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Kriegspiel pétrolier en Afrique
Par François Lafargue
Mondialisation.ca, 07 novembre 2006
Politique internationale, Revue n°112 7 novembre 2006
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/kriegspiel-p-trolier-en-afrique/3755

En ce début de xxie siècle, les États-Unis, la Chine et désormais l’Inde doivent relever un défi majeur, celui de leur vulnérabilité pétrolière. Ces trois grands consommateurs d’énergie partagent la même préoccupation : réduire leur dépendance à l’égard du Moyen-Orient, trop instable, tout en s’assurant un approvisionnement régulier en or noir. Au début des années 1990, le pétrole de l’Asie centrale et de la mer Caspienne a suscité la convoitise de Washington, de Pékin et, dans une moindre mesure, de New Delhi. Mais l’enthousiasme pour cette région s’est progressivement émoussé : des incertitudes politiques et juridiques majeures planent sur les États centre-asiatiques et leurs réserves en hydrocarbures se sont révélées sensiblement inférieures aux prévisions initiales. Les trois puissances se tournent donc vers l’Afrique, continent qui, avec 9,4 % des réserves mondiales (comparables à celles de l’Irak), assure aujourd’hui 11,4 % de la production de pétrole de la planète (1).

Chine : une stratégie tous azimuts

Rapprochement avec des États affaiblis La Chine a commencé à s’intéresser à l’Afrique dès les années 1950 et la conférence de Bandoeng. Les motivations de l’État maoïste étaient, alors, d’ordre exclusivement politique. Quelques années plus tard, en 1971, ce soutien au continent noir porte ses fruits : les États africains facilitent le retour de Pékin au Conseil de sécurité de l’ONU (2). Toutefois, après la mort de Mao Zedong en 1976, la présence de la république populaire de Chine (RPC) en Afrique se fait plus discrète : Deng Xiaoping privilégie le développement du pays plutôt que l’expansion extérieure. Pendant deux décennies, cette expansion se limite à certains États, en particulier le Bénin et le Togo. En réalité, la RPC n’a jamais quitté l’Afrique ; mais, depuis quelques années, elle revient en force, comme en témoignent la mise en place, en 2000, d’un Forum bilatéral de discussion sino-africain (FOCSA) (3) et la visite de Hu Jintao en Égypte, au Gabon puis en Algérie en janvier 2004. Plus récemment, en janvier 2006, le ministre chinois des Affaires étrangères, Li Zhaoxing, s’est rendu dans plusieurs pays africains dont le Nigeria, le Cap-Vert, la Libye et le Mali. La raison de ce regain de sollicitude est évidente : Pékin voit dans l’Afrique un véritable réservoir de matières premières énergétiques et minières indispensables à sa croissance économique. Car, depuis 1993, le pays le plus peuplé de la planète est devenu importateur de pétrole. En 2006, la Chine, deuxième consommateur mondial de ce naphte précieux – derrière les États-Unis et devant le Japon – devra importer près de la moitié de sa consommation. Pour l’heure, 55 % des importations de pétrole chinoises viennent du Moyen-Orient. Une dépendance que le renforcement des liens avec l’Afrique pourrait réduire.

La RPC a démarré son implantation pétrolière dans des États en délicatesse avec la communauté internationale : au Soudan (4), en Libye puis, plus récemment, en Angola. En 1997, au Soudan, la China National Petroleum Corporation (CNPC) (5) s’associe dans le cadre d’un consortium – la Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC) – avec la société canadienne Talisman, la malaisienne Petronas et la compagnie nationale locale Sudan National Petroleum Corporation (Sudapet). But de l’opération : mettre en valeur les gisements d’hydrocarbures du sud du pays, plus précisément les blocs 1, 2 et 4 du bassin d’El Muglad (6). La GNPOC a notamment construit un oléoduc long de 1 600 km qui relie les champs pétrolifères du Sud à la mer Rouge. Grâce à ces investissements, le Soudan, devenu le septième producteur de pétrole du continent, assure désormais 7,5 % des importations pétrolières totales de la Chine.

En Libye, en 2004, la CNPC a construit pour le compte de l’italien ENI (Entreprise nationale d’hydrocarbures) et de la société libyenne NOC (National Oil Corporation) deux oléoducs reliant le champ de Wafa à Melitah, près de Tripoli. Mais, pour le moment, les investissements chinois dans ce pays restent limités, en dépit de l’intérêt manifesté par Pékin. La Libye dispose de réserves en pétrole significatives (2 % des réserves mondiales) ; surtout, dans les prochaines années, les oléoducs reliant les gisements du bassin de Murzuk (dans le sud-ouest du pays) aux ports de la Méditerranée pourraient être prolongés afin de permettre l’exportation du pétrole du Niger.

En parallèle, Pékin a progressivement investi en Angola, profitant de l’isolement de Luanda (7) puis de l’affaiblissement de la position de Paris à la suite de l’affaire Falcone (8). En novembre 2004, la SINOPEC (China Petroleum & Chemical Corporation), première société pétrolière chinoise, s’est vu confier l’exploitation du bloc 3/80 (situé dans le nord du pays) au détriment de Total, qui gérait jusque-là le gisement. Quelques semaines plus tard, le 26 février 2005, le vice-premier ministre Zeng Peiyan a effectué à Luanda une visite officielle au cours de laquelle il a conclu plusieurs contrats avec la société nationale SONANGOL (Sociedade Nacional de Combustiveis). Aujourd’hui, la Chine achète 30 % des exportations pétrolières de l’Angola, ce qui en fait le deuxième client du pays derrière les États-Unis (40 %).

Prospection et acheminement

La deuxième démarche des sociétés chinoises consiste à mener des recherches géologiques dans des zones peu convoitées. Pour le moment, cette tactique a été couronnée d’un certain succès. Pékin ne néglige aucun fournisseur potentiel. La SINOPEC a ainsi entrepris des prospections au Niger, en Mauritanie, au Mali et au Sénégal.

