent contre l’ordre social et politique dans lequel les élites tenaient le pays.

Firmin et Dessalines: Une Lutte Pathétique et similaire

Drôle de coïncidence, le fondateur de la nation haïtienne, Jean-Jacques Dessalines,  a été assassiné le 17 octobre 1806. Anténor Firmin est né un 18 octobre. Mort du fondateur! Naissance du défenseur! Quelle coïncidence! Il y a cette corrélation apparemment  mystique qui lie Firmin à Dessalines, comme s’ils étaient de la même génération. C’est pourquoi que le dessalinien est toujours firministe. Cette symbiose Dessalines-Firmin est nécessaire pour libérer le pays et organiser la société de manière normative. Serait-ce une autre similitude qui vient ajouter une perle embellissant le réel merveilleux haïtien?  L’un symbolise l’autorité et la grandeur; l’autre incarne l’intelligence et la science, deux facteurs indispensables à l’existence d’un grand peuple vivant dans une grande nation. 

Firmin, le Visionnaire

En 1885, Firmin avait prédit l’avènement d’un noir à la présidence des États-Unis, plus d’un siècle avant que cela devînt réalité. Entant qu’un grand visionnaire, il écrivit ce qui suit au sujet des États-Unis: « Contrairement aux apparences, ce grand pays est destiné à frapper le premier coup contre la théorie de l’inégalité des races humaines. En effet, en ce moment même, les noirs dans la grande république fédérale ont commencé à jouer un rôle de premier plan dans la politique des différents états de l’union américaine. Il semble tout à fait possible que, dans moins d’un siècle à partir de maintenant, un homme noir puisse être appelé à la tête du gouvernement de Washington pour gérer les affaires du pays le plus progressiste de la terre, un pays qui deviendra inévitablement grâce à son agriculture et à sa production industrielle, le plus riche et le plus puissant dans le monde. Ce ne sont pas des rêveries utopiques. Nous n’avons qu’à considérer la participation croissante des Noirs dans la société américaine pour écarter notre scepticisme. En outre, nous devons nous rappeler que l’esclavage aux États-Unis a été aboli il y a vingt ans.» (6) 

 Ces idées dataient de plus d’un siècle. Cent vingt ans (124) plus tard, soit en 2009, Barack Hussein Obama devint le premier président noir des États-Unis. Firmin avait pronostiqué l’ascension à la magistrature suprême d’un afro-descendant dans la grande république étoilée grâce à sa grande maîtrise des sciences sociales et, peut-être, d’un certain atout extrasensoriel dont il aurait disposé?

  «Ce complot permanent contre l’excellence en Haïti», pour répéter Lesly Manigat, ne date pas d’hier. Anténor Firmin, trahi par la majorité des intellectuels de sa génération, rendit l’âme dans un îlot qui ne fut pas le sien. On ne lui avait pas permis de mourir dans son propre pays, pour lequel il avait tant combattu. Quel sacrilège !

Sténio Vincent et Callisthène Fouchard, deux intellectuels haïtiens, se rallièrent au camp du vieux général Nord Alexis afin d’empêcher un des leurs de gravir la première magistrature de l’état. On fait l’expérience encore aujourd’hui: des intellectuels,  transformés en valets de l’international, subjuguent les esprits nationaux dans des initiatives vaines qui aboutissent à l’assujettissement. Firmin est bel et bien mort il y a 108 ans, mais sa conviction et sa foi dans un pays pour tous demeureront pour toujours. Que les fortunés du savoir cessent de se battre pour une bouchée de pain! Qu’ils se lancent dans le combat pour la reconstruction de la nation et la reconquête de notre dignité de peuple! (7)

Joël Léon

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RÉFÉRENCES

1.- Firmin, Anténor: «Proclamation au peuple et à l’armée» cité dans Gaillard, Roger. «La République Exterminatrice, Volume 4». Port-au-Prince: Roger Gaillard, 1993.

2.- GENERAL ANTENOR FIRMIN DEAD.; Revolitionist Once Proclaimed President of Haiti,but Driven Into Exile. September 20, 2011. https://www.nytimes.com/1911/09/20/archives/gen-antenor-firmin-dead-revolutionist-once-proclaimed-president-of.html

3.-Gobineau, Joseph Arthur. «Essai Sur l’Inégalité des Races Humaines. Paris, Firmin-Didot frères, 1853-1855. 

4.- Firmin, Joseph Anténor. « De l’Égalité des Races Humaines: Anthropologie Positive. Paris: Éditions L’Harmattan;Édition: Nouv. éd (1 mars 2004). 

5.- Lafossette: Quartier populaire du Cap-Haitien.

6.- Firmin, J.A., op.cit.

7.- Price, Mars. «Joseph Anténor Firmin». Port-au-Prince: Imprimerie du Séminaire Adventiste, 1978 (posthume).

 

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