Jusqu’au prochain scandale
Il y a un mois, Haaretz a relaté une histoire sensationnelle en première page : 40 pour cent de la terre qui est contrôlée par les colonies de Cisjordanie relève de la propriété privée de Palestiniens.
Son reporter Nadav Shragai a présenté une description détaillée des conclusions d’un rapport de Peace Now (la paix Maintenant), qui affirme que près de 40 pour cent de la terre qui est contrôlée par les colonies de Cisjordanie relève de la propriété privée de Palestiniens. Le rapport est basé sur des données officielles de l’Etat, que Peace Now a révélées.
Haaretz a été le seul des médias israéliens à couvrir correctement ce rapport. Le quotidien Maariv a publié les grandes lignes du rapport en page 6 ; Radio Israël l’a annoncé dans son bulletin de mi- journée et il est resté environ une journée sur divers sites d’information sur Internet. Les autres médias, dont Yedioth Ahronoth, les chaînes de télévision et la Radio de l’Armée, l’ont complètement ignoré.
Les médias n’ont pas été les seuls à minimiser les conclusions du rapport et à éviter ses implications (excepté Haaretz, qui a publié ensuite des analyses de Shragai, Amos Harel et Avi Issacharoff). Les acteurs clé du rapport ont eux aussi décidé de le minimiser : le gouvernement n’a publié aucune réponse officielle, l’Administration civile a fait une déclaration disant, entre autres choses, qu’ « une première étude du rapport montre qu’il est entaché par de graves inexactitudes », et le Conseil des colons a affirmé qu’il n’y avait rien de neuf dans le rapport et que de Peace Now cherchait par tous les moyens à combattre l’établissement de colonies juives .
A l’opposé des réponses « profil bas » de l’Etat et des médias israéliens, le rapport a reçu beaucoup d’attention à l’étranger : le New York Times l’a publié en Une et d’autres grands journaux ont fait de même. Les auteurs du rapport, Dror Etkes et Hagit Ofran, ont été interviewés par des dizaines de radios et de chaînes de télévision du monde entier. Ils estiment que leur rapport a eu la couverture médiatique d’une centaine de médias.
Etkes a été également interviewé par Radio Israël – de même que Benny Kashriel, le maire de la colonie de Ma’aleh Adumim – mais seulement à cause d’un rapport de Yaron Dekel, le correspondant de la chaîne à Washington, sur le bruit que les conclusions du rapport avaient fait aux Etats-Unis.
Plus intéressant que l’étendue de la couverture médiatique du rapport en Israël, c’est l’impression que le rapport a produit sur l’opinion publique israélienne : un jour après la discrète annonce de ses conclusions, le rapport a totalement disparu du discours public, excepté une déclaration du Conseil des colons mettant en doute sa fiabilité.
Les partis de gauche ne s’en sont pas emparés, la Knesset n’en a pas débattu, la presse n’a pas traité le sujet, le gouvernement l’a ignoré, et enfin la justice, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur n’ont pas eu à donner d’explications sur les conclusions qu’il révélait.
Ce qu’ont trouvé les enquêteurs de Peace Now, c’est que les organes de l’Etat ont volé des terres privées à des Palestiniens qui vivent en Cisjordanie. Selon le rapport, des organismes d’Etat ont violé la loi, ignoré les décisions de la Cour suprême, et se sont comportés avec malhonnêteté et certainement sans morale.
Peace Now affirme que 130 colonies ont été établies, totalement ou partiellement, sur des terres privées. Ce sont des propriétés que l’Etat a reconnues comme propriété privée et non des propriétés privées qui ont été déclarées terre de l’Etat. Ceci implique la violation flagrante et systématique par les agences de l’Etat des droits de propriété de milliers de Palestiniens. C’est cette méthode répugnante et basse et apparemment criminelle que l’avocate Talia Sasson exposait aussi en détail dans le rapport qu’elle a écrit sur l’établissement des avant-postes illégaux.
La conscience d’Israël est totalement noire. Les scandales se suivent et l’injustice d’aujourd’hui efface l’injustice d’hier dans notre conscience. Le coeur de la société israélienne est si dur, quand il s’agit des Palestiniens dans les territoires, qu’il reste de marbre même quand il est face à la scène d’injustice incessante qui arrache aux individus leurs propriétés.
La méchanceté, la duperie et l’agression qui sont personnalisées dans la manière dont l’Etat s’est approprié des terres qui appartiennent à des individus privés, même si ce sont des Palestiniens, devraient émouvoir toutes les personnes honnêtes, même les colons.
Cette méthode n’a rien à voir avec le désaccord idéologique sur l’établissement des colonies. Ce qui est en jeu, c’est que des individus ont été dépossédés de leurs droits fondamentaux. Les colonies auraient pu n’être érigées que sur des terres appartenant à l’Etat. Mais une société qui n’est pas choquée par les meurtres de Palestiniens innocents ne sera pas non plus émue, ne serait-ce qu’un peu, à la vue de la terre volée à quelque Palestinien individuel que ce soit.
Haaretz, 20 décembre 2006.
traduction : CL, Afps