Au Niger, deux contrats signés en novembre 2003 permettent l’exploration des régions des ergs de Ténéré et de Bilma (dans l’est). La CNPC a évincé du pays la société canadienne TG World Energy (TGWE), qui y était présente depuis plusieurs années. Mais les Canadiens ont dénoncé cette situation. Pour mettre un terme à ce contentieux, un accord a finalement été signé en juillet 2004. TGWE obtient une compensation financière et reste associée à l’exploitation du gisement de Ténéré, dans le cadre d’une société mixte constituée avec la CNPC, dont les Chinois détiennent 80 % des parts contre 20 % pour les Canadiens.

Plus récemment, en juillet 2005, en Mauritanie, la CNPC a acquis 65 % du bloc 20 (une zone de prospection de 10 690 km2 située le long de la frontière terrestre avec le Sénégal, à 200 km au sud de Nouakchott). Les autres gisements pétroliers on shore de la Mauritanie, dans le bassin de Taoudeni, sont exploités principalement par la société australienne Baraka Petroleum et par Total.

Au Mali, la production de pétrole pourrait débuter avant 2010. Les premières recherches géologiques, effectuées dans les années 1960, n’avaient guère été concluantes. Mais les progrès techniques réalisés depuis, conjugués à l’appréciation du baril de pétrole, rendent désormais concevable l’exploitation dans cette région d’Afrique. Le bassin de Taoudeni, à la frontière avec la Mauritanie, suscite les plus grandes attentes. Des recherches sont également conduites dans la province de Gao (au sud-est, à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso). Enfin, au Sénégal, l’établissement de relations diplomatiques entre Dakar et Pékin en octobre 2005 devrait faciliter les prospections des sociétés pétrolières de la RPC.

La Chine ne veut pas en rester là. À présent, elle souhaite élargir sa prospection pétrolière à l’ensemble de l’Afrique, notamment au golfe de Guinée. En janvier 2006, une visite de Li Zhaoxing au Nigeria a permis la signature de plusieurs contrats. La CNOOC (China National Offshore Oil Corporation, une entreprise nationale chargée de la prospection offshore) a acquis une participation de 45 % dans le gisement d’Akpo, dont elle est devenue l’opérateur principal, aux côtés de Total et de Petroleo Brasileiro. La découverte et l’exploitation des hydrocarbures ne sont pas tout : la Chine doit aussi se soucier de leur évacuation. Pour le moment, les projets d’oléoducs sont encore prématurés, mais le Bénin pourrait prochainement devenir un point de passage clé pour le pétrole d’Afrique de l’Ouest. Ce petit pays dispose de plusieurs atouts, au premier rang desquels sa stabilité politique et la qualité de ses infrastructures portuaires et routières, spécialement du port de marchandises de Cotonou, l’un des principaux d’Afrique. De plus, le Nigeria, le Burkina Faso et le Mali sont assez facilement accessibles par la route. Par exemple, Niamey n’est qu’à 200 km de la frontière béninoise. Last but not least : depuis plus de trente ans, le Bénin entretient des relations politiques étroites avec Pékin. Le président Mathieu Kérékou (qui vient de passer la main) s’y est rendu à plusieurs reprises (1976, 1986, 1998) et les deux pays ont noué une coopération technique, commerciale et militaire poussée. Au Bénin, la Chine a construit en 1982 le Stade de l’amitié de Cotonou puis, deux ans plus tard, la Manufacture de cigarettes et d’allumettes (Manucia). Elle y a également édifié plusieurs bâtiments administratifs et l’hôpital de Lokassa. Enfin, de mai 1987 à avril 1993, Pékin et Porto-Novo ont été associés dans le cadre de l’entreprise SITEX (Société des industries textiles du Bénin) (9).

Progressivement, les équilibres pétroliers se modifient. Sur tout le continent, Pékin déploie beaucoup d’efforts afin d’obtenir de nouvelles concessions pétrolières, toujours par le biais du même modus operandi, qui conjugue appui financier et appui diplomatique.

Aide commerciale et soutien politique

La Chine apporte à ses fournisseurs une importante assistance économique, technique et commerciale. En échange de contrats pétroliers à long terme et de tarifs préférentiels, elle leur propose de construire chez eux des infrastructures routières, ferroviaires ou hydrauliques. Une politique efficace : en Angola, en octobre 2004, la SINOPEC a acquis une participation de 50 % dans un gisement – le bloc 18 – détenu auparavant par le pétrolier Shell. Cette concession avait été cédée par Shell à la société indienne ONGC Videsh pour un montant de 600 millions de dollars… avant que le gouvernement angolais ne fasse jouer son droit de préemption. Pour remporter ce contrat, la Chine est parvenue à évincer l’Inde en proposant une aide financière de 2 milliards de dollars à Luanda, alors que la proposition indienne n’était que de 20 millions. Pékin s’est engagé, en particulier, à rénover la ligne ferroviaire CFB (Chemin de fer de Benguela) entre Lobito et la région du Shaba en république démocratique du Congo, ainsi qu’à bâtir plusieurs milliers de logements. Et ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres d’une impressionnante montée en puissance. En 2002, près de 61 000 coopérants chinois travaillaient déjà en Afrique (10), soit le double par rapport à l’année précédente. Un chiffre qui, sans nul doute, a augmenté depuis.

La RPC ne se contente pas de soutenir financièrement ses alliés. Elle leur assure aussi un appui diplomatique de premier ordre. De nombreux dirigeants africains voient dans le géant asiatique un protecteur peu exigeant quant à la nature de leur régime. Les relations entre la Chine et le Soudan l’illustrent parfaitement : en juillet puis en septembre 2004, la Chine a menacé à plusieurs reprises d’utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU pour s’opposer à l’adoption de sanctions politiques et pétrolières contre Khartoum à propos du conflit du Darfour.

La coopération avec Pékin permet également aux États africains d’obtenir la livraison de systèmes d’armes. La Chine n’a pas hésité à vendre au Soudan des avions de surveillance F-7 (dérivés des Mig-21 soviétiques) en 1996, puis des avions de transport Y-8 (dérivés des Antonov). Même approche avec le Nigeria : en avril 2005, Olusegun Obasanjo et Hu Jintao ont signé à Pékin un partenariat stratégique prévoyant plusieurs domaines de coopération économique et énergétique. L’isolement diplomatique d’Abuja en 1995 et son exclusion du Commonwealth à la suite d’élections frauduleuses ont laissé un souvenir amer au pays le plus peuplé d’Afrique, désireux de trouver des alliés moins regardants que les Occidentaux. Dans cette optique, la Chine, devenue le premier fournisseur commercial du Nigeria, peut se révéler un soutien précieux. Dès 1997, la China Civil Engineering Construction a également procédé à la rénovation du réseau ferroviaire et en assure toujours la maintenance. Par surcroît, Pékin est favorable à la candidature d’Abuja à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Sa présence dans le secteur pétrolier nigérian demeure pour le moment modeste mais ne cesse de se renforcer. La SINOPEC exploite déjà les gisements de Stubb Creek (qui offre 0,2 million de tonnes par an) ; et, en juillet 2005, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) s’est engagée à fournir à la SINOPEC 30 000 barils par jour (soit 1,2 % des importations totales de la Chine). En contrepartie, Pékin achètera son pétrole aux prix mondiaux et construira une centrale hydraulique à Mambilla.

Malgré ses avantages, ce système de donnant-donnant suscite plusieurs critiques en Afrique. La faible fiabilité des infrastructures livrées vaut à Pékin de fréquents reproches. Surtout, le coût réel de la construction de ces équipements s’avère difficile à évaluer de manière précise : la Chine propose des tarifs avantageux pour les constructions de BTP en échange de concessions pétrolières, mais elle ne les offre pas. Ajoutons que le montant des aides et des prêts accordés aux pays africains doit être relativisé puisque leur octroi est subordonné à l’achat de biens de production chinois, dont la valeur est, là encore, assez délicate à établir. Mais le grief principal porte sur la réticence de la Chine à transmettre son savoir-faire et à former des techniciens africains.

Sur le plan politique, l’activisme de Pékin ne fait pas non plus l’unanimité. Il est, en particulier, mal perçu par l’Afrique du Sud qui voit avec irritation ses deux principaux rivaux, le Nigeria et l’Angola, en profiter largement. Pretoria, Abuja et Luanda revendiquent un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ; de plus, l’Angola tente de profiter de ses réserves pétrolières, de son potentiel hydraulique et de son armée très bien équipée pour s’imposer comme un acteur de premier plan en Afrique australe. La rénovation des ports de Benguela et de Lobito pourrait également, à terme, dérouter le trafic ferroviaire qui transite pour le moment par l’Afrique du Sud. Pour résumer : la Chine est désormais un acteur capital en Afrique et son activité bouleverse les situations établies, non sans susciter quelque ressentiment. Mais elle n’est pas le seul nouveau venu sur ce continent. Sa grande voisine, l’Inde, entend, elle aussi, y jouer un rôle majeur.

L’Inde : naissance d’une puissance africaine

Une nécessité vitale Le développement économique de la Chine masque celui de l’Inde. Pourtant, de 1999 à 2004, le PNB de cette dernière a grimpé de un tiers, entraînant une augmentation sensible de la consommation de pétrole (+ 50 % depuis 1995), due en particulier à l’élargissement du parc automobile. Selon toute logique, l’Inde devrait devenir, avant la fin de la décennie, le troisième consommateur mondial de pétrole, après les États-Unis et la Chine. Or ses ressources en or noir sont très limitées : 0,5 % des réserves mondiales, soit le tiers de celles de la Chine… et elles sont sur le point de s’épuiser. On comprend que l’approvisionnement énergétique soit devenu une priorité pour New Delhi ! Ces dernières années, la société nationale Oil and Natural Gas Corporation (ONGC), par le biais de sa filiale ONGC Videsh Limited (OVL), a multiplié les investissements à l’étranger (spécialement en Équateur, au Myanmar et dans l’île de Sakhaline en Russie) (11). Si l’Inde porte une attention particulière à la mer Caspienne et à l’Asie centrale, elle a surtout noué des relations étroites avec le Venezuela et l’Iran. Un rapprochement qui n’a pas manqué de provoquer le mécontentement de Washington. Sensible aux critiques formulées par les États-Unis (12), New Delhi a poursuivi sa diversification en se tournant, depuis deux ans, vers l’Afrique. Le continent noir représente aujourd’hui 20 % de ses importations pétrolières, contre 70 % pour la région du Moyen-Orient (principalement l’Arabie saoudite, le Koweït, l’Irak et les Émirats arabes unis).

L’Inde conduit une diplomatie pétrolière particulièrement active en Afrique orientale, où les présences américaine et chinoise restent limitées. Si la Tanzanie, le Kenya, l’Ouganda ou Madagascar ne produisent pas encore de pétrole, les recherches géologiques qu’y effectuent les ingénieurs indiens semblent vouées au succès. Au Soudan, ONGC a profité du départ de la société canadienne Talisman – confrontée aux critiques du gouvernement américain et de plusieurs organisations humanitaires qui l’accusaient de soutenir financièrement le régime soudanais au moment où celui-ci massacrait les populations chrétiennes du Sud – pour lui racheter ses parts dans les champs de Heglig et de Unity. ONGC détient donc, depuis mars 2003, le quart du capital du consortium GNPOC, que nous avons évoqué plus haut, et s’est vu attribuer la construction et l’exploitation d’une raffinerie à Port-Soudan. En juin 2005, une autre entreprise indienne privée, Videocon, qui gère déjà des gisements pétroliers en Inde même (à Krishna-Godavari), a signé avec le gouvernement soudanais un accord l’autorisant à réaliser des forages off-shore.

ONGC a également investi en Libye. Elle y possède une participation de 49 % dans les blocs NC-188 et NC-189 (son associée dans cette affaire, la Turkish Petroleum Corporation, demeurant majoritaire). Le bloc NC-188, d’une superficie de 6 558 km2 (la moitié de l’Île-de-France), est situé à 250 km au sud de Tripoli, dans le bassin de Ghadannes. Le bloc NC-189, lui, s’étend sur 2 088 km2, à 800 km au sud-est de la capitale, dans le bassin de Sirte. Sont présentes, aussi, dans le bassin de Sirte l’Indian Oil Corporation et Oil India Ltd., qui exploitent le bloc 086 (7 087 km2). Enfin, ONGC est également implantée en Côte d’Ivoire, où la prospection s’avère prometteuse. Les Indiens y mettent en valeur le bloc offshore CI-112 (d’une superficie de 4 116 km2) en association avec les Chinois de la SINOPEC et la société américaine Vanco Energy. Et, en mars 2005, ONGC Videsh Limited, associée à l’américain IPR Energy Red Sea, a obtenu le droit de prospection dans la région de Ramadan, à proximité du golfe de Suez, en Égypte.

Un partenariat équilibré

L’Inde désire promouvoir un partenariat équilibré avec ses fournisseurs africains et ne pas apparaître comme un prédateur économique uniquement intéressé par les matières premières – une critique de plus en plus ouvertement formulée à l’encontre de la Chine. Les sociétés indiennes ont donc multiplié les investissements en Afrique de l’Est. Candico a ouvert une usine de textile en Tanzanie ; Tata Motors est présent en Afrique du Sud ; Ranbaxy, l’un des principaux laboratoires pharmaceutiques mondiaux, possède également des usines en Zambie, en Côte d’Ivoire, à l’île Maurice et au Nigeria. À Madagascar, Petroleum India International (PII) a rénové la raffinerie Solima (Solitany Malagasy) à Toamasina. Logiquement, la position commerciale de New Delhi en Afrique orientale en a été renforcée. Cette collaboration, toutefois, n’est pas à sens unique. Un exemple : l’Inde est non seulement le troisième fournisseur de la Tanzanie (après l’Afrique du Sud et la Chine), mais son premier client (elle lui achète notamment de l’anacarde, un végétal dont l’Inde est le premier importateur mondial). L’Inde est également l’un des premiers acheteurs de coton en Ouganda. Sa proximité linguistique et culturelle avec les pays anglophones d’Afrique de l’Est facilite cette coopération bilatérale. Dans ce domaine, l’Inde possède des arguments supérieurs à ceux de Pékin. Les joint-ventures sino-africaines sont rares et les quelques expériences en ce sens se sont soldées par un échec. Les Indiens, eux, peuvent s’appuyer sur leurs nombreux compatriotes qui résident en Afrique de l’Est et australe, particulièrement en Afrique du Sud, au Kenya et en Tanzanie. L’Afrique francophone est également dans le viseur. L’initiative la plus récente et la plus audacieuse dans cette direction a été baptisée Team-9. Ce projet de coopération technique lancé en mars 2004 associe l’Inde à huit pays d’Afrique de l’Ouest : le Ghana, le Burkina Faso, le Tchad, la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau, le Mali et le Sénégal. Dans le cadre de ce projet, l’Inde s’engage à accorder à ses partenaires un demi-milliard de dollars sous forme de crédits, d’aides et de transferts de technologie. Elle a ainsi proposé à la Guinée-Bissau, en juillet 2005, un prêt de 70 millions de dollars (sur vingt ans, à un taux préférentiel de 1,7 %). Signe de cette influence en Afrique de l’Ouest : l’Inde est désormais le premier client du Sénégal.

Pour New Delhi comme pour Pékin, le développement des réserves pétrolières africaines serait facilité par le rachat de sociétés étrangères déjà implantées. En juillet dernier, la CNOOC avait tenté de racheter la société californienne UNOCAL, mais elle a dû renoncer à cette opération à cause du refus des autorités américaines. Le rachat d’UNOCAL aurait offert à la CNOOC des droits d’exploitation (gisement de Mibale) et de prospection en république démocratique du Congo. Ajoutons, enfin, que la Chine et l’Inde pourraient être intéressées par l’acquisition de petites compagnies présentes en Afrique de l’Ouest comme les australiens Hardman, Roc Oil et Woodside Petroleum, ou le français Maurel & Prom. Et c’est suivant la même logique que, au début de l’année 2005, ONGC a manifesté sa volonté de racheter des gisements d’hydrocarbures en Algérie, détenus par la société canadienne First Calgary Petroleums.

Les États-Unis et le golfe de Guinée

L’appétit énergétique des puissances asiatiques commence à sérieusement inquiéter Washington. D’autant que ces deux pays ne se contentent pas de l’Afrique et n’hésitent plus à venir investir en Amérique latine.

Comme leurs concurrents, les États-Unis désirent réduire leur dépendance à l’égard du Moyen-Orient, dont ils tirent 22 % de leurs importations pétrolières. C’est ainsi qu’un rapport de Dick Cheney intitulé Report of the National Energy Policy Development Group (13) recommande de porter les importations américaines d’Afrique à la hauteur de 25 %, contre 15 % en 2000 (14).

À l’heure actuelle, les États-Unis achètent près de 30 % du pétrole exporté par les pays africains, contre 10 % pour la Chine (15). Les sociétés américaines prospectent activement en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Libye depuis la levée, il y a deux ans, des sanctions économiques qui frappaient le régime de Kadhafi. En République centrafricaine (RCA), la compagnie américaine Grynberg Petroleum a obtenu une concession de 55 000 km2 dans les bassins de Doba et de Salamat, à la frontière entre le Tchad et la République centrafricaine. L’essentiel de la présence américaine se concentre cependant dans le golfe de Guinée, et plus particulièrement au Nigeria. Ce pays représente à lui seul 8,5 % des importations totales des États-Unis et plus de 50 % de leurs importations d’Afrique, devant l’Angola et l’Algérie. Le Cameroun est un autre objet d’attention : la production ne cesse d’y décliner, il est vrai, mais le pays dispose de plusieurs réserves demeurées inexploitées et constitue le débouché principal pour le pétrole exporté du Tchad. Ajoutons, enfin, que le potentiel de production du golfe de Guinée (16) devrait pouvoir s’accroître de 60 % d’ici à 2015.

Une région clé

Aux yeux de Washington, les pays du golfe de Guinée présentent plusieurs avantages : – En premier lieu, ces États – spécialement le Nigeria, la Guinée équatoriale et Sao Tomé – autorisent les sociétés étrangères à être majoritaires dans des consortiums chargés d’exploiter un permis de forage. Une possibilité qui n’existe ni au Mexique, ni en Arabie saoudite, ni au Koweït.

– L’exploration des gisements en eaux profondes implique la maîtrise de techniques sophistiquées et onéreuses, ce qui limite le nombre d’investisseurs potentiels. De plus, le coût élevé de la recherche et de l’exploitation est partiellement contrebalancé par le régime fiscal avantageux qui prévaut dans ces pays.

– À l’exception du Nigeria, les États en question ne sont pas membres de l’OPEP. Et, pour le moment, l’APPA, l’Association des pays africains producteurs de pétrole, fondée en 1987 à Lagos, ne joue aucun rôle actif. Or l’APPA (qui se veut une OPEP de l’Afrique de l’Ouest) désire favoriser la concertation entre les pays africains afin de définir des volumes « idéaux » de production de pétrole et de peser sur le cours du baril.

– Enfin, ces gisements offshore sont faciles à surveiller et une semaine suffit à un supertanker pour rallier New York. Toutefois, conscients des menaces qui existent dans cette zone, les États-Unis ont envisagé dès 2002 d’aménager une base navale à Sao Tomé et Principe. Un projet toujours à l’étude. La piraterie maritime reste, en effet, endémique et ne se limite pas aux attaques contre les embarcations de pêcheurs. La Chambre de commerce internationale a, ainsi, répertorié trente-sept attaques pour l’année 2004 (vols de cargaison, prises en otage de l’équipage, etc.). Une situation tellement préoccupante qu’elle a incité Washington à aider le Nigeria à se doter de forces maritimes de surveillance.

Reste que ni la Chine ni l’Inde n’entendent demeurer à l’écart de cette zone qui est, pour l’heure, la plus riche d’Afrique puisque l’Angola, le Nigeria, le Congo Brazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Cameroun représentent 45 % des réserves du continent. Ce qui explique que la Guinée équatoriale soit le théâtre d’une féroce compétition sino-américaine (17)…

La compétition en Guinée équatoriale

Petit pays de 500 000 habitants, la Guinée équatoriale a mis en valeur ses gisements d’hydrocarbures comme ceux de Zafiro, d’Alba et de Ceiba grâce au concours de sociétés pétrolières américaines – principalement Exxon, Chevron Texaco et Amerada Hess (qui exploite le gisement de Ceiba). Aujourd’hui, les États-Unis, unique opérateur dans le secteur pétrolier, sont le principal partenaire commercial de ce pays qui est devenu en moins de dix ans le troisième producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne (18), derrière le Nigeria et l’Angola. Une ligne aérienne directe reliant Houston à la capitale, Malabo, a même été récemment ouverte. En 2005, la Guinée équatoriale a été le premier récipiendaire par habitant des investissements américains en Afrique. Et le président Théodore Obiang Nguema, en dépit des violations systématiques des droits de l’homme dont son régime se rend coupable, bénéficie jusqu’à présent du soutien de Washington.

Mais les Américains ont affaire à un sérieux concurrent : la Guinée équatoriale intéresse également Pékin, qui entretient avec elle des liens étroits depuis l’instauration de relations diplomatiques en octobre 1970. La Chine est le troisième client de Malabo (elle lui achète une part importante de sa production de bois), après les États-Unis et l’ancienne métropole, l’Espagne (19). Et elle multiplie les investissements sur place, où la communauté chinoise compte trois cents personnes. Le président Obiang s’est rendu à quatre reprises dans l’empire du Milieu depuis 1984. Ces rapports amicaux ont débouché sur plusieurs projets : une nouvelle route reliant la côte (depuis Bata) à la frontière orientale (Mongomo) du pays est en cours de construction avec l’assistance technique et financière de Pékin, qui a également construit l’autoroute reliant Mongomo à Nkue et la station hydroélectrique de Bicomo (située à Bata). En 2004, la Guinée équatoriale a exporté le tiers de son pétrole aux États-Unis et le quart en Chine.

En mars 2004, le pays a été le théâtre d’une tentative de coup d’État (20) dans laquelle les États-Unis ont peut-être joué un rôle. Cet épisode a incité Obiang à nouer des contacts avec d’autres investisseurs potentiels. En septembre 2004, il s’est rendu en Ukraine pour inviter le président Koutchma à entreprendre une coopération dans le domaine militaire et énergétique. Le départ de Koutchma à la suite de la « révolution orange » devrait rendre caducs ces projets et pourrait inciter Obiang à se tourner encore davantage vers la Chine. Le président équato-guinéen est conscient du fait que, si les critiques internationales à son encontre devenaient trop virulentes, les États-Unis, pragmatiques, n’auraient guère de scrupule à le renverser.

Intérêts pétroliers et influence politique

Ambitions des puissances Les prochaines années verront sans doute une implication encore plus grande de la Chine, de l’Inde et des États-Unis en Afrique. Avec comme corollaire une influence politique croissante de ces puissances.

En échange d’une étroite coopération, les géants souhaitent influencer la politique étrangère des pays africains. Pour Pékin, naturellement, l’objectif est d’isoler davantage Taiwan. À ce jour, seuls vingt-cinq pays reconnaissent la République de Chine (le nom officiel de Taiwan), dont six se trouvent en Afrique (21). En octobre 2004, le gouvernement tchadien a signé un accord préliminaire de coopération avec la société taiwanaise Chinese Petroleum Corporation. Pourtant, quelques mois plus tard, au terme de manoeuvres diplomatiques, la Chine a également été autorisée à mener des prospections pétrolières.

Pékin, on le sait, peut choisir de soutenir des mouvements rebelles et de porter au pouvoir des hommes qui lui sont favorables – comme elle l’a fait dans les années 1960, notamment en faveur de Jonas Savimbi en Angola, avant de s’en détourner dans les années 1970. Aujourd’hui, alors que le pays se prépare à des élections générales qui doivent avoir lieu en 2007, la RPC finance officieusement la campagne électorale du MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Angola), le mouvement du président Dos Santos, au pouvoir depuis 1979 et qui pourrait briguer un nouveau mandat présidentiel (22).

L’Inde, pour sa part, a promis au gouvernement soudanais de jouer un rôle prépondérant dans la mission des Nations unies pour le Soudan (MNUS) chargée de veiller à l’application des accords de paix entre le gouvernement de Khartoum et la guérilla du Sud : elle a l’intention d’envoyer 3 500 hommes, soit le tiers des effectifs prévus. Plus généralement, New Delhi voit dans les pays africains des appuis potentiellement décisifs pour sa candidature au Conseil de sécurité de l’ONU.

Les États-Unis, eux, entendent élargir leur influence politique au-delà de l’Afrique anglophone. En décembre 2002, l’administration Bush a présenté l’initiative Pan Sahel, qui vise à mieux protéger les frontières poreuses des pays d’Afrique de l’Ouest et à combattre les mouvements islamistes qui y prospèrent. Washinton renforce sa présence en Afrique francophone (Mauritanie, Mali, Niger, Sénégal) et en Algérie en multipliant les exercices conjoints avec les armées locales. L’assassinat, le 4 juin 2005, de douze soldats mauritaniens par le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) lors d’une attaque contre la caserne de Lemgheity, au nord-est du pays, démontre qu’il existe bien une menace terroriste dans cette zone. Cette opération s’est déroulée dans la région pétrolifère de Taoudeni. Un millier de soldats américains seraient aujourd’hui présents en Afrique de l’Ouest. Enfin, en Afrique centrale, les États-Unis restent également influents via Israël, qui assure la sécurité personnelle du président camerounais Paul Biya.

Maîtrise des océans

Cette confrontation entre l’Inde, la Chine et les États-Unis se poursuit en mer, au large de l’Afrique, dans l’océan Indien. Pékin et New Delhi ont pour préoccupation de sécuriser les routes maritimes de leur approvisionnement énergétique et d’exercer une surveillance étroite de leurs navires. L’Inde peut non seulement s’appuyer sur l’île Maurice, où elle dispose de facilités navales, mais également bénéficier éventuellement de la présence américaine à Diego Garcia, une île dans l’archipel des Chagos, appartenant à la Grande-Bretagne mais louée à l’armée américaine depuis 1968.

En revanche, la Chine n’a pas encore les moyens de réellement contrôler ses voies d’approvisionnement. Sa marine ne dispose pas de sous-marins capables de naviguer en profondeur pendant plusieurs semaines ni d’un véritable groupe aéronaval. Pour l’heure, elle ne possède des installations de surveillance et des bases navales que dans la partie orientale de l’océan Indien : elle a aménagé une station d’écoute dans les grandes îles Cocos, louées au Myanmar depuis 1994 et situées dans le golfe de Bengale (à 60 kilomètres au nord des îles Andaman). Toujours au Myanmar, la Chine détient également des facilités portuaires à Sittwe (une ville située à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Bangladesh), et un port en eaux profondes doit être, à terme, aménagé à Kyaukpyu. Il sera destiné à accueillir les supertankers venant d’Afrique, qui pourront ainsi éviter d’emprunter le détroit de Malacca, un itinéraire qui rallonge le trajet des navires pétroliers. De plus, la densité du trafic maritime rend cette voie de passage très dangereuse; enfin, des attaques terroristes contre des bâtiments (comme celle subie par le pétrolier Limburg au large du Yémen en 2002) sont envisageables. Plus à l’ouest, les liens entre la Chine et les îles Maldives n’ont cessé de s’approfondir depuis l’établissement de relations diplomatiques en 1972. Pékin a obtenu la location, pour une durée de vingt-cinq ans, de l’île de Marao, à 40 km de la capitale, Male. Dans les prochaines années, une base destinée à recevoir les sous-marins chinois devrait y être aménagée. On le voit : sa dépendance énergétique oblige la Chine à moderniser rapidement ses forces navales.

Un poker pétrolier dangereux

Si cette compétition énergétique peut à, certains égards, se révéler positive sur le plan économique pour l’Afrique, elle contribue également à la déstabilisation de nombreux États. Au Tchad comme au Mali ou en Côte d’Ivoire, le pétrole récemment mis en valeur a surtout attisé les rivalités politiques.

Au Tchad, le président Idriss Deby, usé par la maladie, est confronté à une opposition très déterminée et à la multiplication des actes de rébellion au sein même de l’armée. Plusieurs tentatives de coup d’État ont été déjouées, notamment en mai 2004 puis en novembre 2005. La dégradation de la situation institutionnelle et économique du pays est notoire. Elle est encore aggravée par la crise qui fait rage au Soudan, dans la province du Darfour. Les crimes perpétrés par l’armée soudanaise et les milices arabes Janjawids ont entraîné l’afflux de 250 000 réfugiés au Tchad. De nombreux militaires tchadiens d’ethnie Zaghawa dénoncent la passivité du président devant les massacres dont sont victimes les populations négro-africaines au Darfour – principalement des Zaghawas, des Fours et des Massalits. Cette situation politique troublée a conduit en décembre 2005 le gouvernement de N’Djamena à rompre l’accord qui le liait avec la Banque mondiale. En 1998, celle-ci avait participé au financement d’un oléoduc reliant les champs de Doba au terminal de Kribi, au Cameroun. Cette coopération qui se voulait exemplaire devait permettre de lutter contre la pauvreté. Le Tchad avait accepté que, sous l’égide de la Banque mondiale, gestionnaire des recettes pétrolières, plus des trois quarts des sommes recueillies soient consacrées à des projets éducatifs et sociaux, et 10 % destinés à alimenter un fonds fiduciaire pour les générations futures. Revenant sur ses engagements, N’Djamena souhaite maintenant utiliser librement les recettes pétrolières. Objectif : rémunérer ses fonctionnaires, atténuer la contestation sociale et, probablement, faire l’acquisition d’armes. Au début de l’année 2006, la Banque mondiale a suspendu le versement des recettes pétrolières. Idriss Deby a alors sollicité l’appui financier de Taiwan. En février 2006, pour 30 millions de dollars, les Taiwanais ont obtenu des droits d’exploration et de prospection pétrolière et gazière dans les bassins du lac Tchad et de Doba, pour une période de quatre ans. Taipei avait deux bonnes raisons de répondre favorablement à cette sollicitation : non seulement elle doit assurer son approvisionnement énergétique mais, en plus, elle ne peut se permettre d’abandonner l’un de ses derniers alliés en Afrique.

Le vent, toutefois, risque de tourner. En janvier 2006, l’un des chefs de l’opposition tchadienne, le député Ngarléjy Yorongar, s’est rendu à Pékin, alimentant les soupçons d’un soutien chinois à son combat politique. Car le départ d’Idriss Deby pourrait permettre une redistribution des cartes pétrolières. N’Djamena accuse déjà la Chine de livrer des armes à une rébellion active dans l’est du Tchad : le Rassemblement pour la démocratie et la liberté (RDL) de Mahamat Nour, responsable de l’attaque de la garnison d’Adré en décembre dernier (23).

Au Mali, la découverte de gisements pétroliers pourrait laisser un goût amer. Cette nouvelle a ravivé les rivalités entre la population touareg (qui vit dans le nord du pays, là où se trouvent les gisements potentiels) et les groupes africains (90 % de la population, dont les Mandingues, les Sénoufos et les Dogons) établis plus au sud, au-delà du Sahara.

De 1990 à 1996, plusieurs mouvements armés touaregs, politiquement marginalisés depuis l’indépendance, s’étaient violemment opposés au pouvoir de Bamako. La question du partage de la rente pétrolière pourrait réveiller ce conflit encore latent puisque, en mai dernier, des insurgés touaregs ont attaqué deux camps militaires à Kidal, au nord-est du Mali, réclamant la reconnaissance de droits particuliers.

Toujours dans l’ancien pré carré français, mais cette fois en Côte d’Ivoire, la compétition pour l’accès aux hydrocarbures aggrave également les tensions politiques. Si le pays ne présente qu’un intérêt pour le moment limité sur le plan énergétique, la Chine entend tout de même profiter de la crise actuelle pour s’implanter durablement dans cet État majeur de l’Afrique francophone. Les relations politiques, économiques et militaires entre Pékin et le régime de Laurent Gbagbo n’ont jamais été aussi étroites. Comme elle le fait habituellement, la RPC a construit dans ce pays de nombreuses infrastructures. De plus, en 2001, à l’occasion d’une visite officielle de son ministre de la Défense, le général Chi Haotian, elle a offert un million d’euros de matériel aux Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI). Son soutien diplomatique s’est également révélé utile. Après le bombardement du camp militaire français de Bouaké, en novembre 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies avait décrété un embargo sur les armes (résolution 1572), reconduit en décembre 2005. Cette résolution autorisait également le Conseil de sécurité à sanctionner les personnes reconnues responsables de « violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire en Côte d’Ivoire ». En février 2006, après de violents affrontements entre les partisans de Laurent Gbagbo et les forces de l’ONU, le Conseil de sécurité s’est résolu à décréter des sanctions contre les instigateurs de ces actes. La Chine ne s’est pas opposée à cette décision mais a obtenu que l’épouse du président, Simone Gbagbo, soit épargnée. Seuls des personnages de moindre envergure (Charles Blé Goudé, Eugène Djué et Fofié Kouakou) ont été sanctionnés (leurs avoirs ont été gelés et il leur a été interdit de voyager à l’étranger).

La compétition pour le pétrole, on l’a dit, fait peu de cas de la question des droits de l’homme. Mis au ban de la communauté internationale, menacé d’exclusion du Fonds monétaire international (FMI) à cause de ses arriérés de paiement, le Zimbabwe a trouvé un soutien solide à Pékin. La Chine, désormais premier investisseur étranger dans le pays, s’intéresse en effet à ses mines de platine. En contrepartie, Robert Mugabe a obtenu, lors de la visite qu’il a effectuée chez son nouveau protecteur en juillet 2005, la livraison de six avions Karakorum (K-8) et de plusieurs véhicules militaires. En dépit des rapports des Nations unies dénonçant la politique de l’homme fort d’Harare (24), aucune sanction n’a été prononcée. À la Commission des droits de l’homme des Nations unies, le Zimbabwe a plusieurs fois échappé à une condamnation grâce à l’appui des pays africains et de Pékin. Ce soutien diplomatique offre à la Chine une image favorable auprès des alliés traditionnels d’Harare, comme l’Algérie, l’Angola ou le Cameroun. Cet exemple n’est pas unique. Le Soudan bénéficie de la même mansuétude. Malheureusement, même les États occidentaux ne sont pas exempts de reproches. Par exemple, la situation des droits de l’homme en Guinée équatoriale ou en Angola n’a jusqu’à présent guère ému les États-Unis et l’Europe…

À l’intérieur des pays producteurs, l’exploitation pétrolière ne fait pas toujours le bonheur des petites gens, loin de là. Elle engendre au contraire de grandes frustrations sociales car elle s’accompagne systématiquement d’une inflation importante et d’une hausse des loyers. La dégradation de l’environnement est également dénoncée (détérioration des pistes, déforestation, pollution…). Surtout, la course à l’énergie entraîne partout une désastreuse corruption. À cet égard, les démêlés de Woodside en Mauritanie incitent au pessimisme. Cette société australienne est accusée par le gouvernement de Nouakchott d’avoir obtenu, contre rémunération, des conditions préférentielles de la part de Zeidane Ould Hmeida, qui a occupé la fonction de ministre du Pétrole jusqu’en août 2005.

Autre fait inquiétant : la découverte des gisements d’hydrocarbures ravive les contentieux frontaliers en Afrique. Les frontières maritimes dans le delta du Niger et le golfe du Bénin font l’objet de multiples litiges. La presqu’île de Bakassi, occupée par le Nigeria, est revendiquée par le Cameroun. Or, selon toute vraisemblance, des réserves importantes de pétrole offshore se trouvent au large de cette presqu’île… En octobre 2002, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a reconnu la souveraineté de Yaoundé sur ce territoire, mais le Nigeria s’obstine et maintient des forces militaires sur place. Le président camerounais, Paul Biya, a sollicité l’aide des États-Unis afin d’obtenir l’application de la sentence de la CIJ. En attendant, Abuja, en dépit de ses engagements, ne semble guère décidé à évacuer ses troupes… La Guinée équatoriale a elle aussi plusieurs litiges maritimes frontaliers avec ses voisins, en particulier avec le Gabon a propos de l’îlot Mbanié et avec le Nigeria (25) à propos de la délimitation exacte des frontières maritimes (là aussi, des réserves offshore sont sans doute présentes au large du territoire contesté). Bref, la ruée actuelle vers l’or noir africain peut, certes, apporter le développement ; mais elle suscite surtout de nombreuses incertitudes. Dernier élément, non négligeable : dans ce poker pétrolier, où promesses d’aides et revirements politiques se succèdent, les États d’Afrique jouent finement sur les intérêts des puissances. Fin janvier 2006, pendant que Mouammar Kadhafi accueillait à Syrte le ministre chinois des Affaires étrangères, Li Zhaoxing, son fils, Saïf al-Islam Kadhafi, rencontrait à Taipei le président Chen Shui-bian. Taiwan, qui a entretenu des relations diplomatiques avec la Libye jusqu’en 1978, devrait ouvrir prochainement un bureau de représentation commerciale à Tripoli. Le problème, c’est que cette recherche de la surenchère permanente risque de lasser les investisseurs et de les inciter à trouver un moyen de s’y soustraire. C’est pourquoi, en janvier 2006, l’Inde et la Chine, désireuses d’éviter une concurrence aussi onéreuse que contre-productive, ont pour la première fois décidé d’exploiter des gisements en commun : elles ont racheté les parts détenues par la société Petro Canada en Syrie. Une démarche peut-être appelée à se généraliser.

L’Europe et la guerre énergétique

Dans cette compétition énergétique, l’Union européenne brille par son absence. Et cela, alors même que l’influence des autres puissances s’exerce désormais au détriment des sociétés pétrolières du Vieux Continent, comme Total, Agip ou BP. À cet égard, les cas du Gabon et du Congo Brazzaville sont parlants. Au Gabon, pour l’instant, les États-Unis et la France restent les deux opérateurs principaux du pétrole de ce pays, et 60 % du pétrole gabonais partent à destination des États-Unis. Mais le ministre gabonais des Affaires étrangères, par ailleurs gendre d’Omar Bongo, Jean Ping, un métis d’origine chinoise par son père, entretient les meilleures relations avec Pékin. La SINOPEC a ainsi obtenu des permis de forage en février 2004 et plusieurs contrats de livraison ont été conclus entre Total-Gabon et la SINOPEC. Au Congo Brazzaville, le secteur pétrolier demeure principalement sous le contrôle de Total et d’Agip, mais les États-Unis et la Chine y renforcent progressivement leur influence. En juillet 2005, Washington a annulé deux tiers de la dette du Congo Brazzaville (39 millions de dollars) et rééchelonné le solde restant. La raison en est simple : des sociétés américaines (en particulier Murphy Oil, depuis 2003) y exploitent des gisements encore modestes. Le président Sassou N’Guesso s’est rendu à Pékin en septembre 2005. Il y a jeté les bases de nombreux projets. Mais, avant même ce voyage officiel, des sociétés chinoises s’étaient solidement implantées dans le pays : elles ont, ainsi, construit les bâtiments du ministère des Affaires étrangères et de la Maison de la radio-télévision à Brazzaville, ainsi que l’usine de traitement d’eau potable de Djiri, également à Brazzaville, et le barrage d’Imboulou, sur le fleuve Léfini, à près de 200 km au nord de la capitale.

Pour le moment, la compétition pour le pétrole africain n’a pas de conséquences majeures en termes stratégiques. D’ailleurs, seuls 20 % des importations pétrolières de l’Union européenne proviennent du continent africain. Mais la perte de concessions pétrolières (Total figure parmi les premiers producteurs d’or noir en Afrique) peut, à terme, limiter la force des entreprises européennes et, donc, leurs capacités à investir et à innover. Enfin, la Russie (qui fournit 25 % du gaz et 42 % du pétrole consommés dans l’UE) demeure un acteur imprévisible, comme l’a montré la « guerre du gaz » livrée à l’Ukraine fin 2005. À la vue de cet épisode, les pays européens seraient bien inspirés de veiller à conserver leur influence en Afrique…

Politique internationale été 2006

François Lafargue est professeur de géopolitique à l’École supérieure de gestion et à l’École centrale de Paris.

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